Chronique du mystagogue, 3
Chronique du mystagogue, 3

Chronique du mystagogue, 3

Ceci est le premier d’une série de posts “Chronique des mystagogues.” Vous ne savez pas encore ce qu’est un mystagogue ? Lisez cet article.

« Chez les vieillards se trouve la sagesse, Et dans une longue vie l’intelligence. » (Job 12.12)

Commençons par un petit état des lieux : il y a enfin une génération de jeunes qui se lèvent pour Jésus ! Au retour d’une conférence spéciale pour les jeunes, nous pouvons nous attendre à des réactions, bien compréhensibles, de joie et de reconnaissance : « C’était super de voir une église dans laquelle il n’y a que des jeunes … ça bouge enfin ! » Il n’y avait pas de vieux, personne de plus de 50 ans. Les responsables c’était les jeunes ! Enfin une église de jeunes, et ça c’est vraiment l’avenir de l’église ! Je crois que c’est le temps que Dieu a choisi pour lever une grande armée de jeunes – une génération de Josué. Des jeunes qui brûlent de passion pour Jésus et qui ont le cœur de voir une transformation radicale dans leur nation.

Je vous présente les formations pour les jeunes dans l’Église. Ce sont ces formations destinées aux générations Josué, Daniel ou encore Joseph. Il y en a autant que de « jeunes » dans les pages de la Bible. Et chacun y va de son personnage biblique. Étrangement la seule « jeune » qu’on ne trouve pas dans le titre de toutes ces formations… c’est Marie. Et oui ! Pas de « Génération Marie » sur le web évangélique. Vu la foi de cette jeune femme, c’est assez tragique ! Aurions-nous déjà oublié de la dire « bienheureuse » ? Je reconnais moi-même que cela serait peut-être mal compris. Alors soit. Exit Marie. Tragiquement.

Et comme il faut être « tendance » pour être crédible, on affuble de titres improbables les nouvelles formations. Pourquoi pas : « Génération Joseph 2.0 ». Inventons un slogan : « La nouvelle mise à jour des jeunes qui s’engagent pour ranimer le feu dans l’église. »

Ce ne sont que quelques commentaires, parmi d’autres, entendus assez régulièrement au cours des derniers mois. Mais je suis bien certains que ce genre de commentaires soient bien familiers à tous les lecteurs. Ils font les titres des journaux chrétiens, et font l’objet de livres et articles de mission et d’évangélisation. On invoquera le « feu » du renouveau à venir sur « cette » génération – sans préciser pour autant de quelle génération il peut bien s’agir.

Cependant, ce qui me perturbe un peu, ce n’est pas que des jeunes se décident massivement à servir leur Seigneur. Qui le pourrait ? Continuons de nous réjouir lorsque nous voyons des gens de toute nation, de toute langue, et de toute génération venir agrandir la grande foule de témoins qui suivent Jésus-Christ. Je ne suis pas non plus gêné par cette grande question que l’Eglise doit continuer de se poser : comment reconnaître la place importante de chacun dans l’Eglise. Y compris des jeunes.

Alors autant le répéter afin de ne pas être mal compris : je ne pense pas que les jeunes ne sont pas importants dans l’église. Leur place est très importante et je crois aussi que souvent ils ne l’ont pas trouvée. Je ne veux donc pas insinuer dans le reste de ces quelques pages que nous n’avons pas à nous préoccuper des jeunes dans nos églises. Je crois même que lorsque nous disons que les jeunes sont « l’avenir » de l’église nous insinuons en fait sans le vouloir qu’ils sont l’avenir de l’église et pas son présent. Ce qui est une sérieuse erreur.

Mais je suis plus que sceptique quant à cette réjouissance un peu trop rapide face à une « église de jeunes ». Pour le demander clairement : devons-nous nous réjouir lorsqu’une église assemble essentiellement des « jeunes » – ce par quoi beaucoup veulent dire les moins de 30 ans ? Faut-il se réjouir qu’il y ait plus de jeunes que de « vieux » – ce par quoi d’autres veulent dire les plus de 35-40, dont je ne fais d’ailleurs plus partie ? Laissez-moi argumenter brièvement qu’il ne faut pas forcément s’en réjouir, et que dans la situation présente il ne faut peut-être pas du tout s’en réjouir. Je donnerai seulement quatre raisons.

Premièrement, si l’Église se voit confier le mandat missionnaire résumé par l’envoi de Mt 28, il faut bien nous rendre compte que ce mandat concerne le monde entier, à commencer par ceux qui nous sont proches, déjà au niveau national. Il nous faut aller par toute la terre faire des disciples, les baptiser et leur enseigner à garder le fondement biblique communiqué par Dieu dans sa révélation. Il nous faut donc aller vers. Et vers qui ? Vers tous ceux qui composent la diversité démographique du monde dans lequel nous vivons !

En d’autres termes, il faut que notre ministère – ainsi que l’effort missionnaire, diaconal, et évangélisateur de nos églises – reflète plus ou moins les conditions de notre société. Notre Église doit répondre aux conditions ethniques, socio-économiques, et bien sûr, démographiques. Autant dire qu’une église manifeste la pertinence de son ministère pour notre société lorsqu’elle manifeste qu’elle est prémices du royaume, c’est à dire lorsqu’elle est ambassadrice de la réconciliation. On pense souvent que cette réconciliation touche d’abord, et essentiellement, les rapports entre hommes et femmes, ou encore entre peuples et personnes d’origines religieuses et ethniques différentes. Mais cette réconciliation ne s’applique-t-elle pas finalement à tout ce qui divise les communautés humaines ? Là où des pays sont divisés à cause de la « race » ou de l’origine ethnique et tribale. Là où des communautés étaient divisés par leur genre biologique, notre société contemporaine n’est-elle pas divisée démographiquement ? Ne sommes-nous pas dans une société du mythe de la jeunesse éternelle, une société qui valorise la jeunesse et parque ses seniors dans des lieux « adaptés » lorsqu’ils ne sont plus productifs ou « utiles » pour la société ? L’église, ambassadrice de la réconciliation n’aurait-elle pas un message d’espérance à proclamer, et à vivre ?

Le rôle de l’église est de consciemment se faire tout pour tous.

Si tel est le cas, il est vraisemblable que le rôle de l’église soit de consciemment se faire tout pour tous, et donc se fasse ministre envers tous, et donc, une fois encore, envers toutes les tranches démographiques de la population française. Or, pour manifester cela, l’église se doit de refléter, volontairement et consciemment le monde dans lequel elle a été placée par son Seigneur. Elle doit donc être l’image démographique de son pays, de sa région, de sa ville. Prenons donc la France. Les dernières statistiques officielles sont les suivantes

Il y a en France autant de moins de 20 ans que de plus de 60 ans, soit environ 24,5% de chaque tranche d’âge. Autrement dit, la population se répartit à moitié entre les plus et les moins de 40 ans. Patrick Nussbaumer a raison de demander, dans son article publié dans les Cahiers de l’école pastorale :

« Quelle est la place des jeunes dans l’Église ? C’est un sujet très important, mais difficile à appréhender, source de beaucoup de frustrations et de culpabilités. 25% de la population française ont moins de 20 ans. Autrement dit, en France, une personne sur quatre a moins de 20 ans. Avons-nous la même représentation dans nos Églises ? »1

A priori, cela militerait pour une plus grande présence de « jeunes » dans l’Église. Avons)nous la même représentation dans nos Eglises ? Avons-nous 23,7% de moins de 20 ans dans nos Eglises ? Un grand défi.

Mais il y a aussi l’autre côté de la pièce : avons-nous 20,7% de plus de 60 ans dans nos églises ? Certains répondrons sans hésitation par l’affirmative. C’est le cas de beaucoup d’Églises, effectivement. C’est le cas de la plupart des Eglises. C’est probablement vrai.

Posons une question plus difficile. Nous voulons plus de jeunes dans l’Eglise, au moins jusqu’à ces fameux 25%. Dirions-nous la même chose pour les personnes plus âgées ? Dirions-nous, consciemment, que nous désirons qu’un quart de nos membres aient plus de 60 ans ? Le désirons-nous autant que dans le cas des « jeunes » ? Pour le dire autrement : Valorisons-nous autant les « seniors » dans nos Églises, que nous ne valorisons les « jeunes » ? Est-ce que nous en faisons les mentors de nos jeunes ?

Prenez l’exemple de la région valentinoise. Faudrait-il se réjouir d’une église dans laquelle il y aurait beaucoup de jeunes Et bien regardons. Valence : environ 38% de mois de 30 ans. Dans les autres agglomérations autour de Valence (Portes-lès-Valences, Guilherand-Granges) : en moyenne 30-34% de personnes de moins de 30 ans. Résultat ? Si l’église est fidèle à l’accomplissement de tout son mandat missionnaire, c’est à dire si elle va vers toutes les populations, alors il devrait y avoir dans les églises valentinoises un peu plus de 1/3 de « jeunes ». Et ce dans n’importe quel type d’Églises !

Mais il y a aussi environ 27% de personnes de plus de 60 ans dans cette ville. Si nous voulons prendre en compte toute la population que nous servons, en tant que témoins de la grâce, nous devons aussi développer une évangélisation tournée vers ces personnes. Et bien sûr, il y a les 35% entre les deux. L’accent parfois exclusif sur le ministère pour les jeunes a tendance à nous faire oublier qu’il y a 62% (sur la ville de Valence) de personnes qui doivent eux aussi entendre la proclamation du règne de Jésus-Christ.

Cela m’amène à la deuxième raison pour laquelle j’ai parfois du mal à me réjouir d’une « église de jeunes » : nous avons parfois volontairement délaissé ceux qui représentent une partie significative de la population, et pour cela il n’y a pas d’excuses. Si la Bible valorise parfois la jeunesse, elle a une très haute opinion de la sagesse acquise par l’âge et l’expérience. Honneur et respect sont dus aux « anciens », comme le rappelle Job 12.12 : « Chez les vieillards se trouve la sagesse, Et dans une longue vie l’intelligence. » Pour aller un peu plus loin, et comme le fait justement remarquer Florent Varak, la manière dont nous traitons nos aînés, et la place que nous leur donnons, indiquent la profondeur et l’obscurité de notre péché. La mauvaise direction, l’idéal de la jeunesse, voilà une mise en garde du prophète Esaïe : « Je leur donnerai des jeunes gens pour chefs, Et des gamins domineront sur eux. Parmi le peuple L’un opprimera l’autre et chacun son prochain ; le jeune homme attaquera le vieillard, et le vulgaire celui qui est honoré. » (Es 3.4-5)2 De plus, il faut bien réaliser que ce sont les aînés qui sont la mémoire de l’histoire du salut, et la mémoire de l’action fidèle de Dieu en et pour nos églises. Sans eux, plus de mémoires, plus de louange pour ce que Dieu a fait dans le passé ! Nos pères nous ont raconté souligne le Ps 44.2. Quelle place, dans nos églises, à cette merveilleuse mémoire de la fidélité de Dieu ?

D’autant plus que cette présence des aînés est aussi une manière de les servir dans une période difficile de la vie humaine : la vieillesse. Cette vieillesse qui attend chacun d’entre nous est un défi, une épreuve, et il est difficile de la traverser. Le soutien du Corps de Christ sera d’autant plus important. Et ils nous montrent l’exemple de la foi, à l’image de Paul :

« Me voici déjà offert en sacrifice, le moment de mon départ est venu. Je me suis bien battu, j’ai tenu jusqu’au bout de la course, je suis resté fidèle. Je n’ai plus qu’à recevoir la récompense du vainqueur : dans sa justice, le Seigneur, le juge impartial, me la remettra en ce jour-là, comme à tous ceux qui auront désiré avec amour sa manifestation dans la gloire. » (2 Tim 4,6-8)

La présence des aînés dans l’Eglise est une manière de les servir dans une période difficile de la vie humaine : la vieillesse.

Cette persévérance, cette volonté de démontrer de manière vivante la foi, c’est en partie l’expérience de l’âge. Je suis reconnaissant d’avoir eu comme exemple un aîné de mon église d’origine qui a démontré l’importance de la communion fraternelle tout simplement. Il a persévéré dans sa vie professionnelle, dans ma campagne drômoise natale. Il toujours simplement vécu l’Eglise, et a persévéré dans la foi. L’exemple ? Croire. Continuer à croire. Malgré les souffrances, malgré les décès des très jeunes enfants, malgré les guerres. Envers et contre tout, croire fidèlement. Voilà l’exemple de toute une vie passée dans la foi en le Ressuscité dont la sagesse et la persévérance ont été un exemple.

Je rends grâce pour cet aîné qui est depuis passé dans la gloire. Une telle persévérance est rare : elle s’acquiert avec l’âge, et uniquement avec l’âge. Ce sont les épreuves qui fondent, au sens métallurgique du terme, la persévérance, comme au travers du feu. Ce sont les années qui nourrissent l’amour, les défis quotidiens qui renforcent la foi. Cette dernière devient alors un modèle pour les autres. Surtout pour les jeunes.

Mais faisons-nous bien cas de ce précieux don que Dieu place dans nos églises ? Non. Nous continuons à ne voir que la jeunesse, nous sommes fixés sur le « nombre » de jeunes dans nos églises et déplorons le nombre de « vieux ». Voir les choses ainsi, c’est créer des barrières au sein du corps de Christ, c’est diviser le Corps de Christ. Nous morcelons le corps en parties « utiles » et parties « inutiles ». En faisant cela, nous nous sommes vendus à l’esprit du siècle qui est en adoration devant la jeunesse.

J’entends parfois certains évangélistes émotionnels dire « je pleure sur cette génération de jeunes qui ne connaît pas Jésus ». Soit. Mais les « jeunes » en France ne représentent que 25% de la population. Donc nous devrions pleurer pour ces 25% et ne pas se préoccuper des autres 75% ? Vous entendez souvent des évangélistes dire : « Je pleure sur cette génération des 80-95 ans qui ne connaît pas Jésus » ? Non.

Alors considère-t-on que les jeunes sont plus importants que les autres ? Dans un certain sens, je crains que ce soit bel et bien le cas. En plus, c’est quand même plus attractif d’avoir un ministère parmi les jeunes qu’en maison de retraite. Et moi, c’est ça qui me donne envie de pleurer. Même l’Église de Christ abandonne certaines personnes au profit d’autres censées être « l’avenir ». C’est en tous cas l’image illusoire que nous donnons à nos jeunes en formation spirituelle.

Voilà ce qui me pose problème dans la mythologie grandissante des église « jeunes », ainsi que dans notre volonté de toujours développer des ministères tournés vers les « jeunes ». Nous considérons que les autres, les seniors notamment, ne valent pas le coup. Je m’excuse profondément de le dire ainsi, mais je ne vois pas d’autre moyen de le dire. Car c’est en fin de compte la triste réalité. Nous avons re-divisé l’église. Alors oui, il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni libre ni esclave, ni homme ni femme. Par contre qu’est-ce qu’il y a comme « jeunes » et « vieux » ! Et honnêtement, quand nous donnons l’impression que les « vieux » n’ont plus vraiment grand chose à apporter à l’Eglise et qu’il faut qu’ils laissent la place aux jeunes, je doute que nous devrions chanter :

“Jeunes et vieux se réjouiront ensemble :
Les jeunes filles danseront de joie !”

Les uns valent mieux que les autres. Pourquoi ? Encore et toujours parce que selon le faux évangile de l’éternelle jeunesse : les jeunes sont l’avenir de l’église.

Et bien, non. Non. Les jeunes ne sont pas l’avenir de l’église.

Cela m’amène à ma troisième raison : L’avenir de l’église c’est, encore et toujours, tous ceux qui font partie du Corps de Christ. Ce ne sont pas les jeunes. L’avenir de l’Eglise, c’est tous ceux qui, quels que soit leur âge, viendront je joindre au Corps de Jésus-Christ.

L’avenir de l’Église, c’est ceux qui en font partie maintenant et qui contribueront à sa croissance. Quel que soit leur âge. Autrement dit, l’avenir de l’Église, c’est l’accomplissement de la mission de Christ, la croissance du Corps de Christ et le retour de ce dernier. L’avenir de nos églises locales ce ne réside pas dans tel ou tel groupe démographique, pas plus qu’il ne réside dans telle ou telle génération. Cela n’a jamais été le cas, et ce ne sera jamais le cas. L’avenir de l’église c’est que des gens de toutes nations, de toutes origines socio-économiques et démographiques, viennent à Christ. Or la conversion des plus âgés parmi nous a quelque chose à nous apprendre. Le retraité de 68 ans qui se convertit à Christ aura peut-être un plus grand ministère dans nos églises que le jeune de 22 ans tout feu tout flamme qui ne sait encore rien des difficultés de la vie !

Seulement, des convertis de 68 ans il n’y en a pas. Pourquoi ? Parce que nous avons cédé à l’idéologie de la jeunesse éternelle que la société contemporaine nous assène à renfort de publicités, de films et de coups médiatiques. Et l’église, qui se devait d’être un lieu de justice, de paix et de réconciliation, a troqué son mandat missionnaire contre un vulgaire plat de lentille, une soupe de jeunesse éternelle.

J’ai d’ailleurs le plus grand respect, de l’admiration même, pour la décision d’une Eglise que je connais bien, pour son pasteur et le seul ancien de son Église. Contre toute la tendance actuelle à la « jeunisation » des Églises, ils ont choisi de reconnaître comme deuxième responsable un homme que les statistiques considèreraient, au minimum, comme un « senior ». Ils ont, avec une sagesse contre-culturelle incompréhensible pour notre société, choisi quelqu’un qui a vécu des choses extrêmement difficiles, qui a vécu un renouveau, une vraie compréhension du pardon, au cours de ce fameux « troisième âge ». Trop tard ? Faudrait-il choisir un jeune comme responsable d’église ? Non. Car votre jeune est plein d’enthousiasme, mais a-t-il de la persévérance ? Il est chrétien depuis deux ans seulement : c’est peut-être un peu tôt. Oui, il sait bien parler, c’est un bon « conducteur de louange ». Mais sait-il écouter ceux qui font face au suicide et à la dépression ? Sait-il rester en silence en face des souffrances qu’ile ne comprend pas ?

Alors oui, je sais que c’est beaucoup plus sexy de dire qu’on a un ministère de « renouveau parmi la jeunesse » que de dire qu’on a un ministère de soutien pour les octogénraires isolés.

Oui, c’est moins sexy de dire qu’on est pasteur/diacre spécialisé en accompagnement de fin de vie que de dire qu’on est implanteur d’église en milieu universitaire. Et oui ! Il y en a un qui fait rêver et l’autre qui fait… bon, vous voyez ce que je veux dire Mais où est notre priorité ? Développer des ministères très « tendance » ou créer des ministères qui s’occupent de tout le monde ? Malheureusement, je crois que nous – je dit bien « nous » – n’avons pas encore fait toute la réflexion que nous devrions proposer sur le sujet. Nous avons même tendance à capituler devant la pression de la jeunesse éternelle.

Ai-je considéré comme plus désirable que des jeunes viennent se former et que les autres…

Même si j’ai tendance à dire le contraire, c’est aussi mon cas. Est-ce qu’à la faculté de théologie, je ne réjouis pas plus d’avoir des candidatures de jeunes de 18-30 ans plutôt que de personnes de 50-65 ans ? Je confesse que c’est le cas. Mais pourquoi ? Parce qu’une personne de 55 ans, une fois formée en théologie pastorale, n’aurait qu’un ministère de 10 ans, alors qu’un jeune serait dans le ministère pendant 30 ou 40 ans ? Peut-être. Et alors ? La durée du ministère n’a jamais été la seule mesure de sa fidélité ! Ai-je considéré comme plus désirable que des jeunes viennent se former et que les autres…

Si c’est le cas, alors franchement je demande pardon à mes frères et sœurs que je défavorise simplement à cause de leur âge. Je vois alors aussi que cette tendance à discriminer sur la base de la génération est une idole. Idole de la jeunesse. Cette idole je peux la combattre.

Cette idole, nous devons la combattre, la réduire en pièce, la brûler en place publique, et jeter ses cendres dans le Rhône. Est-ce que je continuerai à défendre l’idole de la « jeunesse éternelle » dans l’Église, ou est-ce que j’essaierai de promouvoir une inclusion de toutes les générations dans le peuple de Dieu, et dans la formation théologique ? À ce stade je n’ai pas besoin de conclure. Vous pouvez facilement le faire à ma place.

De plus, si nous ne développons pas volontairement ces ministères de soutien à nos aînés, nous abandonnons toute une population qui fait face à de grandes difficultés. Rappelons-nous que même si c’est encore tabou, 33% des suicides enregistrés en France (sans compter ceux qui n’apparaissent pas dans ces chiffres) concernent les plus de 60 ans ! Je ne sais pas si vous pouvez prendre conscience de ce chiffre ahurissant. Cela représente presque 33 000 personnes par an ! Presque 95 personnes par jour !

Le taux de suicide chez les hommes de 75 ans et plus, est donc 7,5 fois supérieur à la moyenne ! Chez ces derniers le taux de mortalité de 150 pour 100.000 habitants, en fait le chiffre le plus élevé d’Europe. Mais tous ces chiffres sont encore difficiles à accepter et nous ne savons souvent pas quoi faire. Le professeur Michel Debout, président du Conseil d’administration de l’Union Nationale pour la Prévention du Suicide souligne : « Il faut que les générations plus jeunes ainsi que les seniors aient un regard nouveau sur le vieillissement », mais nos églises aussi ! En tout cas c’est notre responsabilité si nous voulons être des témoins fidèles de Christ !

Et ne croyez pas que nos églises sont à l’abri de cela. Par exemple une « aînée » qui demande en réunion de prière que l’église prie pour que ses enfants et petits-enfants lui rendent visite ne fait pas qu’une demande de prière. Elle affirme aussi son isolement, son désespoir même face à la solitude. Quand les choses en sont là, il est parfois trop tard : « En effet, lorsque les aînés ont l’impression de devenir une charge, un poids pour leur famille et pour leurs proches, quand ils ont le sentiment de ne plus servir à rien, certains n’hésitent à pas à commettre l’irréparable et contrairement aux plus jeunes, les seniors se ‘ratent’ rarement »3.

Vous avez bien prit conscience des derniers mots ? Ils se ratent rarement. Les jeunes font des « tentatives », car ce sont des appels au secours. Les aînés ne font pas de « tentatives ». Ils réussissent. Pourquoi ? Parce que tout le monde, parfois même l’Eglise, leur envoie un message plus ou moins clair : ils n’ont plus rien à apporter. Ils sont devenus inutiles. Et pour nous, cela devrait être inacceptable car leur identité de disciple n’est pas fondée sur ce qu’ils peuvent encore faire, mais sur ce qu’ils sont. Dans l’Eglise c’est encore plus inacceptable car cela touche des hommes et des femmes qui sont images de Dieu et qui nous sont unis en Christ. Et donc des frères et des sœurs à qui nous devons l’amour fraternel. 

Enfin, ma quatrième raison : si l’église met tellement l’accent sur les « jeunes », n’est-ce pas parfois parce que nous avons nous aussi gobé le mythe de la jeunesse éternelle ? J’y ai déjà fait référence mais je ne peux m’empêcher d’y revenir. La société valorise le corps de la femme éternellement jeune, au corps éternellement attirant. Il faut être une femme de 65 ans sans rides, au teint aussi plat que la mer un jour de grand calme. Tout est fait pour cacher la vieillesse, au point où on valorise même les endroits où nous cachons nos aînés sous prétextes qu’ils sont mieux soignés dans ces lieux spécialisés. Et surtout ils ne sont plus sur la place publique qui elle doit être occupée par la jeunesse.

Et nos églises ne sont pas en reste. Des églises évangéliques, charismatiques, aux déclarations papales, tout le monde entonne le mantra : « Les jeunes sont l’avenir de l’église ». Jean-Paul II disait déjà en 1991 : « Les jeunes sont les premiers protagonistes du troisième millénaire…ils marqueront le destin de cette nouvelle étape de l’humanité ». Et le récent « ancien » pape, Benoît XVI de renchérir : « La jeunesse est l’espoir et l’avenir de l’Église et du monde ». Il est trop tôt pour savoir ce que le pape François dira à ce sujet – il est d’ailleurs si étrange de pouvoir citer trois discours contemporains de trois papes différents ! Les jeunes sont l’avenir de l’église. Ou pas.

Ainsi, je ne pourrais pas dire avec Nussbaumer, dans son article qui est, en dehors de cela, très bon, que « la jeunesse est un élément important et déterminant pour le royaume de Dieu »4. Ce qui est déterminant, c’est que beaucoup viennent à Christ et soient ajoutés au royaume. Que ce soient des jeunes ou des moins jeunes, n’a pas d’importance. Je ne peux pas prier qu’une génération de jeunes se lèvent. Pas avec tous les autres sous-entendus. Par contre je peux prier pour que nous tous, dans nos églises, ne construisions pas notre ministère sur la base d’une seule préférence générationnelle.

Que la moyenne d’âge soit de 32 ans ou de 57 ans compte finalement bien peu.

De plus, dire que les jeunes sont « l’avenir » de l’église, n’est-ce pas implicitement, et bien inconsciemment, sous-entendre qu’ils n’en sont pas le présent. Ils sont l’avenir. Pour le moment ils ne sont rien. Mais un jour ils seront importants. Ils seront le présent de l’église. Un jour, mais ce n’est pas aujourd’hui. Aujourd’hui ils sont juste des enfants, des ados, des jeunes en voie de devenir des adultes. Voilà aussi une sérieuse erreur. Ce n’est pas étonnant que nos enfants, ados, et jeunes ne trouvent pas de place dans l’église si nous considérons qu’ils n’en sont pas le présent ! D’ailleurs en conclusion privilégier les jeunes « avenir de l’église » au détriment des aînés c’est à la fois dire aux aînés qu’ils ne comptent plus et aux jeunes qu’ils ne comptent pas encore (assez) ! Qui reste-t-il alors ? Les 40-50 ans ? Clairement, nous avons un sérieux problème.

Qu’allons-nous faire ? Faut-il faire toujours plus d’efforts pour « conquérir la jeunesse pour Christ » ? Est-ce que cela doit consumer nos prières et diriger nos visions d’Églises ? Si nous sommes poussés par un souci de témoigner à toutes les générations, soit. Mais arrêtons alors de regarder la moyenne d’âge de nos Églises et ne soyons plus aussi obsédés par la croissance de notre groupe de jeunes. Regardons plutôt si nos Églises sont ambassadrices de réconciliation trans-générationnelle. Alors elle démontrera qu’elle est bel et bien Corps de Christ. Que la moyenne d’âge soit de 32 ans ou de 57 ans compte finalement bien peu.

« Les jeunes sont l’avenir de l’Église » : c’est de la mystagogie. Elle est souvent involontaire, mais elle l’est quand même. Si nous y réfléchissons un peu, nous nous rendons compte que cela n’a pas de sens. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas le moteur de notre ministère ou de la croissance de l’Église. J’appelle de mes prières le jour où nos Églises encourageront les jeunes à se diriger vers un ministère. Heureusement c’est déjà le cas. J’appelle aussi de mes prières le jour où nos Églises encourageront les jeunes à envisager une vocation, un service, de soutien envers nos aînés. Et c’est un peu moins souvent le cas. Il n’y aura alors, ni jeune ni vieux dans le Corps de Christ. L’Église sera alors vraiment réconciliatrice des générations.

_________________________

Notes :

1 Patrick Nussbaumer, « La place des jeunes dans l’Église », Les cahiers de l’école pastorale, no. 84, 2012, en ligne, http://www.croirepublications.com, consulté le 2 février 2019.

2 Florent Varak, « La place des aîné(e)s dans l’église (Tite 2.1-5) », Un poisson dans le net, http://www.unpoissondansle.net, consulté le 25 mars 2013.

3 « Triste constat : les seniors représentent un suicide sur trois en France », 2 février 2006, en ligne, http://www.senioractu.com, consulté le 2 février 2019.
4 Patrick Nussbaumer, « La place des jeunes dans l’Église », Les cahiers de l’école pastorale, no. 84, 2012, en ligne, http://www.croirepublications.com, consulté le 2 février 2019.

_________________________

Copyright (C) 2013 Yannick Imbert
Permission is granted to copy, distribute and/or modify this document under the terms of the GNU Free Documentation License, Version 1.3 or any later version published by the Free Software Foundation; with no Invariant Sections, no Front-Cover Texts, and no Back-Cover Texts. A copy of the license is included in the section entitled “GNU Free Documentation License”.