Rob Lister, “God is Impassible and Impassioned: Toward a Theology of Divine Emotion.” Wheaton, Crossway, 2013
Rob Lister, “God is Impassible and Impassioned: Toward a Theology of Divine Emotion.” Wheaton, Crossway, 2013

Rob Lister, “God is Impassible and Impassioned: Toward a Theology of Divine Emotion.” Wheaton, Crossway, 2013

Dieu est-il impassible ?
Dieu a-t-il des émotions ?

La question est importante, surtout au vu de ce que Lister (professeur associé à Talbot School of Theology) considère comme étant une nouvelle orthodoxie : oui Dieu a des émotions, d’ailleurs Dieu change. Ce discours est effectivement de plus en plus répandu et vous l’avez peut-être déjà entendu, exprimé ainsi, nous devons prendre me langage biblique pour ce qu’il dit et non pas ce que nous aimerions qu’il dise. Cela ne satisfait pas Lister qui rappelle dès le début de son exploration de ce sujet si important que, si Dieu n’est pas contrôlé par ses émotions (il est impassible), il n’est pas nécessairement sans émotions (passioné). Il faut rappeler qu’avoir des « passions » signifie traditionnellement être contrôlé, soumis, à ses émotions. C’est pour cela que Lister propose d’affirmer que Dieu est « sans passion mais passionné », p. 36).

ListerL’ouvrage est divisé en deux parties : (1) le contexte historique de la discussion et (2) la présentation de la position de l’auteur. Dans la première partie, le lecteur portera grande attention à la lecture des conclusions aux chapitres 4-6 qui présentent les positions médiévales, des réformateurs, de la « passibilité » moderne (cf. Moltmann) et de théologiens contemporains comme Paul Helm ou John Frame. Petite note : il est important de voir que pour Helm, l’impassibilité de Dieu (il ne souffre pas, il ne change pas) est lié à son immutabilité (et même son aséité).

Si le parcours historique est intéressant il n’est pas sans approximations. Dans sa présentation, Lister, et c’est compréhensible, essaie souvent de maintenir sa proposition au sein d’une tradition théologique essentiellement orthodoxe. C’est ainsi qu’il définit sa proposition comme un développement et non une innovation ou une révision.. L’une des discussions les plus discutable est celle de Thomas d’Aquin. Lister, il me semble, tente de présenter une impassibilité qui soit partagée par la Réforme et la scolastique catholique représentée par Thomas. Or, Lister sous estime le fait que, puisque l’impassibilité est une question de relation entre volonté et émotions, c’est la nature de la volonté divine qui fait une différence essentielle entre Thomas et, par exemple, Calvin.

Le problème pour Lister est l’impasse théologique dans laquelle nous nous trouvons. Cette impasse est due aux critiques faites par les deux « camps » :

  • Pour ceux qui défendent la « passibilité » :

– l’impassibilité passe sous silence certains versets bibliques assez explicites.
– l’impassibilité amenuise l’amour de Dieu qui se repent de ses actions afin de pardonner.
– l’impassibilité ne fait pas justice à l’incarnation ou à la croix.
– l’impassibilité ne prend pas le problème du mal au sérieux.

  • Pour ceux qui défendent l’« impassibilité » :

– la défense de la passibilité se fait avec une exégèse et une méthode théologique douteuses.
– dans sa recherche de l’équilibre théologique, la « passibilité » s’égare tout autant que la position qu’elle critique, notamment en mettant un accent parfois exclusif sur l’immanence de Dieu.

Que conclure ? Lister propose d’ouvrir une réflexion qui nous conduise à une position plus réfléchie, plus équilibrée. Mais si nous devons rechercher, comme Bruce Ware le note dans sa préface, l’équilibre théologique, il faut prendre garde à ce que cet équilibre ne soit pas une « troisième voie » trompeuse. Car à mon sens, le problème principal ne vient pas tant des propositions de Lister que de son absence de justification : il n’explique pas de manière convaincante pourquoi aucune des deux positions actuelles ne sont pas satisfaisantes. Or, avant de proposer une troisième solution, il faut déjà en montrer la nécessité. En cela, Lister n’est pas assez convaincant même si le survol historique est un outil très utile quoique parfois simpliste.

En quelques mots, la proposition de Lister est, en quelques mots, la suivante :

  • tout d’abord, par contraste à Calvin, Luther ou encore Thomas, Lister ne considère pas que la colère de Dieu ou d’autres émotions négatives, sont de simples métaphores ;
  • puisque ces émotions sont réelles, elles reflètent ainsi un changement dans la relation de Dieu envers sa création. Cela ne signifie pas un changement dans la nature divine (Lister ne sous entend jamais cela) ;
  • bon nombre d’émotions comme la pitié, la patience, sont contingente, non nécessaires ;
  • et cependant ces émotions sont, pour Dieu, aussi des attributs et il faut vraisemblablement que certains attributs divins sont contingents et dans un certain sens, la conséquence des actions des créatures ;
  • Dieu est donc, dans un certain sens, affecté par ses créatures. Die répond ainsi à ses créatures d’un manière tout à fait réelle (pp. 224-225).

En dehors du fait que Lister modifie quelque peu la définition de l’amour, la patience, etc. pour en faire des émotions au lieu d’« attributs » au sens fort du terme, c’est probablement la distinction entre plusieurs types d’attributs en Dieu qui pose le plus de problèmes théologiques.

Il est évident d’après la tradition théologique que des distinctions entre attributs ont toujours été faites. L’une des plus classiques est la distinction entre attributs communicables ou incommunicables. Ici, Lister souhaiterait modifier cette distinction et proposer de voir deux types d’attributs : essentiels et contingents. Or, le premier type de distinction n’établit de différences que dans la relation de Dieu envers ses créatures et la manière dont la nature de ses créatures est élie à celle du Créateur. Mais dès que nous parlons d’attribut « essentiel » ou « contingent », nous risquons dangereusement d’anéantir une autre partie de la nature divine : la simplicité. Dieu deviendrait « composé » de plusieurs types d’attributs. Il serait « divisible ». Un langage que les confessions réformées ont toujours rejeté.

La discussion sur l’impassibilité divine est importante et complexe. Elle exige une solide compréhension des enjeux mais aussi de la doctrine de Dieu, voire des prolégomènes systématiques. L’impassibilité touche en effet à la nature a-se de Dieu, à ses relations dans le temps ainsi qu’à la doctrine de la création. La discussions de Lister démontre aussi que nous pouvons être tout à fait clair sur des sujets comme l’autorité de l’Ecriture, la théologie du salut, et cependant faire face à des problèmes théologiques conséquents, voire même être entraînés bien malgré nous vers certaines dérives systématiques. Il est d ‘autant plus important de prêter une grande attention à la méthode d’investigation théologique que nous nous proposons d’utiliser.

L’ouvrage de Lister, God is Impassible and Impassioned, s’il pose donc quelques problèmes majeurs, est cependant utile, d’autant plus que l’impassibilité divine a une portée apologétique importante1. Cet ouvrage montre clairement qu’étudier sérieusement et de manière approfondie la « doctrine de Dieu » est encore pertinent et actuel.

Avis aux étudiants en théologie.

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Notes :

1 En ajout à cet ouvrage, je ne peux que conseiller la lecture de James Dolezal, God Without Parts.