Robert Stromberg, “Maleficent”, Walt Disney Pictures, 2014.
Robert Stromberg, “Maleficent”, Walt Disney Pictures, 2014.

Robert Stromberg, “Maleficent”, Walt Disney Pictures, 2014.

Je ne suis pas un grand fan de Disney. Peut-être même que je ne l’ai jamais été… mais ma mémoire ne remonte pas aussi loin. Ainsi, je n’ai jamais eu l’intention de voir Maleficent, le dernier « remake » par Disney du conte de fées La Belle au bois dormant. Et cependant, si j’écris ces lignes, c’est que de toute évidence je l’ai vu!

On m’avait dit : « encore une fois Disney tourne le bien en mal et le mal en bien. » D’ailleurs certaines recension s’en font l’écho : « Disney est le principal danger en ce moment. » Alors bien sûr à force d’entendre cela, j’ai eu encore moins envie de le voir. Et puis finalement, en relisant par curiosité la fable originelle de Giambattista Basile, « Le Soleil, la Lune et Thalie » inclut dans son fameux recueil Pentamerone (ou Lo cunto de li cunti)1, je me suis rendu compte, chose normale, que nos contes évoluent avec nos sociétés. Si les contes sont des paroles, rappel, narrations interprétatives du monde qui nous entoure, alors les plus grands « classiques » sont appelés à changer. Pour la petite histoire, voici la rencontre du prince et de Thalie (la princesse) dans le conte de Basile :

« Quand le roi vit Thalie, qui semblait enchantée, il crut qu’elle dormait, et il l’appela, mais elle est resta inconsciente. Criant, il vit ses charmes et sentit le cours de son sang couler chaudement dans ses veines. Il la souleva dans ses bras, et la porta sur le lit, où il recueilli les premiers fruits de l’amour. La laissant sur le lit, il est retourné dans son propre royaume, où, pour un temps il ne pensa plus à cet incident. »

Hum… nous y reviendrons. En langage courant on appelle ça un abus, ou un viol… tout dépend comment vous interprétez les « premiers fruits de l’amour » ! Bref, de toute évidence ce n’est plus le conte de Disney. Tout a changé.

Je me suis donc laissé tenté. Si je n’ai pas été impressionné ni par la réalisation, ni par les acteurs, une chose pourtant a retenu mon attention : la réaction de la critique chrétienne, particulièrement « évangélique ». D’un côté, tout était joué d’avance. Rien que de savoir que Disney proposait de voir le conte La Belle au bois dormant à travers les yeux de la reine maléfique (« maleficent » en anglais, je garderai ce mot qui est d’ailleurs son nom propre)… on ne pouvait que s’attendre à une levée de boucliers en plastique de la part du monde évangélique.

C’est vrai que nous avons été habitués ces dernières décennies à voir le mal comme relatif, comme le produit de la culture, comme le résultat d’une mauvaise éducation? Nous ne le voyons plus comme un choix éthique personnel ayant des conséquences dévastatrices. Certainement, je le redirai encore de crainte que quelqu’un oublie que je l’ai écrit, nous avons été habitués à croire que le bien est mal et que le mal est bien. Et il y a bien sûr là une grande confusion.

Il en serait de même ici.

J’ai été très tenté de le croire. Et en fin de compte, je n’en suis pas si certain.

Ce que nous avons dans ce film de réalisation assez moyenne, c’est une fée, Maleficent, future protectrice de son royaume, qui s’attache fortement à un humain au point de croire au « vrai amour » (oui, cela a toujours fait partie des contes). Mais cet humain (homme, même), Stefan, est comme la plupart des autres humains : plein de désir et assoiffé d’orgueil2, et cette volonté de puissance deviendra une barrière infranchissable entre Stefan et Maleficent. Le cœur humain semble en effet toujours prêt à détruire pour assouvir sa soif de pouvoir, de conquête et de gloire. Et cependant, nous rapporte le premier tiers du film, Maleficent lui pardonna « sa folie et son ambition »…

Jusqu’au jour où le roi – avec des air de George R. R. Martin, barbe inclue – décida que son héritier serait celui qui lui permettrait de conquérir le royaume de Maleficent. Évidemment cette conquête passait par la mort de Maleficent. Tout est prêt maintenant pour le premier drame. On s’y attend : Stefan trahit Maleficent, essaie de la tuer, mais n’y arrivant pas, lui arrache ses ailes pour (fausse) preuve qu’il l’a bien tuée. Le roi le fait son héritier.

Faisons une petite pause ici pour souligner une chose importante. En tous cas pour souligner une leçon apologétique. Je comprends (car j’ai beaucoup d’imagination) que certaines aient détesté ce film, le trouve dangereux et recommandent de ne pas le voir3. Mais la leçon apologétique cruciale, c’est que nous devons nous saisir des questions que posent nos contemporains. Nous ne devons pas les regarder, choqués et méprisant. Nous devons nous emparer pleinement de leurs questions, de leurs drames et de leurs souffrances car nous sommes convaincus qu’ils ne peuvent trouver paix, consolation et repos qu’en Christ. Mais cela demande de prêter une grande attention à ces drames et à ces questions.

Dans un film comme celui-ci, lorsqu’une scène en particulier retient l’attention de nos contemporains, je pense que nous n’avons pas le choix : nous devons essayer de comprendre pourquoi cela retient leur attention. La scène juste décrite, dans laquelle Stefan arrache les ailes de Maleficent a été regardée, ou plutôt vécue, par beaucoup comme une allégorie du viol4. C’est d’ailleurs probablement ce que c’est :

« Imaginez que vous avez êté droguée par quelqu’un en qui vous aviez confiance. Vous vous réveillez le matin, le visage dans la poussière. Vous avez mal. Votre apparence a changé et vous pouvez sentir que vous êtes différente alors que vous essayez de vous relever malgré la douleur. Au-delà de cet aspect physique, votre pouvoir vous a été volé Votre dignité. »5

Bien sûr certains ont vu à travers cela un commentaire plus large sur l’oppression : « Comme la plupart des victimes de l’oppression, la personne abusée répond en nature. Elle s’en prend à ceux qui sont plus petits et plus faible qu’elle. » Quoiqu’il en soit, le monde évangélique reste silencieux.

Face à cela, tous les critiques évangéliques que j’ai lus sont restés tragiquement silencieux. Oui, clairement la culture du viol dans notre société contemporaine n’appelle pas de parole et d’action de la part de l’Église… Ou alors ai-je raté quelque chose ?

Venons-en au bien et au mal. Je voudrais souligner plusieurs choses. Trois en particulier.

(1) Premièrement, nous avons besoin de héros qui restent des héros ; nous avons besoin d’antagonistes qui cristallisent l’opposition et qui, en cristallisant ce mal, servent à démontrer que le mal sera un jour totalement anéantit. Comme le disait Chesterton, comme le rappelait ensuite Lewis, laissons le mal être mal pour que les enfants voient que ce dernier peut être aboli. Entièrement, radicalement. Laissez le mal être mal pour que l’espérance puisse fulgurer dans les ténèbres. Laissez des dragons détruire un royaume enchanté, laissez un paladin venir se sacrifier pour sauver le peuple ; laissez l’ogre être décapité, laissez la justice être restaurée. C’est cela le pouvoir des contes de fées.

(2) Deuxièmement, nous devons laisser le mal être transformé en bien. Il ne s’agit pas de dire que le mal est un bien, mais d’affirmer que le « changement radical » est possible. C’est affirmer que le mal n’est pas automatique et n’est pas nécessaire. C’est aussi affirmer que le mal a une origine, qu’il ne fait pas partie du monde.

(3) Et enfin, troisièmement, cela signifie que nous devons absolument maintenir que rien n’est mauvais à l’origine, comme le disait Gandalf.

Je ne saisit alors pas très bien la critique obstinée du « mal pour le mal » ou du « bien et le mal se valent ». Nous aurions pu craindre cela. C’est vrai que la dernière phrase du film est peut-être la plus ambiguë : « Le royaume fut unit non pas par quelqu’un qui était soit héros soit antagoniste, mais par quelqu’un qui était à la fois héros et antagoniste, et son nom était Maleficent » Le bien et le mal, le héros et l’antagoniste sont-ils identiques, sont-ils égaux ? Tout se vaut-il ? Je ne suis pas personnellement convaincu que c’est cela que signifie cette dernière phrase. Maleficent a été héros et antagoniste, non pas en même temps, comme si le bien et le mal était identiques. Elle a été l’un puis l’autre, parce que nous ne sommes pas à l’abri du mal – nous l’avons tous vécu – et nous ne sommes pas hors de portée du rétablissement – nous l’espérons tous !

Cependant, jamais, dans les scènes finales, Maleficent ne prétend que ce qu’elle a fait était bien, que le mal était bien. Elle le regrette profondément. Est-ce de la repentance ? Hum… il faudrait encore voir. J’avoue être souvent sceptique lorsque les chrétiens voient trop facilement la rédemption partout.

Qu’il y ait bien quelque chose de problématique dans la confusion actuelle entre bien/mal, c’est certain. Que nous puissions être lassés par la rhétorique qui veut que si nous faisons le mal/du mal, c’est à cause de notre culture, de notre éducation, mais jamais à cause de qui nous sommes ;6 que finalement nous ne voulons pas le mal, mais que nous y sommes conduit… je le conçois bien, car je suis aussi un peu lassé par cette

Et cependant… je ne suis pas prêt à penser que parce qu’un personnage est le « méchant » il devait l’être nécessairement. Et je ne suis pas non plus prêt à croire qu’un « méchant » soit hors de portée de la rédemption.

Telle est ma foi.

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Notes :

1 Giambattista Basile, Le Conte des contes, Paris, Éditions de l’Alphée, 1986.

2 C’est bel et bien l’état du coeur humain, mais le tout est présenté de manière un peu rapide. Stefan est trop superficiel : comment devient-il aussi obsédé par le pouvoir ? Est-ce une fatalité de la nature humaine ? Est-ce simplement une lubie qui lui tombe dessus comme la foudre abat l’arbre isolé de la clairière ?

3 Après tout certains avaient dit la même chose du Seigneur des anneaux lors de sa publication il y a soixante ans !

4 « ‘Nous étions très conscients, l’écrivain et moi, que [la scène en question] était une métaphore pour le viol,’ a déclaré Angelina Jolie. ‘Le centre [du film] est l’abus ; comment la personne abusée a le choix entre abuser les autres ou surmonter son abus et demeurer une personne pleine d’amour, et d’ouverture. » Nina Bahadur, « Angelina Jolie: ‘Maleficent’ Scene Is A ‘Metaphor For Rape’ » The Huffington Post, en ligne http://www.huffingtonpost.com/2014/06/11/angelina-jolie-maleficent-rape-scene_n_5485633.html

5 Hayley Krischer, « The Maleficent Rape Scene That We Need to Talk About », Huffington Post, 06/06/2014, en ligne, http://www.huffingtonpost.com/hayley-krischer/the-maleficent-rape-scene_b_5445974.html?ncid=fcbklnkushpmg00000046

6 Comme ceci le résume bien : «Et maintenant, Godzilla est devenu une ‘figure du Christ,’ Hannibal est le spectacle cool du moment, et Cruella de Vil est en développement pour 2015 ; je dirais ‘la résistance est futile’, mais je m’attends à bien un Star Trek: Next Generation dans lequel on nous informera que les Borgs étaient juste une race extraterrestre bien intentionnée mais incomprise. » Kenneth R. Morefield, « Maleficent: She’s not bad, she was just drawn that way ». Christianity Today, en ligne http://www.christianitytoday.com/ct/2014/may-web-only/maleficent.html?paging=off