Gerald Rau, “Mapping the Origins Debate: Six Models of the Beginning of Everything”, IVP, 2012.
Gerald Rau, “Mapping the Origins Debate: Six Models of the Beginning of Everything”, IVP, 2012.

Gerald Rau, “Mapping the Origins Debate: Six Models of the Beginning of Everything”, IVP, 2012.

Ne nous y trompons pas : le texte de Gn 1-3 nous pose à tous des questions essentielles. Et soyons honnêtes, nous avons tous eu quelques problèmes avec ce texte, que ce soit avant, pendant, et même après notre conversion. Normal : Gn 1 en particulier nous met face à l’origine de qui nous sommes. Il nous confronte aussi avec le ce que nous sommes. Avec ce double constat, de multiples positions chrétiennes se sont construites autour de l’interprétation de Gn 1-3. Ces interprétations de Gn 1-3 ont à leur tour affecté la manière dont nous considérons les théories scientifiques, en particulier celle de l’évolution. De nombreux ouvrages et blog se radicalisent, particulièrement en France, le plus souvent au détriment du Corps de Christ. Au milieu de toutes ces publications, un ouvrage sort du lot, Mapping the Origins Debate: Six Models of the Beginning of Everything, de Gerald Rau.

Rau_Mapping Origins DebateGerald Rau, qui fut un temps professeur adjoint de biologie à Wheaton College et à Trinity Christian College, a aussi une formation en philosophie des sciences, ce qui en fait quelqu’un de qualifié pour se lancer dans ce qui fait la force de cet ouvrage : la présentation des modèles principaux construits pour répondre à la question des origines. En cela, Mapping the Origins Debate est un succès, réussissant même l’exploit d’être recommandé par le National Science Teachers Association, que l’on peut difficilement soupçonner d’être partial en faveur des thèses créationnistes strictes. S’il y avait le moindre doute quant à Gerald Raud, la NSTA aurait certainement fait preuve de réserves, d’autant plus que l’ouvrage a été publié par IVP, grande maison d’édition évangélique.

L’objectif recherché par l’auteur est clairement établi dès les premières pages : fournir au lecteur, qu’il soit théologien, pasteur, laïc, qu’il ait déjà un avis ou non, un résumé pratique des principaux modèles en présentant pour chacun d’entre eux : leurs présupposés, leur convictions principales, leurs faiblesses, et tout cela en les comparant les uns aux autres. Rau prend même le temps, pour certaines données exégétiques ou scientifiques importantes, de voir les interprétations divergentes faites selon les modèles, prouvant ainsi que les présupposés affectent l’interprétation des données. Ainsi, nous pourrions dire que les présupposés exégétique du créationnisme « jeune terre » affectent leur interprétation des données scientifiques tout comme les présupposés scientifiques de l’« évolutionnisme théiste » affectent leur interprétation de Gn 1. Ce constat est d’ailleurs l’un des points de départ majeurs de l’auteur qui en fait un principe déterminant. Il est ainsi important de le rappeler : l’impossible neutralité de la science. Rau rappelle très justement :

« Notre vision du monde et notre philosophie conditionnent la manière dont nous évaluons des preuves [des faits], dès la première fois que nous les entendons. Tout scientifique travaille sur le fondement d’une théorie particulière qui affecte à la fois la collecte et l’interprétation des données. »

Cela ne signifie pas en conséquence que l’objectivité est hors de portée. Certes, la totale objectivité est impossible, mais Rau parvient il me semble à se montrer relativement impartial. Ici, il faudrait d’ailleurs se rappeler la différence que les historiens ont encore (ou devraient encore faire) entre objectivité et neutralité. Il est impossible de comprendre sans prendre position, mais il est possible, en ayant prit position, de comprendre un autre « modèle ». Dans un commentaire en ligne l’auteur continue :

« Dans tout le livre, mon but est de présenter, sans prendre parti, les différentes positions. Bien que la neutralité totale soit impossible, j’essaie de présenter le « pourquoi » de ce que chacun pense, et pourquoi chacun est convaincu que son point de vue est le meilleur. »

Ayant dit cela, il ne faudrait pas se tromper sur ce livre. Il faut qu’une chose soit claire. Si vous êtes « créationniste évolutionniste ou « créationnistes strict »1, ce livre ne vous plaira pas si vous y cherchez des munitions « contre » votre ennemi juré, celui qui se compromet avec la science ou celui qui lit de manière caricaturale Gn 1. Ce livre est pour ceux qui cherchent à comprendre avec respect les positions autres que la sienne. Dans la situation actuelle, avec ce que je continue à entendre, très souvent en aparté, nous en sommes bien loin. Les clichés ont bien du mal à disparaître, même dans les grandes réunions évangéliques consacrées à la science.

Dans le premier chapitre Rau défini ce qui est fondamental pour l’ensemble du débat et à toutes les questions qui lui appartient , en soulignant l’importance de reconnaître la lentille à travers laquelle nous voyons et interprétons les données comme preuve en premier lieu. Dans ces quelques pages, Rau présente deux éléments pertinents pour le reste de son exploration. Tout d’abord, Rau présente plusieurs définitions possibles de la science, remarquant que notre définition intuitive de la science est parfois l’un des élements qui complique le débat : sans définition claire de ce que nous entendons par « science », un rapport clair entre « science et foi » ne peut pas être établi2. Ensuite, Rau met l’accent sur l’importance de la notion de vision du monde qui explique en fin de compte pourquoi et comment la science est toujours interprétée par le scientifique.

Dans le deuxième chapitre Rau jette les bases de sa future évaluation des six modèles présentant les origines. La première distinction importante qu’il présente, et qu’il serait très utile de se rappeler : hypothèse, théorie, loi, et modèle. L’utilisation ambigüe de « hypothèse » et « théorie » revient très souvent dans le présent débat, obscurcissant un débat déjà très sensible (33). De là, Rau présente un éventail de modèles organisés en six points de vue différents : l’évolution naturaliste (position classique), l’évolution non-téléologique (sans finalité), l’évolution planifiée, l’évolution dirigée, le créationnisme « vieille terre », et le créationnisme « jeune terre ». Suivant la présentation de ces six modèles, Rau met quelques pages à part pour traiter du « dessein intelligent » (52-56) soulignant quelques points importants. Le tableau ci-dessous (reproduit de la page 42) résume les diverses positions :

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Les chapitres 3 à 6 sont constitués de la réponse que chaque modèle donne aux quatre questions essentielles sur les origines : de l’univers (57-81), de la vie (82-100), des espèces (101-128), et de l’humanité (129-152). À chaque étape, Rau présente les points forts et les faiblesses de chaque modèles, incluant les données scientifiques que chaque modèle met de côté afin de préserver sa cohérence. C’est probablement ce constat qui est le plus intéressant, mais qui vraisemblablement, desservira aussi ce livre. En effet chacun pourra trouver dans ces chapitres des arguments « contre » les positions adverses. Mais chacun sera aussi confronté aux incohérences de son modèle de préférence. Ceci sera particulièrement difficile à accepter pour les scientifiques (chrétiens), persuadés que leur modèle intègre toutes les observations scientifiques naturelles. Ce constat nous exhorte donc à considérer notre science comme étant provisoire – encore et toujours, provisoire.

Un point intéressant sur lequel Rau revient à plusieurs reprises, ce sont les critiques faciles faites, notamment par le « créationnisme évolutionniste » (dans sa classification, « évolution planifiée ») à l’encontre du « dessein intelligent », refusant à ce dernier l’étiquette « science » à cause de l’intrusion de Dieu à l’intérieur d’une explication naturelle. Pour cette critique, le « dessin intelligent » perd sa nature scientifique dès que Dieu intervient dans le modèle scientifique. Rau utilise l’exemple de BioLogos pour montrer une incohérence dans ce type d’argument. Tout le monde accepte que Christ a pris chair humaine, a vécu, est mort corporellement et est revenu de la mort. Mort et résurrection de Christ sont donc bien une interaction (littéralement, une intrusion) du surnaturel dans le monde naturel, intrusion qui a laissé des traces dans le monde naturel. La plupart d’entre nous diront par conséquence que nous pouvons déduire de ces effets naturels qu’il s’est produit quelque chose de surnaturel. La question que pose Rau est la suivante : pourquoi nier au « dessein intelligent » la possibilité de faire la même chose en ce qui concerne, disons, l’information génétique ou la complexité cellulaire (par référence au livre de Stephen Meyer, Signature in the Cell). Si dieu lui-même est entré dans le monde naturel et a laissé son empreinte dans ce monde, ne serait-il pas « naturel » d’intégrer ce constat dans l’entreprise scientifique ? La question mérite d’être posée.

Sur ce même point, un passage court et fascinant présente un exemple de débat « interne » à la théologie chrétienne, entre deux scientifiques, l’un Michael Behe (que l’on peut associer à l’ « évolution dirigée ») et l’autre Stephen Barr, représentant de l’ « évolution planifiée ». Rau souligne que bien que les deux positions se trouvent au milieu du spectre des options possibles, les deux positions démontrent aussi de nombreuses différences, certaines majeures. Ce que l’auteur met en évidence, c’est que ceux qui rejettent du « dessein intelligent » (DE) comme n’étant pas une science mais une philosophie, commettent deux erreurs (187-188) : (1) tout d’abord  il faut rappeler que « il est vrai que le DE n’est pas une science, telle que la science est définie par l’alliance évolutionniste » (188) ; (2) ensuite, c’est oublier que toute science est aussi liée à une philosophie. Critiquer le DE à cause de sa dimension philosophique c’est passer à côté de ses propres présupposés philosophiques.

Dans le chapitre 7, l’auteur nous conduit à considérer la question des origines sous un angle « complémentariste ». Convaincu que cette question se présente à nous sous forme d’un puzzle géant, Rau nous invite à voir chaque modèle comme n’étant qu’une mise en forme de certaines pièces de ce puzzle – ce dernier n’étant jamais complètement terminé. Les contributions de chaque modèle peuvent être intégrées… mais dans quoi ? C’est l’une des questions qui reste en suspend à la fin de Mapping the Origins Debate. Est-ce une faiblesse du livre ? Peut-être. D’un autre côté, Rau n’a jamais prétendu offrir autre chose qu’une présentation des six modèles en question.

Dans huitième et dernier chapitre, Rau souhaite ramener la discussion vers sa conclusion logique en montrant « comment la définition de la science elle-même est au cœur du débat et comment elle est même dictée par nos présupposés philosophiques », ce qui soulève une question fondamentale quant à notre définition de la science, la manière dont nous l’utilisons et la manière dont elle devrait être utilisée (176). Il conclu aussi que la définition contemporaine de la science est telle qu’elle exclue nécessairement (et illégitimement) tous les points de vue autres que « l’évolution naturaliste ». Cette conclusion exige aussi une sérieuse reconsidération de notre part : quelle est notre définition de la science et quelles implications inattendues peut-elle bien avoir ? Cette question demeure pour chacun de nous.

En conclusion, ce livre est un très bon outil présentant chaque modèle, indiquant la manière dont chacun inclus les données scientifiques, et la nécessité de prêter une attention particulière aux mots que nous utilisons. L’ouvrage se termine par plusieurs appendices très utile, comme le résumé détaillé des six modèles (cf. ci-dessous) ou un très bref résumé des interprétations de Gn 1 (probablement moins utile, ne pouvant pas vraiment expliquer les présuppositions exégétiques de chaque interprétation), ainsi qu’un glossaire relativement fourni.

Bien sûr, certains regretteront que Rau n’aille pas plus loin en encourageant à trouver un compromis, un consensus dans le conflit qui s’est enraciné au sein même de la théologie évangélique. Mais ce n’était pas son but, cela était bien clair dès le début.

Vous trouverez ici quelques pages tirées de l’Appendice 1, présentant certains des aspects les plus importants (télécharger)

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Notes :

1 L’un de mes étudiants a justement fait remarquer que « évolutionniste théiste » n’est pas une bonne expression. Je propose donc pour l’instant d’utiliser les expressions « créationnisme évolutionniste » et « créationnisme strict ». Merci à Jean-René Moret d’avoir soulevé ce point.

2 Les définitions de la science sont diverses. Dans le Glossaire à la fin de son livre Rau en mentionne plusieurs :
(1) Les données empiriques est tout ce qui peut être observée à l’aide de nos cinq sens , avec ou sans assistance .
(2) La science expérimentale – Étude d’un phénomène reproductible en manipulant une variable pour déterminer son effet , tout en maintenant les autres conditions constantes , comprend les sciences de laboratoire prototype , mais il est aussi utilisé dans les milieux de terrain .
(3) Science de l’observation – Etude des situations naturelles , souvent utilisés pour les phénomènes où la manipulation des conditions n’est pas possible . Dans le texte , il donne des exemples tels que les enquêtes d’étoiles, tremblements de terre, et la propagation de la maladie .
(4) La science historique – étude des phénomènes uniques qui sont historiquement contingent , sur la base de traces empiriques de modélisation ; comprend l’histoire ancienne , comme la paléontologie et l’histoire récente, comme la médecine légale . Dans le texte , il donne des exemples de périodes glaciaires et origines .
(5) Science théorique – Etude des phénomènes qui n’ont pas encore été observées , mais peuvent être prédits sur la base de la modélisation mathématique , comprend de nombreux sous-domaines au sein de la physique et de la cosmologie . Ces prédictions peuvent être testés par l’une des trois approches empiriques ci-dessus.