La liberté artistique et la culture du doute : Peter Jackson, “La bataille des cinq armées”, New Line, 2014.
La liberté artistique et la culture du doute : Peter Jackson, “La bataille des cinq armées”, New Line, 2014.

La liberté artistique et la culture du doute : Peter Jackson, “La bataille des cinq armées”, New Line, 2014.

Il me restait à écrire ma propre recension du dernier « Hobbit », La bataille des cinq armées. Certains n’ont pas manqué de me demander mon avis. Un mois a passé. Un mois nécessaire pour que retombe un peu l’émotion (souvent négative) suscitée par cette dernière sortie. D’avis personnel, je ne ferais que deux remarques. Tout a été dit, surtout le plus mauvais, à propos de la dernière trilogie de Jackson. Il aurait assassiné, défiguré, trahit, l’oeuvre de Tolkien. L’un des rares parmi les « tolkienistes », je ne suis pas d’accord, et ne reviendrais pas là-dessus. Par contre je dirai les deux choses suivantes :

Une création, pas une traduction

Les pourfendeurs jacksoniens le font toujours au nom du respect du texte de Tolkien

Ce faisant ils se font les seuls possesseurs d’une tradition littéraire. Je suis fier de dire que, pour moi, Tolkien appartient à tout le monde et à personne, surtout pas au Tolkien Estate, même si légalement c’est malheureusement le cas. Malheureusement, la plupart des tolkienistes, beaucoup sont des amis, ne partagent manifestement pas cet avis. Il y a un tabou, un sacré à respecter et tous ceux qui s’éloignent de l’interprétation « officielle » de l’oeuvre de Tolkien sont des traîtres. De mon côté, je ne suis pas un pharisien littéraire : j’ai apprécié ces films et ne m’en cache pas.

La raison principale au rejet des œuvres cinématographiques de Jackson, ce n’est pas sa vision personnelle, etc., mais une confusion au niveau de ce qu’est une adaptation cinématographique. Un film, basé sur un livre, est le plus souvent et à tort considéré comme une traduction. Un film aurait comme objectif d’être la traduction la plus fidèle possible (de type littérale ou « équivalence dynamique ») du livre. C’est là que se trouve l’erreur principale. Une œuvre cinématographique est une « nouvelle création »… pas une traduction ! Et si nous oublions cette simple distinction, alors oui, nous pourfendrons les « traduction visuelles » jugées pas tout à fait assez fidèles.

Le règne de l’argent…

« Pourquoi faire trois films au lieu de deux ? »
La question est en forme de critique

« Pour faire de l’argent bien sûr. »
La réponse est en forme de reproche.

Alors je ne redirais même pas qu’un réalisateur a bien le droit de faire trois films au lieu de deux, simplement parce qu’il veut le faire – n’en déplaise à ceux qui auront toujours quelque chose à y redire. C’est un choix qui fait partie de la liberté artistique. Quant à la remise en cause de la motivation derrière ce choix, il est presque fatiguant de l’entendre répétée depuis presque trois ans. Jackson veut s’en mettre plein les poches, c’est pour cela qu’il a voulu faire trois fils et non deux ! Malgré les efforts répétés de Jackson pour démontrer son attachement à l’oeuvre de Tolkien, qu’il connaît très bien et aime profondément, certains n’ont de cesse de douter de cette motivation.

Non… certainement Jackson a d’autres motivations, bassement financières ! Cette culture du cynisme, dans laquelle nous pensons toujours discerner une double motivation, innommable et honteuse, est une culture du doute radical. Le problème, c’est que si je dois douter de la motivation de Jackson, je dois aussi douter des motivations de tous les autres « adeptes », professionnels ou non, de Tolkien. Celui qui écrit le dernier bouquin sur Tolkien, surtout s’il se vend bien, a aussi des motivations financières ! Et le plus ordinaire des « fans » de Tolkien, quelles raisons ai-je de lui faire plus confiance à lui, qu’à Jackson ? Aucune. Si nous voulons le cynisme radical, nous devons le vivre. Mais je n’y suis pas prêt. Ainsi, j’écouterais ce que dit Jackson et lui donnerais toujours le bénéfice du doute, parce que c’est l’attitude que je me dois d’avoir envers tous. D’autant plus que c’est un peu ce que ma foi m’enseigne : faire preuve de discernement sans être un cynique invertébré – ou est-ce invétéré ?

Quant à dire que Jackson est là « pour le fric » à la différence du Tolkien Estate, c’est se mettre les murs de Minas Tirith devant les yeux. La trilogie du Hobbit fait du fric comme la publication du The Children of Húrin a fait du fric – d’autant plus que ce dernier ouvrage était relativement inutile ! Le Tolkien Estate n’a d’ailleurs pas mis de côté les « quelques » centaines de millions reçus en revenus après la production des films basés sur l’oeuvre de Tolkien. N’en déplaise à Christopher Tolkien qui a était assez viscéral à l’encontre de Jackson, mais lorsqu’on en est arrivé à ce point d’amertume et d’acidité épistolaire, lorsque voir des films comme ceux de Jackson fait mal à ce point, on n’accepte pas de l’argent de la part des maisons de productions. Le Tolkien Estate ne s’est pas privé d ces millions… Christopher Tolkien, Peter Jackson, Allen & Unwin, New Line… tous ont « fait du fric », et je ne vois pas de distinction de principe entre eux. Ils ont produit des « artefacts culturels » en lien avec l’oeuvre de J. R. R. Tolkien, et ils en ont reçu salaire.

There, and back again

Enfin, je me refuserais à comparer les efforts de Christopher Tolkien et ceux de Peter Jackson. Les deux ont fait connaître l’oeuvre de J. R. R. Tolkien – bien qu’à des niveaux différents. Je suis reconnaissant, vraiment reconnaissant, du travail et des efforts de Jackson et de toutes ses équipes depuis l’idée première qui a émergé concernant le scénario de La communauté de l’anneau. Jackson a fait connaître Tolkien, et c’est tant mieux. Nous devons bien admettre que sans Jackson, beaucoup ne connaîtraient pas Tolkien. Je me souviens encore de ce qu’était le rayon « Tolkien » (et fantasy an sens large) à la Librairie de Provence en 1999. Une petite étagère seulement pour tout le genre de la fantasy, et encore avec quelques trous ici ou là. Un employé à temps partiel (si ma mémoire est bonne), et assez peu de ventes. Quatre ans passèrent… La fantasy dans cette même librairie couvre maintenant un demi étage et plusieurs employés s’occupent des rayons. Certains sont même plus que qualifiés et sont de très bon conseil… Et cela grâce aux efforts du Tolkien Estate.

Non. Tout cela grâce à Peter Jackson et tous ceux qui ont contribué à la réalisation des six films de la Terre du milieu. Celle-ci vit dans les livres de Tolkien, et elle vit aussi dans les films de Jackson. Et c’est tant mieux.