Épiphanie
Épiphanie

Épiphanie

L’un des épisodes les plus étranges de cette saison de Noël, c’est bien la venue des “mages” auprès d’un roi nouveau-né. Ces mages qui sont venus, de loin ou de plus loin encore, trois figures traditionnelles ou une troupe entière, et leur caravane : ânes, chevaux, et les inévitables chameaux. Ou dromadaires, cela dépend quelles bosses nous comptons. Ils sont venus par la route royale, cette voie pavée des bonnes intentions de Cyrus. Ils sont venus par une route royale, reliant Suse à Damas, et Damas à Jérusalem. Ils sont venus, parmi tant d’autres, par la voie du commerce, la voie de l’empire.

C’est l’empire qui leur a permit de se rendre à Jérusalem, mais le Roi qui les a envoyé sur ce long chemin. C’est lui-même qui d’ailleurs a permis cette route : route qui a conduit les exilés dans la marche de leur Grand Retour. Route sur laquelle ont marché Esdras et Néhémie. Route royale qu’ouvre l’étoile de ces mages assez sages pour discerner le dévoilement de l’Enfant-roi.

C’est la route que Dieu dans sa providence a préparée… peut-être ? Route que nous pouvons imaginer Daniel en train de défricher. Daniel, lui qui a eu une telle influence dans l’empire. Daniel, espérant le retour d’Exil. Daniel, saisissant fermement les promesses du Messie, les promesses du retour. De Daniel aux mages, il n’y a qu’un pas, un petit pas de cinq cent ans, un petit pas de foi.

Moment étrange… passé bien sûr ce moment où le Dieu éternel et créateur vient habiter la plénitude de l’humanité. Un corps, un temps, et un espace. Une culture, un langage, et une religion, celle de son Père. La route qui mène à Jérusalem, et de Jérusalem à Bethléem reviendra à Jérusalem, sur une colline dominant la ville. Le chemin des mages, c’est aussi celui des disciples, mais quelle différence !

“The Magi” par W. B. Yeats,

Now as at all times I can see in the mind’s eye,
In their stiff, painted clothes, the pale unsatisfied ones
Appear and disappear in the blue depths of the sky
With all their ancient faces like rain-beaten stones,
And all their helms of silver hovering side by side,
And all their eyes still fixed, hoping to find once more,
Being by Calvary’s turbulence unsatisfied,
The uncontrollable mystery on the bestial floor.

L’arrivée des mages n’a pas servit qu’aux croyants. Elle a pu être aussi une contestation parodique, un rappel à l’ordre des chrétiens. Ainsi, dans un toute autre genre, et d’une inspiration bien différente, nous trouvons “Les Rois mages” par Edmond Rostand :

Ils perdirent l’étoile, un soir ; pourquoi perd-on
L’étoile ? Pour l’avoir parfois trop regardée,
Les deux rois blancs, étant des savants de Chaldée,
Tracèrent sur le sol des cercles au bâton.
Ils firent des calculs, grattèrent leur menton,
Mais l’étoile avait fui, comme fuit une idée.
Et ces hommes dont l’âme eût soif d’être guidée
Pleurèrent, en dressant des tentes de coton.
Mais le pauvre Roi noir, méprisé des deux autres,
Se dit “Pensons aux soifs qui ne sont pas les nôtres,
Il faut donner quand même à boire aux animaux.”
Et, tandis qu’il tenait son seau d’eau par son anse,
Dans l’humble rond de ciel où buvaient les chameaux
Il vit l’étoile d’or, qui dansait en silence.

La figure des mages n’est pas celle que nous attendions. Chez Rostand, il fallait s’y attendre, la figure naïve et idéalisée des mages devient chargée de tout ce que le mal a de palpable. Le mal du rejet. Contour noircit de la violence des hommes.

C’est là, au coeur du péché humain que ce dernier mage, le pauvre Roi noir, reçoit en don le retour de l’étoile. C’est lui qui devient le visionnaire, l’élu, choisit pour porter le regard renouvelé sur la promesse. Bien sûr pour l’agnostique Edmond Rostand, créateur génial de Cyrano, ces lignes ne se ferment pas sur un point tracé de foi, mais sur l’espace invisible de Dieu, le non-existent, celui qui ignore le mal dont nous sommes les objets et les volontaires sujets.

Malgré tout, malgré lui, transpire de la dernière ligne une espérance, celle de la dissolution de tout mal, l’extirpation finale des racines qui plongent profondément dans les méandres de nos cœurs.

Les mages continuent de travailler notre imagination. Sous la plume de Michel Tournier, les mages ne perdent pas toute leur essence biblique, mais prennent une consistance imaginative. Les mages demeurent ce qu’ils sont, des païens, sages, connaissant vraisemblablement la religion d’Israël. Peut-être même portent-ils encore la marque d’une société marquée par la présence des exilés d’Israël.

Les trois mages restent des hommes, des hommes soumis aux turbulences des désirs et des cœurs. Ils viennent chercher un roi, mais en eux habite aussi une recherche intense : l’un l’amour, l’autre beauté, et enfin le pouvoir. L’or, l’encens, et la myrrhe. Symboles du ministère de Christ, mais symboles aussi des désirs insatiables de l’humanité.

Trois mages désirant l’amour, la beauté, et le pouvoir. Mais il y en a un quatrième : Taor, prince de Mangalore, Lui, c’est le mage qui se laisse distraire. Non. Il se laisse détourner, il laisse ceux qui sont sur le chemin le délester d’un temps qu’il n’a pas, au point où il se retrouve jeté dans une mine de sel. Forçat pendant trente ans, innocent prenant la place d’un autre. Cela nous rappelle quelqu’un, n’est-ce pas ?

Ce dernier mage va pourtant trouver sa route vers Jérusalem. Entre-temps, Jésus sera né, il aura annoncé le royaume, il aura été arrêté, crucifié, et mit dans la tombe. Que lui reste-t-il, sinon de suivre les traces des disciples jusqu’à la maison de Joseph d’Arimathie dans laquelle ce quatrième mage est sur le point de s’évanouir :

Taor eut un vertige : du pain et du vin ! il tendit la main vers une coupe, l’éleva jusqu’à se lèvres. Puis il ramassa un fragment de pain azyme et le mangea. Alors il bascula en avant, mais il ne tomba pas. Les deux anges qui veillaient sur lui depuis sa libération, le cueillirent dans leurs grandes ailes, et, le ciel nocturne s’étant ouvert sur d’immenses clartés, ils emportèrent celui qui, après avoir été le dernier, le perpétuel retardataire, venait de recevoir l’eucharistie le premier.

Michel Tournier, Gaspard, Melchior et Balthazar, p. 272.

Les mages nous montrent où le Roi régnant est trouvé : le roi dans une étable, dans la paille, la saleté, les odeurs… et pas celles de l’encens ou de la myrrhe. Il est là sous la lumière de l’étoile, mais sous les glorieuses pierres taillées d’un palais. Il est sous le bois de l’étable, sur le bois de la croix.

Les mages : sages d’orient qui conserveront un certain mystère, celui d’une révélation : celle de la sagesse de Dieu, folie pour les humains accrochés à leurs idoles.

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Autres poèmes pour l’Épiphanie :

Here is the little door,” par G.K. Chesterton ; “Épiphanie,” par José-Maria de Heredia ; “The Three Kings,” par Henry W. Longfellow ; “Épiphanie,” par Charles Marie René Leconte de Lisle ; “Frankincense, Myrrh, and Gold,” par Sandra Graham ; “Journey of the Magi,” par T.S. Eliot, et enfin “A Sonnet for Epiphany,” par le poète contemporain Malcolm Guite