Dieu ? Le philosophe et le rabbin
Dieu ? Le philosophe et le rabbin

Dieu ? Le philosophe et le rabbin

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En octobre dernier, un livre assez surprenant a été publié. Son titre : Dieu ? Le philosophe & le rabbin. Ce n’est pas tant le titre qui est surprenant que les auteurs, en particulier ledit philosophe. Il n’est nul autre que Michel Onfray ! Je dis que ce livre est surprenant. Attention, je ne veux pas dire que Michel Onfray n’a rien à dire sur Dieu. Au contraire, et il ne se prive pas de le dire comme il le pense , de manière directe et parfois assez caustique.

Ce livre est surprenant parce qu’il se veut d’abord le fruit d’une volonté de dialoguer sur ce mot, concept, ou Être (cela dépend si vous demandez au rabbin ou au philosophe) : Dieu. Cette volonté de dialogue n’efface pas les différences, mais se fonde sur les différences affirmée set assumées. Tout au long de l’ouvrage ceci est tout à fait clair. L’objectif du dialogue n’est donc pas de faire changer l’autre d’opinion, mais simplement… de dialoguer. Nous y trouvons un Onfray en discussion sur la religion, sur la foi, sur l’utilisation de la raison, et l’existence de Dieu.

Impossible de résumer toute l’interaction entre « le philosophe et le rabbin »… d’autant plus que du côté de Michaël Azoulay, il y aurait beaucoup à découvrir (dans le sens double de dévoiler et de comprendre) de la théologie juive que je ne connais que trop peu.

Les raisons qui font rejeter à Michel Onfray l’existence de Dieu sont parfois surprenantes par leur simplisme. Ce sont parfois des clichés. Ainsi, nous trouvons chez Onfray la conviction que l’éducation fait la religion. Ainsi, « si nous avions pu questionner Victor de l’Aveyron, cet enfant sauvage perdu dans la forêt… nul doute qu’il aurait ignoré dieu puisqu’il avait échappé à toute éducation » (p. 39). Nous retrouvons ici le fameux argument culturel qui veut expliquer la religion en simple termes de culture ou d’éducation. Si vous étiez nés en Egypte au 9e siècle, vous auriez étés musulmans.

Il est stupéfiant d’entendre cet argument de la bouche d’Onfray. L’entendre d’un jeune étudiant en philosophie ou en science sociale qui pense avoir trouvé là la réponse ultime qui détruira la foi de tous les croyants… soit. Après tout, la naïveté condescendante de celui qui découvre un raisonnement qu’il pense imparable. C’est la réaction de celui qui pense tout connaître ; c’est le manque d’humilité typique de celui qui est aveuglé par une raison supposée tout-puissante. Mais l’entendre chez Onfray ? Si je comprends bien, au 9e siècle tout le monde était « chrétien » ? Il n’y avait pas de conversions. Personne ne changeait d’avis. Il n’y avait, en ces temps reculés et barbares, aucun esprit critique. Stupéfiant !

Onfray poursuit son parcours insolite en remarquant là aussi de manière assez stupéfiante qu’il n’y a « aucune preuve historique de l’existence de Jésus », affirmation osée à laquelle il ajoute la remarque caustique, onfrayienne, « si l’on met à part quelques prépuces conservés dans plusieurs églises… » (p. 133) Allez… disons des crânes, des os, et quelques autres fragments de croix. Quant à la non-existence de Jésus, c’est un peu osé. Il suit avec loyauté l’opinion défendue par son ami Jean Soler, auteur de Qui est Dieu ?, qui nie l’existence historique d’un Jésus.De nombreux experts non-chrétiens admettent l’existence de la personne de Jésus. Bien sûr, celle-ci a pour eux été mythologisée… mais Jésus a existé. Maurice Sartre, spécialiste du monde grec et romain anciens, conclut ainsi que : « Pour l’historien, Jésus s’inscrit dans une série bien connue et bien identifiée », même s’il conclut immédiatement que « une fois l’historicité admise, reste le plus difficile à apprécier : qui fut Jésus ? »1 Il est peut-être difficile de prouver historiquement la divinité de Jésus… mais certainement pas son historicité !

Autre point important pour Onfray : la fameuse « charge de la preuve ». Ceci est invoqué par Onfray, sans qu’il semble être conscient qu’elle met en jeu une réalité importante : celle des présupposés, des convictions essentielles qui guident et déterminent les autres. Onfray écrit : « Dans un monde de matière, l’existence de quelque chose qui échapperait à la matière, l’âme immatérielle par exemple, est une supposition qu’il revient à celui qui la fait de démontrer. » (p. 160-161) Vous voyez le problème ? Le présupposé – le point de départ – d’Onfray est clair : « Dans un monde de matière »… et voilà ! Le présupposé est que le monde est purement, uniquement, entièrement matériel. Ce qui est assumé dès le départ c’est une vision matérialiste du monde.

Onfray part du principe que : (i) La position matérialiste est évidente ; et que (ii) de fait elle est évidemment vraie. Bien sûr, qu’Onfray soit matérialiste, il n’y a ni doute, ni surprise : « Je ne crois qu’à la table de Mendeleïev – donc à une âme matérielle. » (p. 176) Cela dit, il part du principe que le monde est matériel, mais il ne le démontre pas. Je pourrais très bien dire : « Dans un monde de cohabitation avec l’immatériel, la non-existence de quelque chose qui échapperait à la matière, l’âme immatérielle par exemple, est une supposition qu’il revient à celui qui la fait de démontrer. » La charge de la preuve appartiendrait à Onfray ! Je ne l’écrirai pas, parce que le principe du dialogue critique serait de considérer que chacun à la charge de la preuve. En dialogue philosophique, se contenter d’affirmer sans justifier ne mènera jamais à grand chose.

Un autre point de doute qui, chez Onfray, devrait nous conduite à plus de réflexion est le problème de la finitude. Ou plutôt, le « mal » de la finitude, écrit-il : « Quand la vie aura ou aurait été un bien, le fait qu’elle s’arrête est un mal parce que c’est une souffrance, une douleur, une peine que de quitter une bonne et belle chose, ou une potentialité de bonnes et belles choses. » (p. 163) bien sûr que c’est un mal lorsqu’on estime que seul le monde matériel existe ! Une fois que l’existence matérielle est terminée, il n’y a qu’un vide froid et impitoyable, un néant absolu. Il n’y a plus de rien de bon, de vrai, ou de beau. Il n’y a plus rien à attendre.

Le mal est finitude que s’il n’y rien en dehors de la matérialité. La finitude n’est un mal que parce que Michel Onfray a donné une définition erronée de ce qu’est la réalité ; il a donné une définition tragique de la nature humaine. Nous ne sommes pas que des êtres matériels. Nous sommes des êtres « mixtes » disait C. S. Lewis dans Tactiques du diable : matériels et spirituels, dont la destinée est tournée vers le royaume. Si Michel Onfray veut retrouver la valeur bonne et pleine d’espérance de la finitude humaine, il doit la considérer comme s’incarnant dans la vie éternelle que Jésus est venu incarner et donner au monde : « Jésus leur dit : Moi, je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » (Jean 6.35)

Enfin, Onfray s’arrête sur une vraie question théologique, celle de la volonté souveraine de Dieu, en particulier en ce qui concerne le mal et la souffrance. Face à la mort, d’un cancer, de sa compagne Marie-Claude, Michel Onfray met Dieu en accusation : « Je ne crois pas en Dieu, mais j’aurais du mal à croire en un Dieu qui, positivement ferait cela, ou qui, négativement, le laisserait faire. » (p. 190) La réponse chrétienne au problème du mal, que ferait la distinction entre ce que Dieu commande et ce qu’il laisse faire, est remise en question par Onfray. Car, dit-il, même lorsque Dieu laisse faire, ou « permet », il est tout-puissant ! Dieu sait aussi ce qui se passe… ce n’est pas comme si les génocides et l’esclavage sexuel lui étaient cachés. Qu’on le veuille ou non, conclut Onfray, Dieu veut donc une injustice. Il sait ce qui se passe : il est omniscient et tout-puissant ! « Sinon à quoi bon être Dieu ! » (p. 191)

Onfray nous pousse à chercher l’explication la plus biblique. Attention, pas forcément celle qui soit la plus compréhensible ou accessible à la raison humaine, mais la plus biblique. Onfray nous demande de ne pas simplement dire ce qui nous arrange : Dieu est tout-puissant quand il s’agit du bien, et le reste du temps, il serait lié, impuissant devant le mal. Il serait innocent, mais un degré moindre de ce Dieu tout-puissant que présente l’Ecriture. Et là dessus, Onfray a raison.

Bien sûr, il conclut (trop) rapidement que les chrétiens ne font que dire ce qui les arrange (p. 192). Non, bien sûr ! Ce que nous faisons, c’est tenter de dire en des mots humains, faibles et limités, ce que Dieu fait dans l’histoire des hommes. Peut-être que le problème vient du fait qu’Onfray parle de Dieu comme d’un simple « super-homme », un être aux pensées complexes (peut-être) mais accessibles à notre raison humaine. Or ce n’est qu’en petite partie le cas, et seulement parce que Dieu révèle ses pensées à nous. Nous ne pouvons que modeler nos pensées sur celles de Dieu, et ainsi répondre humblement à la parole révélée de Dieu : l’Écriture. Onfray essaie par sa raison seule d’expliquer le mystère des œuvres divines.

Cette quête est vouée à l’échec : il n’y a pas d’autres réponses à donner. La seule solution est de reconnaître humblement, et dans la foi, que nous ne pouvons « saisir » Dieu. Nous nous abandonnons à la l’amour et à la bonté de Dieu, qui ne souhaite pas que l’homme meure (Ézéchiel 18.23), ainsi qu’il vive. C’est peut-être sur cet appel, qui se double d’une promesse, qu’il faudrait terminer une réponse plus longue à Michel Onfray.

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1 Maurice Sartre, « Jésus a-t-il existé ? », 1998, http://www.lhistoire.fr/jésus-t-il-existé