Le samurai de l’espace
Le samurai de l’espace

Le samurai de l’espace

Leiji Matsumoto était une légende.

Malheureusement, il était une légende. Comme toute légende, il est mort. C’est ainsi que le 13 février 2023, le génial créateur d’Albator et de Galaxy Express 999 est entré dans les mémoires. Pour moi Matsumoto sera toujours le père d’Albator, qui fut l’un des grands personnages de mon enfance. J’ai été bercé par le générique :

Albator, Albator, du fond de la nuit d’or
Albator, Albator, de bâbord à tribord
Tu veilles sur la galaxie, sur la liberté aussi

Le bel Atlantis est ton vaisseau
Le pavillon noir est son drapeau
Bee-Bop, Nausicaa sont avec toi

Albator, Albator, le corsaire de l’espace
Albator, Albator, même si tu paraît de glace
Ton cœur est bon, ton cœur est grand
Pour tous les enfants.

Il y a quelque chose de gentiment naïf dans le générique, bien sûr. Après tout, l’anime Albator était réalisé pour des jeunes, à la différence du manga original.

Parlons-en d’ailleurs, de l’original :

Ma mer est la mer de l’espace ;
Elle est mon désir sans limites.
Le chant de la Terre est mon chant
Ma terre natale,
Je ne peux pas l’abandonner.
Mon ami, même si je sais que la Terre
est une étoile sans lendemain
Je vais encore me battre pour la protéger
et continuer à me battre.
Je donnerai ma vie pour ce que je crois ;
Délaissant ma vie, je vis.
L’obscurité de l’espace est mon obscurité
mon champ de bataille, sans fin ;
Le crâne et les os sont mon drapeau
Marquant l’endroit où je vais mourir.
Mon ami, même si elle est devenue
une étoile sans lendemain,
Tu as aimé la Terre ;
Je ne vais pas rejeter cette planète.
Le vent de l’espace est mon vent,
mon errance éternelle ;
Un navire voguant dans le ciel
est mon bateau, mon âme irrépressible.
Mon ami, parce que je sais
que c’est une étoile sans lendemain,
Je me battrai seul ;
Délaissant ma vie, je vis.

Un poil différent non ! C’est beaucoup plus mélancolique, presque un peu noir. Certains verraient même une petite touche nihiliste. Albator erre sans fin dans une mer infinie, semée d’étoiles et de… rien ?

Ce n’est pas tout à fait cela, mais il y a parfois un brin de cette vision dans les trois tomes d’Albator que vous pouvez trouver (en anglais) sur le site Archive.org. Et à vrai dire… j’ai été marqué par la vision beaucoup moins “rose” que ce que l’anime français en a fait. Dans le récit de notre enfance, Albator se bat pour la terre… dans le manga, il se bat surtout pour ce qu’il en quoi il croit. Il se bat pour sa liberté. La valeur qui l’habite, c’est sa volonté personnelle.

Le refrain d’Albator est sans ambiguïté : “Je vis en homme libre sous la bannière de la liberté.” Tout est dit ! Et parfois, surtout dans le volume 1, la liberté du pirate de l’espace se double de ce nihilisme qui se dévoile peu à peu : “Je navigue une mer sans lendemains.” L’espace est vaste, un vaste vide, vide et froid.

À partir de ce constat, aboutir à voir en Albator un “nihiliste vertueux” n’est pas tiré par les cheveux. Il ne se bat en effet pas pour une “cause”… il n’y a pas de raison de vivre grandiose comme le patriotisme, le “plus grand bien”, ou encore une divinité. Albator est un athée total d’ailleurs : il n’y a qu’un univers infini dans lequel ne s’exercent que des volontés… parfois conflictuelles.

Est-ce pour autant une lutte à la mort, un chacun pour soi ?

Non, car Albator, même borderline nihiliste, demeure vertueux. Il est loyal envers ses amis, et tous les membres de l’Atlantis. Loyal aussi avec l’Atlantis, vaisseau miracle qui est animé de la présence de Toshirō, l’ami le plus proche de notre pirate, ingénieur et créateur de l’Atlantis en lequel il se téléchargea à sa mort. Albator ne vit pas sans code, un code ce chevalerie, un code samurai. Ainsi, il n’abattra jamais, mais alors jamais, quelqu’un dans le dos. Donc nihiliste ? Pas tout à fait. Par contre ses “valeurs”, ce sont les siennes, et personne ne vient forcer Albator à faire des choix qui ne sont pas les siens.

C’est là qu’Albator devient quelque peu biographique.

Mais ce n’est pas la biographie de Leiji Matsumoto, mais celle de son père, Tsuyoshi Mastumoto1. Pilote pour l’armée japonaise, instructeur pendant la Seconde guerre mondiale, la fin de cette dernière le traumatisa tellement qu’il refusa de piloter à nouveau. Il aurait pu, comme de nombreux pilotes de guerre à cette époque, au Japon ou ailleurs, devenir pilote commercial. Avec son expérience, un emploi lui était garanti. Matsumoto senior n’en fit rien. Honte de… d’avoir vu son pays être l’agresseur dans cette guerre ? Honte de… s’être vu vaincu, envahit, et occupé ? Honte… sentiment d’avoir été trahit par ses supérieurs ? Un peu de tout cela peut-être.

Toujours est-il : le père de Leiji Matsumoto trace son propre chemin et une fois décidé, rien ne le fait s’égarer à droit ou à gauche. De lui, le père d’Albator s’inspirera pour créer son personnage emblématique. Le pirate, comme son père, comme les samurai dont la famille Matsumoto descendait, ne revient pas sur sa parole. Sa parole est sa volonté, et il mourra plutôt que de revenir sur son choix. Il vit sous la bannière de sa volonté libre.

Oui mais… Albator vit aussi sous la bannière vivante d’un homme qui est humain, bien humain. Et il ne peut échapper à l’une des choses qui font de nous des êtres humains : l’amitié. Le nombre d’amitiés dans toutes les séries d’Albator sont nombreuses. Certaines évidentes, d’autres beaucoup moins. Si, sur l’Atlantis, chacun est libre d’agir comme il l’entend, libre de se battre pour ce en quoi il/elle croit, une chose unit les 40 membres de cet équipage improbable : l’amitié. D’ailleurs, Leiji Matsumoto lui-même met en avant la centralité de l’amitié :

Albator ne donne pas d’ordre mais laisse au contraire chacun libre de s’embarquer ou non à bord du vaisseau, parce qu’il comprend l’importance de l’amitié. Albator met l’accent sur l’importance de transmettre et l’importance des amitiés qui peuvent vous aider sur le chemin. Chacun est tenu de tout donner.

« Question à… Leiji Matsumoto », L’Est républicain, http://www.estrepublicain.fr, accédé le 28 janvier 2014.

Et les membres de l’Atlantis donnent tout, y compris ces amitiés : celle, empreinte d’humour, du docteur Zéro et de la cuisinière Masu ; celle de Miimé et d’Albator. Dans Albator 78, l’importance de cette amitié est ainsi expliquée par Miimé :

On ne peut pas vivre seul. La solitude, c’est le pire des maux. C’est l’enfer. Il faut toujours avoir quelqu’un à qui consacrer sa vie. C’est pour cela que je resterai toujours près de toi, Albator.

Albator 78, épisode 20

Avec Leiji Matsumoto, l’amitié est au service des personnes… elle est là pour mettre les autres en avant, pour leur donner dignité et valeur. Toshirō, petit bout d’homme qui ne paye pas de mine, devient l’équivalent du charismatique pirate, tout cela à cause de leur amitié. Albator, lui, fait siennes certaines des valeurs de Toshirō, notamment celle de sa battre pour la Terre qui pourtant a toujours trahit le pirate de l’espace.

L’amité, les vertus, le code. Tout cela fait partie d’Albator, et c’est ce qui en fait un héro.

Et il y a une dernière chose.

À travers toutes ses errances, ses adversaires, ses échecs, Albator change parfois. Malgré sa volonté de fer, malgré son code… il fait preuve de “retournement”, comme de nombreux autres personnages du manga ou des anime. Ramis, Zoll, Vilak, Zon, et le pirate lui-même, sont tous des personnages qui incarnent l’empathie. Plus encore : ils incarnent le pardon, un certain “retour” sur eux-mêmes. Ils expérimentent ce que la foi chrétienne appelle la conversion qui va main dans la main avec le sacrifice, que tous ont à faire.

Le pardon est nécessaire, le sacrifice est nécessaire. Ces deux éléments sont essentiels à la vie humaine. Sans pardon et sacrifice, n’y a pas de vie, il n’y a pas de héros. C’est cela qui me fait dire que Jésus-Christ est le vrai héro. Le seul héro que le monde ait jamais connu.

Car cet homme-Dieu a navigué toutes les oppositions, les douleurs et les persécutions, afin de transformer ses ennemis… en amis. Il a voulu se les réconcilier. C’est ce que Paul écrit dans sa deuxième lettre aux chrétiens de Corinthe :

Si quelqu’un est dans le Christ, c’est une création nouvelle. Ce qui est ancien est passé : il y a là du nouveau. Et tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par le Christ, et qui nous a donné le ministère de la réconciliation. Car Dieu était dans le Christ, réconciliant le monde avec lui-même, sans tenir compte aux humains de leurs fautes, et mettant en nous la parole de la réconciliation.

2 Corinthiens 5.17-19

Il y a donc un autre Albator, le modèle du « pirate ontologique », celui qui peut suivre pleinement sa propre volonté, celui qui peut apporter une libération totale. Il s’agit de nul autre que Christ, le pirate divin dont le drapeau à la tête de mort proclame que même la mort a été vaincue, celui qui nous invite à monter dans le vaisseau éternel de la liberté et à laisser vengeance et amertume derrière nous pour naviguer avec lui la « mer de l’espace ».

1Voir Helen McCarthy, Leiji Matsumoto. Essays on the Manga and Anime Legend, 13-28.