Chronique du mystagogue, 2
Chronique du mystagogue, 2

Chronique du mystagogue, 2

Ceci est le premier d’une série de posts “Chronique des mystagogues.” Vous ne savez pas encore ce qu’est un mystagogue ? Lisez cet article.

« Rassemble auprès de moi le peuple ; je veux leur faire entendre mes paroles, pour qu’ils apprennent à me craindre tous les jours qu’ils vivront sur la terre, et pour qu’ils les apprennent à leurs fils. » (Deutéronome 4.10)

Les temps passent, et les générations aussi. Les générations s’écoulent, et si l’Ecclésiaste disait qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, peut-être certains le contrediraient. Par exemple, la refondation de l’école est là, toujours nouvelle sous le soleil. Beaucoup s’y étaient essayés. Beaucoup s’y essaient encore. Mais aucune solution précédente n’a encore remis l’éducation scolaire sur les rails : pas plus les ZEP que les internats d’excellence ou les contrats « ambition réussite » n’ont pu replacer la France au rang des nations éducativement compétitives. Tous les gouvernements s’y essaient, car après tout, quel meilleur moyen de laisser une marque sur les générations futures que les transformer à l’image qu’on a soi-même modelé ? Et quel meilleur moyen d’accomplir cela que l’éducation ? Sous couvert de meilleure éducation, c’est donc une refondation, une ré-éducation qui est souvent proposée. Pour le bien de tous les enfants, écoliers, et étudiants bien sûr !

Cette fois-ci, plus question de zone spéciales d’éducations, ou de transformation de programmes. Cette fois-ci la solution est bien plus radicale, et bien plus simple. Si l’éducation est le résultat d’un processus plus ou moins long d’acquisition, d’assimilation de formation de caractère et de pensée, une refonte de l’éducation passe par une transformation en profondeur de cette formation personnelle. La solution ? Débarrassons-nous de tout système de notation. Ceux qui auront suivi le débat penseront peut-être qu’après tout, comme le rapport officiel demandé par le gouvernement le conclu de son côté, « notre système d’évaluation qui produit trop souvent de la démotivation et de la mésestime de soi »1 Car évidemment, l’éducation a pour but de produire l’estime de soi !

La culture de l’auto-satisfaction est le terreau fertile de l’école de la médiocritude.

C’est probablement là l’une des racines de notre système scolaire actuel, et de sa conséquence directe : le sentiment de médiocritude. L’école a maintenant comme seul objet l’appréciation narcissique des étudiants. L’école a comme but, non pas l’information, sa compréhension, son acquisition, et son application, mais le sentiment que chacun a de soi-même. Ainsi, le critère d’une bonne éducation sera le sentiment que j’ai de moi-même. Si un étudiant, même totalement ignorant des merveilles de la nature, des faits principaux de l’histoire de France, ou encore des mathématiques les plus élémentaires, si cet élève est satisfait de lui-même, son éducation aura été un succès ! Pourquoi ?

Parce que cette école reflète une culture contemporaine, une culture de l’auto-satisfaction, terreau fertile de l’école de la médiocritude. Cette culture, que certains appellent « postmoderne » a, dans l’éducation, des conséquences assez radicales : d’abord un changement dans la nature de la « connaissance ». Celle-ci n’est plus que l’expression de ce qui se construit en classe. Elle n’a pas de contenu précis. Elle ne s’occupe pas de « vrai » ou de « faux » et donc à terme ne s’occupe pas de l’analyse critique. D’ailleurs, si tout est potentiellement vrai, une seule affaire de culture et de préférence personnelle, alors l’éducation n’aura pas comme objet de comprendre, d’évaluer, et de discerner ce qui est beau, bon, et vrai.

De plus, la diversité étant valorisée au-dessus de toute autre valeur, il faut à tout prix que les positions minoritaires soient investies de « puissance », c’est-à-dire qu’elles puissent trouver une manière de se justifier. En fait c’est souvent l’état qui essaiera par là de se justifier : il essaiera de flatter en promettant à tous une participation en cette puissance sociale qu’est l’éducation. À d’autres moments, il tentera de protéger son monopole sur l’éducation, pensant par là pouvoir « former » les générations à venir.

Cela ne veut bien sûr pas dire qu’une minorité – ethnique ou religieuse, par exemple – n’a pas sa place dans l’éducation, bien au contraire. La place de toute groupe minoritaire doit être affirmée, mais elle ne peut pas être forcée par un positionnement idéologique. Elle doit être affirmée, promue, encouragée, par une vraie éducation qui met au cœur de sa vision la formation des personnes, le développement d’une intégrité, d’une créativité, et d’une rationalité qui fassent de chacun des individus.

Ce n’est pas très souvent que je cite avec approbation Michel Onfray, mais le passage ci-dessous me semble à propos :

La religion de l’instant présent dans laquelle communient les médias exige qu’on renvoie l’histoire à la poubelle. L’histoire, donc la mémoire. Depuis 1983, l’Éducation nationale emboîte le pas, droite et gauche confondues. On croit que l’école à moins besoin de cours d’histoire que de cours de programmation informatique, on décide que les Lumières peuvent être facultatives dans les programmes scolaires (on n’en a plus besoin) et l’islam obligatoire (il faudrait le penser et l’école nous dit comment). On n’enseigne pas plus la géographie dans la perspective de la géostratégie. La géostratégie, la démographie, l’histoire passent pour des disciplines réactionnaires parce qu’elles disent ce qui est, ce qui a été et ce qui sera, alors que l’idéologie libérale qui domine, aussi bien sous Sarkozy que sous Hollande, préfère ce qui devrait être et communie dans ses fictions2.

Si je ne parle pas personnellement de fiction de l’éducation (c’est aller un peu loin !), je rejoins Onfray sur plusieurs points. Le problème éducationnel n’est pas, contrairement à ce qu’on peut lire à chaque campagne électorale, une question de « droite » ou de « gauche ». Ce n’est pas une affaire de « social ». C’est une question d’enseignement, de connaissance… d’éducation, quoi !

Le changement le plus radical se situe probablement dans la conception contemporaine de ce qu’est un élève ou un étudiant. Comme tout dans la société postmoderne est le résultat d’influence de conditionnement et de structures sociales, une personne, et donc un élève, n’est rien de plus qu’une réalité sociale. L’élève c’est une personne qui par elle-même, et quel que soit son âge, même le plus jeune, doit être protégé du conditionnement social. L’ironie c’est que les propositions éducationnelles récentes s’enferment dans une contradiction impossible. D’un côté, la société, et particulièrement la structure familiale, conditionne l’enfant qui doit donc être « éduqué » en dehors de celle-ci—d’où d’ailleurs une uniformisation à long terme de la pensée. Mais d’un autre côté, il faut continuer à penser que l’élève, l’enfant même, doit tout penser par lui-même. Il est un apprenant en face de qui ne se trouve pas une personne d’autorité mais seulement un guide. Le problème est le suivant : si l’enfant est vraiment « conditionné » socialement, « familialement », comment continuer à proclamer qu’il peut choisir par lui-même ? C’est justement parce que nous ne sommes pas complètement conditionnés socialement que l’éducation peut encore avoir un rôle à jouer !

Au lieu de cela, on nous propose une grande école qui nous apprendra que « nous le valons bien » Comment accomplir cette révolution sociale ? Premièrement, effacer toute différence, et cela commence par le système d’évaluation. Et le rapport gouvernemental est prophétique sur ce sujet : « Pratiquer, plutôt qu’une notation-sanction, une évaluation positive simple et lisible, valorisant les progrès, compréhensible par les familles, »3 Voilà qui semble a priori bien incohérent avec le but de « la mise en place d’une politique d’évaluation qui soit cohérente, légitime scientifiquement et participative. »4 Si la notation valorise les progrès, si elle a comme but premier la valorisation du bien-être de l’élève, elle ne peut être objectivement scientifique car son but n’est plus l’évaluation elle-même mais l’élève. Même lorsque celui-ci refuserait d’apprendre ou montrerait de sérieuses limitations d’apprentissages, il aura toujours une appréciation « positive ». En ce cas, où est le fondement scientifique d’une telle notation ? Elle peut être qualifiée, à la rigueur, de pédagogique, mais certainement pas de scientifique.

La conséquence ? Rien n’a d’existence définissable en dehors d’une interprétation individuelle.

Une fois encore, nous sommes en éducation postmoderne. Cela signifie que même au sein de l’éducation, nous constatons une perte des fondements qui nous aidaient à comprendre et décrire le monde. Nous ne sommes que des individus, vivant pour le développement de notre potentiel, qui ne connaissons que les oppressions que les autres nous font vivre. Nous avons perdu notre langage philosophique. Nous ne savons même plus décrire la nature humaine. En fait nous ne savons même plus ce qu’est un être humain !

La conséquence ? Rien n’a d’existence définissable en dehors d’une interprétation individuelle. À l’heure « postmoderne », l’éducation vise à libérer l’élève, et pas à l’aider à développer sa connaissance, sa culture ou à le préparer à vivre dans le monde. Les notes ? Elles ne peuvent plus être considérées comme une évaluation objective de la connaissance d’un étudiant, d’un sujet, d’une personne, car la connaissance n’a de contenu que celui qui est défini par l’étudiant. La connaissance n’a pas de contenu objectif et ne peut donc pas être à proprement parler, notée. Les notes ne peuvent qu’être vues comme une oppressions subjective exercée par les instituteurs contre des enfants qui ne peuvent que subir cette violence psychologique.

L’éducation ? Encore et toujours la valorisation de l’élève, pas d’évaluation mais une valorisation, quitte à ce que ce soit une valorisation de l’ignorance. À bas les notes, vive le bien-être personne. À bas l’évaluation, vive l’auto-satisfaction. On pourrait écrire, en parodiant un livre prophétique :

« Toute mauvaise note sera comblée,
Toute excellence et tout succès seront abaissés ;
Ce qui est médiocre sera redressé,
Et les chemins vertueux seront abaissées »

Voilà la première étape de la construction d’une vraie école de la médiocritude … et d’une société, qui sera bien à son image.

Une deuxième réforme sera mise en œuvre : « Les devoirs doivent être faits dans l’établissement ». Quelle est l’importance de cette proposition ? Elle a en vue l’égalité des chances à l’école. Là aussi, c’est a priori un but louable. On sera d’accord pour dire que l’éducation devrait offrir à tous des chances de pouvoir trouver une profession décente. Mais comment concrétiser cette égalité des chances ? En faisant en sorte qu’aucun enfant ne soit privilégié dans son apprentissage. Cela veut dire aucun privilège à l’intérieur de l’école … mais aussi à l’extérieur de l’école. Et malheureusement, « ceci signifie la suppression effective des devoirs à la maison. »5 (p. 34)

Pourquoi malheureusement ? Parce que cela déresponsabilise encore plus les parents et entraîne un contrôle unique de l’Etat sur l’éducation. Les parents n’auront plus la même facilité, pour ceux qui le voulaient et pouvaient, de soutenir cette éducation, voire même de palier aux manquements nationaux. Et je suis assez soupçonneux de la capacité de l’état à éduquer correctement toute une génération pour ne pas vouloir qu’il soit seul en charge de l’éducation.

Vous entendrez défendre cette réforme par l’argument suivant : c’est pour le bien des enfants. Mystagogie ! Cela ne veut rien dire. Il ne faut pas qu’ils travaillent après l’école, et ceci pour leur bien être !

L’écart se creusera entre ceux qui seront soumis aux nouvelles règles d’apprentissage et ceux qui, parce que les parents ont un nom ou un gros compte en banque, enverront leurs enfants dans les meilleures écoles. Les premiers n’auront pas le temps d’être accompagnés, pendant les heures de classes, par des enseignants déjà surchargés ; les deuxièmes bénéficieront d’un privilège déjà important.

Mystagogie !
Cette affirmation est absurde, et c’est bien pour cela qu’on vous dit que c’est une bonne chose. Que fait l’enfant en rentrant de l’école ? Il se colle devant la télévision et attend que son cerveau soit incapable de la moindre pensée cohérente. Et qu’apprend-t-il ? Oh, oui, certainement plus que s’il était accompagné, dans un amour de la sagesse et de la connaissance. C’est d’ailleurs ce qu’a bien illustré le grand philosophe Calvin, dans une discussion avec son tigre en peluche Hobbes. Alors qu’ils sont plongés dans une lecture de Marx, le petit Calvin du haut de ses six ans demande : « C’est écrit ici que la religion est l’opium du peuple. Tu crois que ça veut dire quoi? » Et la télévision, trônant sur son meuble, de répondre : « Ça veut dire que Marx n’avait encore rien vu… » Symptomatique. Peut-être est-ce pour cela que certaines réformes proposent de supprimer les devoirs à la maison. Il ne restera plus à la maison que l’opium du peuple et ses nouvelles incarnations électroniques.

Le problème c’est qu’une telle égalité des chances scolaires entraînera la médiocritude. Car égalité ne signifie équité. L’égalité éducationnelle, telle qu’on la comprend ces temps-ci, est en fin de compte synonyme de nivellement pas le bas. Nous ne nous dirigeons pas vers une société juste, mais égalitaire. Un bon témoin de cela est le dernier rapport en date (2011) du groupe Programme international de recherche en lecture scolaire (particulièrement en CM1)6. Les résultats seront interprétés positivement par les médias, mais force est de constater que la non évolution des résultats scolaires et du « lettrisme » des élèves français devrait suffire à nous inquiéter. Les résultats généraux sont flagrants. Les petits élèves français sont donc un peu à la traîne. Nous sommes bien loin de l’Angleterre, de l’Allemagne ou de la Hollande. Mauvaise place donc : iI n’y a après tout que quatre pays européens plus en retard que la France : l’Espagne, la Belgique, la Roumanie, et Malte ! Je ne tirerai aucune conclusion pour vous.

Ceci est déjà assez ridicule venant d’un pays dont le système d’éducation est censé être un exemple mondial. Mais il y a d’autres facteurs encore plus inquiétants : les élèves français qui sont déjà lents à la simple compréhension sont encore moins doués pour l’analyse et l’application ! L’écart avec la moyenne européenne chute encore plus lorsqu’il est question de la capacité des élèves français à « interpréter et apprécier ». Garder une éducation « compétitive » sera donc assez dur.

D’ailleurs peut-être que nous avons ici aussi un autre problème de l’éducation contemporaine, y compris au niveau supérieur. Les accords de Bologne sont un bon exemple du mot d’ordre suivant : l’éducation prépare à la compétition économique. Guy Haug, qui a joué un rôle déterminant dans l’élaboration du processus de Bologne, avait rendu cela tout à fait évident en soulignant que

« l’origine et le contenu de la Déclaration de Bologne sont faciles à comprendre si on le lit ce document non pas comme un document académique, mais comme un programme en vue du changement de l’enseignement supérieur, document motivé par des considérations sociales et économiques. Dans l’UE, il a aussi un lien étroit avec le marché du travail européen. »7

Le but de l’éducation ne devrait pas être focalisée sur l’employabilité.

Certainement, une bonne éducation devrait ouvrir les portes de l’emploi. Mais le but de l’éducation, quel que soit le niveau, ne devrait pas être focalisée sur l’employabilité. L’éducation n’est plus l’amour de la connaissance et de la sagesse. Ce n’est plus découvrir les mystères du monde, mais découvrir le secret de l’efficacité. Ce n’est plus nourrir la curiosité mais le marché. L’éducation ne devrait pas avoir comme but premier la compétitivité ! Faire du critère de l’économie compétitive la clé de l’éducation, c’est aplanir la connaissance. C’est se spécialiser dans un domaine et perdre tout goût pour la connaissance en tant que telle. C’est se satisfaire d’être compétitif dans son travail et pour le reste se contenter de ce que les médias nous communiquent. Ce qui est l’essence de la médiocritude.

Enfin, dernier signe de notre culture de la médiocritude : le fait que les élèves français – toujours dans le fameux sondage mentionné précédemment – sont ceux qui le plus souvent (i) s’abstiennent de répondre et (ii) ne terminent pas le questionnaire. Cela voudrait-il dire que l’élève français n’a pas d’avis, ne sait pas défendre son opinion, ou n’en a tout simplement rien à faire … qu’il ne prend pas son apprentissage au sérieux. Cela signifie-t-il que l’élève français est satisfait de son ignorance ? Il semblerait bien ! Je ne blâmerai pas les élèves. Ils sont malheureusement le fruit d’un déclin de l’éducation, d’une dé-responsabilisation des parents et d’un contrôle de l’état sur le contenu et la pédagogie éducationnelle. Et la pédagogie postmoderne, c’est aussi la disparition de toute inégalité entre étudiant et professeur, car la connaissance n’est plus définie par un contenu, par une information, par une méthode réflective, par une « connaissance. Non, la connaissance ce n’est que maintenant le jeu de pouvoir entre professeur et étudiant. La pédagogie postmoderne c’est l’acquisition de compétences, voire même de compétences techniques. Rien de plus. Ce qui va d’ailleurs bien avec notre économie de marché, notre suprématie consommatrice et notre illusion publicitaire. La faute n’est certainement pas celle des professeurs et autres enseignants qui font de leur mieux dans des circonstances impossibles, avec des moyens souvent plus que limités.

C’est pourquoi nous nous retrouverons dans les générations futures avec des employés formés à certaines compétences particulières, très restreintes, mais sans plus. Ils ne sauront rien d’autre que ce qu’ils ont appris pour pratiquer leur profession. Oh ! Ils seront compétitifs dans leur domaine. Mais les mots « déduction » ou « induction » n’auront plus d’importance. Savoir ce qu’est un « argument » ne sera pas pertinent, pas plus qu’articuler une pensée quelque peu logique. Ils seront compétitifs, mais cela ne leur permettra pas de valoriser leur humanité. Cela ne leur permettra pas de savoir discerner les discours démagogiques ou la propagande. Ils resteront à la merci des experts du marché, du marketing et de la politique.

Alors les nouvelles réformes ? Mystagogie. Pas démagogie, mystagogie. Ce n’est pas nécessairement ce que les gens veulent entendre (démagogie). L’art de la mystagogie c’est de faire croire que cette réforme est importante, cruciale, même si cette réforme est en fin de compte insensée. Ce n’est pas que cette réforme est de facto un abrutissement scolaire, c’est que vous ne comprenez rien à la philosophie de l’éducation et que « vous ne vivez pas avec votre temps » ! La réforme éducationnelle est une mystagogie. Le slogan « les devoirs à l’école » est une mystagogie. Elle est incompréhensible. Et c’est pour cela qu’elle a été adoptée comme étant une proposition de réforme raisonnable.

Que dire de plus ? La connaissance, la sagesse, l’éducation : tout cela s’apprend. C’est en tous cas ce que la sagesse qui crie dans les rues proclame (Proverbes 2). Et l’Église elle-même continuera-t-elle à regarder passivement nos contemporains, y compris les plus petits, être satisfaits de ne pas arriver à comprendre ? Satisfaits d’ignorer ? J’ai bien peur que la Sagesse – la seule, celle des Écritures – continue à crier, seule dans le désert de la médiocritude. L’un des problèmes des nouvelles propositions de réforme, c’est qu’elles participent à une transformation de l’éducation et à terme, à un amoindrissement des personnes.

L’éducation n’aura plus comme objet la connaissance et la sagesse, mais le marché. Le projet éducatif fera de nous des travailleurs performants, mais elle nous laissera totalement vulnérables aux conspirations, aux irrationalités, aux décisions totalitaires et aux désinformations. D’ailleurs… tout cela a bien commencé, si j’en crois les articles et commentaires que je lis sur les médias sociaux. Nous sommes ballotés à tout vent de post.

La connaissance est aussi bien intellectuelle que personnelle, morale, relationnelle, et donc sociale.

La Bible, de son côté, met la connaissance, l’amour de la sagesse, au cœur de l’humanité. L’éducation tient une place essentielle dans l’Écriture et je soulignerais quelques directions pour notre future réflexion.

Tout d’abord, l’éducation n’est pas une activité exclusivement mentale ou physique associée à l’apprentissage des pensées et des expériences des autres êtres humains. L’éducation n’est pas plus un simple processus par lequel l’étudiant acquiert des connaissances ou des compétences. L’éducation est aussi un amour de la sagesse et de la connaissance. Elle a une vue globale de la vie humaine et son objectif est d’apprendre à vivre, d’apprendre à être humain.

En nous fondant sur une compréhension biblique de la connaissance, rappelons que celle-ci est aussi bien intellectuelle que personnelle, morale, relationnelle, et donc sociale. L’éducation est constante et incorpore toutes les pensées, nos expériences, et nos activités (Deutéronome 6.7-12, 11.18-20 ; Esaïe 29.24 ; Matthieu 9.13, 24.32). L’apprentissage, au sens biblique, ne se fait pas que par l’instruction « intellectuelle », mais cette dimension reste première. Par exemple le terme qui donnera « disciple » dans le Nouveau Testament (celui qui apprend) fait référence à une instruction entendue et reçue. Dans Dt 4.10, Möise rappelle les paroles de Dieu : « Rassemble auprès de moi le peuple ; je veux leur faire entendre mes paroles, pour qu’ils apprennent à me craindre tous les jours qu’ils vivront sur la terre, et pour qu’ils les apprennent à leurs fils. » Le sens est identique en Dt 5.1 : « Moïse convoqua tout Israël ; il leur dit : Ecoute, Israël, les prescriptions et les règles que j’énonce aujourd’hui en votre présence. Vous les apprendrez et vous veillerez à les mettre en pratique. » Bien sûr dans ce dernier verset, nous remarquons un lien fort entre « apprendre » et « mettre en pratique ». Si les deux réalités ne sont pas synonymes, elles restent inséparables.

Dans la Bible, l’apprentissage se fait aussi par les gestes quotidiens, comme en Ex 14.23 : « Tu mangeras devant le Seigneur, ton Dieu, au lieu qu’il choisira pour y faire demeurer son nom, la dîme de ton blé, de ton vin et de ton huile, les premiers-nés de ton gros et de ton petit bétail, afin que tu apprennes à craindre toujours le Seigneur, ton Dieu » Dans ce verset, le « disciple » apprend qui est Dieu à travers sa vie et ses gestes. « Apprendre » n’implique donc pas simplement une dimension « intellectuelle », bien qu’elle soit essentielle. Devenir un « apprenant » se fait aussi en « suivant », ou en s’associant à quelqu’un. Prov 22.24-25 met d’ailleurs l’accent sur cet aspect : « Ne fréquente pas l’individu coléreux, ne va pas avec l’homme furieux, de peur que tu apprennes ses sentiers et que tu n’y trouves un piège pour ta vie. » Vivre avec le « coléreux » c’est apprendre la pratique de ses voies. L’éducation doit donc aussi faire une place importante à la relation personnelle établie entre enseignants et « apprenants » – quels que soient leurs âges.

Ensuite, à l’opposé des propositions de réforme limitant l’apprentissage au contexte scolaire, l’éducation humaine dépasse largement les confins de la salle de classe, quelle que soit son niveau. Tout dans la vie humaine est objet, occasion, chance d’apprentissage, de connaissance, de sagesse. Pour cela, l’« apprenant » est entouré de la révélation générale de Dieu, la création dans laquelle le Créateur nous a placé. En observant, avec émerveillement et curiosité le monde, nous découvrons que la liberté de recherche est au cœur du désir de connaître et de comprendre qui se manifeste chez les êtres humains. Ainsi, tout domaine de recherche est à la fois bon et nécessaire, un moyen valable et nécessaire d’étudier l’univers et de la découverte de son bon fonctionnement. (Genèse 1:14 ; Psaumes 19, 104:19 ; Daniel 2:21 ; Matthieu 16: 2).

L’éducation est une responsabilité holistique, complète : elle doit par conséquence être partagée.

D’autre part, puisque chaque être humain est créé à l’image de Dieu, tout être humain a besoin de grandir dans les domaines intellectuels, physiques et spirituels. Aucun de ces domaines ne peut être abandonné sans porter atteinte à l’intégrité humaine. Une véritable éducation est une éducation de toute la personne et doit se préoccuper de ces trois dimensions de la vie humaine. C’est d’ailleurs pour cela que l’éducation ne peut être portée que par l’autorité civile qui ne se charge pas de l’éducation et de la croissance spirituelle. L’éducation est une responsabilité holistique, complète : elle doit par conséquence être partagée.

Quant à ceux qui apprennent, quel que soit leur âge, qu’ils soient étudiants ou professeurs, tous ont la responsabilité mutuelle de participer à leur éducation (Proverbes 23.12 ; Colossiens 3.23 ; 2 Timothée 2.15). L’éducation doit cultiver, chez tout être humain, les quatre dimensions éducationelles que sont la connaissance (intellectuelle), la communication (verbale et sociale), l’imagination et la valorisation de soi et des autres (2 Corinthiens 10.5 ; Éphésiens 4.29 ; Philippiens 4:8). Ainsi, l’éducation doit constamment promouvoir le développement de tout être humain dans au moins trois domaines : croissance spirituelle et morale, la croissance académique / intellectuelle, et la croissance personnelle et sociale.

Cette théologie de l’éducation devrait être incarnée, encouragée, nourrie dans nos Églises. Quels que soient les âges, les compétences, les intérêts. Quels que soient les niveaux académiques, les statuts sociaux, nous pouvons tous apprendre les uns des autres et ainsi nous séparer de l’école de la médiocritude. Et ainsi faire de l’éducation une proclamation de l’intégrité et de la dignité humaine, de notre image de Dieu. La perspective biblique nous encourage à penser de manière plus globale à la tâche et responsabilité de l’enseignant.

L’éducation est une noble vocation que Dieu adresse à l’ensemble de l’humanité. Les réformes de l’éducation sont parfois nécessaires, mais elles doivent avoir un objectif qui corresponde à une vision juste et complète de ce que l’éducation doit être.

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Notes :

1 Alain Dulot, Refondons l’école de la République. Rapport de la concertation, http://multimedia.education.gouv.fr, consulté le 31 janvier 2019, p. 29.
2 Alexandre Devecchio, « Interview avec Michel Onfray », 10 septembre 2015, Le Figaro, http://www.lefigaro.fr, consulté le 31 janvier 2019.
3 Dulot, Refondons l’école de la République, p. 36.
4 Ibid., p. 30.
5 Alain Dulot, Refondons l’école de la République. Rapport de la concertation, http://multimedia.education.gouv.fr, consulté le 31 janvier 2019, p. 3.
6 « Programme international de recherche en lecture scolaire », Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, http://www.education.gouv.fr, accédé le 24 février 2013.
7 Guy Haug, « The Public Responsibility of Higher Education. Preparation for the Labour Market », dans Luc Weber et Sjur Berganp, The Public Responsibility for Higher Education and Research, vol. 638, Editions du Conseil de l’Europe, 2006, p. 203-220, ici p. 203.

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