Brève recension de «Le Christianisme Hédoniste» de Michel Onfray
Brève recension de «Le Christianisme Hédoniste» de Michel Onfray

Brève recension de «Le Christianisme Hédoniste» de Michel Onfray

Une remarque d’introduction s’impose : si le nouvel athéisme Français n’a rien d’autre à offrir que le dernier livre de M. Michel Onfray, il est à craindre que cet athéisme ne sombre rapidement dans les abysses d’obscurité intellectuelle dont M. Onfray blâme le christianisme historique, et ce, avec un acharnement à la limite de l’obsession.

À la suite de son grand frère auto-plagié, le Traité d’Athéologie, Le Christianisme Hédoniste se veut une rectification, une correction, voire une révision  préméditée de l’histoire philosophique. En effet, ce livre s’inscrit dans l’œuvre plus large de M. Onfray, sa « Contre-histoire de la Philosophie » dont ce volume est la seconde instance. Et cependant, nous sommes malheureusement obligés de constater que l’entreprise de M. Onfray peut difficilement être qualifiée d’historique, et n’est philosophique que dans la mesure où le livre est écrit par un philosophe. La première page de ce livre nous conduit à cette conclusion navrante. Pour établir la controversée nature historique de ce volume, il suffit de lire :

« L’invention de Jésus, la construction violente et autoritaire du christianisme devenant religion de l’Empire tout entier avec le coup d’Etat de Constantin, le vandalisme volontaire de la soldatesque à ses ordres, la destruction des hommes, l’incendie des bibliothèques, la persécution des philosophes, la fermeture de leurs écoles, l’inscription dans le corpus juridique—Codes de Théodose et de Justinien—du statut d’extraterritorialité citoyenne des païens, le devenir culturel et planétaire de la névrose de saint Paul, le triomphe du Paulinisme—haine des femmes, du corps, de la chair, des désirs, des plaisirs, des passions, de la science, de l’intelligence, de la philosophie—, le devenir persécuteur, et pour longtemps, des anciens persécutés, tout cela produit une saignée dans l’Histoire qui prive les siècles suivants, le nôtre donc, d’une somme considérable d’informations sur cette longue période ». (13)

Noyés dans autant de clichés, que dire de la place que vont avoir l’ « histoire » et la « philosophie » dans le reste de ce volume ?

L’une des observations récurrentes à la lecture de ce livre, c’est que répondre à chaque approximation historique et philosophique serait une tâche trop fastidieuse pour être entreprise. D’autres part, et sans vouloir heurter la fierté d’écrivain de M. Onfray, rien de ce qu’il n’a écrit est bien nouveau, au contraire. Le christianisme historique a bien souvent du faire face à ce genre d’attaques souvent mal placées et plus encore mal formulées. Il n’est donc pas la peine d’y revenir, surtout dans une telle revue. Plus inquiétante est la présentation du livre comme étant une philosophie de l’histoire—ou une (contre) histoire de la philosophie. De « philosophique », l’ouvrage en a la teneur et le vocabulaire, mais pas l’argumentaire. En guise de tout argument, nous ne trouvons que  des oraisons sarcastiques et des litanies simplistes d’humaniste hédoniste. En lieu d’explications, nous ne trouvons que quelques formules lapidaires qui ne sont pas sans rappeler (quelle ironie !) certains procès attentés aux auteurs prisés de M. Onfray. Mais de tout temps, le ridicule, le sarcasme, l’ironie et les arguments ad hominem ont toujours été les plus simples et les plus efficaces pour masquer le manque de profondeur et/ou de justesse de l’analyse philosophie—et dans notre cas, théologique. Aucune citation, aucun engagement réel avec les sources primaires n’est vraiment démontré par l’auteur. Les conclusions des ressources secondaires mentionnées dans la bibliographie sont si peu présentes qu’il est aisé d’en faire abstraction.

Quant à « historique », l’ouvrage n’en a que le nom, et n’en fait en réalité aucun cas. Les chapitres ne sont qu’une succession, un digest, d’auteurs plus ou moins obscurs promus au rang de martyrs et de héros de la liberté humaniste (et donc nécessairement hédoniste). Les raisons de cette promotion ne sont malheureusement connues que de M. Onfray lui-même et nous aurions au moins pouvoir comprendre ces promotions. Ces pièces grossièrement raccommodées d’histoires (avouons-le) perdues ne donnent aucunement de perspective historique. En fait et place d’une contre-histoire, M. Onfray nous offre plutôt une a-histoire, étiquette d’un parallèle malheureux à son a-théologie. Plus sérieusement, une a-histoire peut-elle faire l’économie d’une a-philosophie ?

Ajoutons à cela les présentations erronées, mais bien conscientes, présentent dans certains passages du Christianisme Hédoniste. Par exemple, l’observation de M. Onfray à l’encontre de la « morale négative de Paul » (133) n’a comme justification possible que son oubli de la parole de Christ sur laquelle la morale de Paul est fondée : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c’est la loi et les prophètes » (Matthieu 7, verset 12, traduction Louis Segond). À noter l’aspect positif et actif de cette morale. Ainsi, dans cet exemple, bien paradigmatique malheureusement des distorsions intellectuelles volontaires de M. Onfray, le fameux Eloi de Pruystinck en apparence apprécié de M. Onfray ne se distingue pas en cela du « névrotique » Paul. Il est navrant que, en sa qualité d’intellectuel, M. Onfray ne fasse que soutenir et  nourrir les clichés bien connus du christianisme. Haine des femmes chez Saint Paul—sans bien sûr se pencher sur ce que Paul a vraiment dit : « Maris, aimez vos femmes, comme Christ a aimé l’Église, et s’est livré lui-même pour elle » (Ephésiens 5, verset 25). Haine du corps—encore une fois en oubliant Paul : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint Esprit » (1 Corinthiens 6, verset 19). Et nous pourrions multiplier les exemples, en passant par la haine de l’intelligence et de la philosophie : auquel jugement va la palme de la mauvaise foi. Car M. Onfray aurait-il oublié qu’un St. Augustin a étudié et integré un certains nombres d’aspects importants du néoplatonisme ou que Justin Martyr voit en les Platonistes une aide précieuse ; ou alors qu’Aristote est honorifiquement appelé « le Philosophe » par St. Thomas ? Il n’est même pas question de mentionner que St. Augustin développe une philosophie de l’histoire originale et consistante, qu’un Calvin révolutionne l’utilisation vernaculaire du Français en en faisant une langue à la fois populaire et rhétoriquement gracieuse. Ne parlons pas non plus d’un Pierre Bayle, un Bernard Palissy, un Isaac Newton, un Francis Bacon, un Johannes Kepler, et plus récemment d’un Dietrich Bonhoeffer ou un Albert Schweitzer ont tous radicalement contribué à leurs époques respectives. D’où le jugement que le christianisme est anti-intellectuel : cela est indéniable pour M. Onfray ! [1]

Mais non seulement M. Onfray ne lit pas correctement les théologies chrétiennes (ou du moins celles qu’il choisi de dénigrer) mais il est incohérent dans sa présentation de certaines philosophies, notamment l’épicurisme appliqué au christianisme. Dans son chapitre sur Erasme, il est bien conscient, et présente de manière claire, la définition du vrai épicurisme : ni passion, ni haine ; une vie équilibre en fait. Mais dans le chapitre précédent, sur Lorenzo Valla, il sous-entend que l’épicurisme de Valla est un épicurisme chrétien par excellence qui « défend tous les plaisirs ». Voilà en tout cas, pour en rester à la philosophie, une approximation impardonnable de ce que l’épicurisme se veut initialement. Mais afin de montrer les philosophes à sa manière, de tels changements importent peu à M. Onfray.

En réalité, M. Onfray peut faire preuve d’une facilite de lecture étonnante. Les vingt-cinq pages sur Erasme (183-207) sont d’une lucidité à laquelle M. Onfray ne nous a pas habitué au cours de ses précédentes litanies a-théo-logiques. M. Onfray peint souvent Erasme sous un jour plus favorable, notamment regardant son attitude par rapport aux femmes car il ne faut pas oublier que, pour l’honorable humaniste, la  soumission et l’obéissance de la femme sont de règles dans les régulations conjugales ! Cela va bien sûr jusqu’à la soumission de la jeune fille dans le choix de son futur époux—choix auquel elle ne participe pas. Mais cela M. Onfray l’efface. A la lecture de ce chapitre cependant, les conclusions apportées par M. Onfray lui-même mettent en cause la présence d’Erasme dans cette contre-histoire. Car pour qui Erasme est-il jamais tombé dans l’oubli, ou a-t-il jamais fait parti des ces philosophes libres en contraste radical avec l’Eglise ? Il est bien regrettable que même lorsque M. Onfray se voit en défenseur de certains auteurs à la Erasme, il n’y voit que de positif que les influences non chrétiennes qu’ils ont subi (en l’occurrence, « épicurienne »).

La bibliographie donnée en référence à la fin de l’ouvrage, même si elle fait abstraction de plusieurs ouvrages cruciaux (et reflète ainsi les biais philosophiques de M. Onfray), est bien pourvue, ce qui pose la question de savoir si M. Onfray a bien fait l’étude de ces textes (et nous n’avons pas de raisons de ne pas le croire). Comment donc expliquer la divergence entre les conclusions de ces ouvrages (que M. Onfray a lus et étudiés) et celles de M. Onfray lui-même ? Assurément ce n’est pas qu’il n’a pas compris leur teneur. M. Onfray est plus qu’un décent philosophe et sa clarté lors des universités d’été est évidence de sa qualité intellectuelle.

Se pourrait-il alors qu’il ne fasse aucun cas de ses ouvrages bibliographiques ? Cela semble être la seule explication possible. Non pas que les conclusions de M. Onfray trahissent une incapacité à formuler des conclusions adéquates, mais qu’il s’y refuse. Cette distorsion volontaire des ressources primaires et secondaires semble souvent flagrant au cours de son livre, et cela me pousse à conclure qu’il y a bien plus derrière son projet de révisionnisme philosophique qu’un simple désir de vérité. Il y a surtout un rejet (haine ?) irréversible et personnelle du christianisme. Ainsi, en raison de l’absence d’une clarté d’esprit critique, rien ne laisse présager que M. Onfray puisse un jour nous offrir un ouvrage historique digne de ce nom en ce qui concerne l’histoire de la philosophie et par extension une critique valable de la théologie par M. Onfray se fait toujours attendre.

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Note :

[1] Et la liste pourrait s’allonger car il faudrait mentionner en oubliant même d’autres figures des plus importantes : Albertus Magnus (pour son étude de l’arsenic), Nicolaus Copernicus, René Descartes, Blaise Pascal (loi de Pascal), Gottfried Leibniz, Thomas Bayes (le fameux théorème de Bayes), Gregor Mendel, Louis Pasteur, John T. Houghton (climatologie), Freeman Dyson, etc.