Ne vous laissez pas avoir par le titre. Si vous hésitez, parce que vous vous intéressez à l’apologétique et qu’a priori ce livre n’est pas pour vous, un petit effort. Car ce livre : (1) parle d’apologétique et (2) n’est pas contre toute forme d’apologétique. Ne faites donc pas attention au titre : c’est encore un de ces livres au titre « marketing ».
Myron Penner, prêtre anglican et auteur de plusieurs livres, s’attaque dans cet ouvrage à une illusion. Là, vous allez me dire que ça va être difficile de vendre un livre qui a comme sujet quelque chose qui n’existe pas. Je comprends. Et pourtant ce livre contient beaucoup de choses intéressantes. Penner nous exhorte par exemple tout au long de ces 20 pp. à nous rappeler que la foi n’est pas réduite à son expression rationnelle, et que l’apologétique ne devrait pas l’être non plus. En cela, Penner offre un rappel utile.
Le problème, c’est que la pertinence de son livre cela s’arrête là. En effet, pour démontrer cela il s’appuie sur des exemples qui ne sont finalement que des fictions. Le prémisses principal de Penner est le suivant : toutes les apologétiques que nous « utilisons » actuellement ont capitulé devant l’esprit rationaliste et non biblique de la modernité. Le point de départ de Penner est que la plupart de nos discussions apologétique sur les arguments logiques, rationnels, moraux, proviennent d’un monde qui a disparu. Penner souhaite donc présenter une apologétique se démarquant des « structures conceptuelles traditionnelles ».
C’est en effet à cause de leur proximité avec ces structures de pensée modernes que l’apologétique contemporaine est devenue dépassée. L’argument de Penner est simple : l’apologétique est contextuelle. Celle que nous utilisons était faite pour la période moderne. Nous avons dépassé la période moderne et notre apologétique (ainsi que ses outils) est devenue largement obsolète. Ainsi :
« Je ne vois plus comment l’apologétique moderne (et j’entends par là une tentative de donner des raisons de la foi chrétienne qui soient objectives, universelles et neutres) peut vraiment être utile à quiconque – pour moi ou pour quelqu’un d’autre. »
Le problème c’est que Penner ne distinguera pas assez entre les termes « objectif » et « neutre », ce que les historiens, eux, nous ont apprit à distinguer.
Avant de passer à la critique principale de l’ouvrage, il faut souligner quelque erreurs moins importantes mais significatives. Il y a parfois des confusions de vocabulaire comme dans le sous entendu que l’apologétique moderne à comme objet le « christianisme ». Bien sûr, il n’a jamais été question de défendre le christianisme mais la foi chrétienne, même pour les apologètes soit disant « rationalistes » que Penner critique vivement, comme William Lane Craig, Douglas Groothius ou J.P. Moreland. D’ailleurs, Penner considère que toutes les apologétiques (qui sont pour lui toutes de type « modernes ») ont remplacé Dieu par la raison dans leur recherche d’une fondation à la réalité :
« Ce qui est le fondement de notre foi chrétienne, pour les apologètes modernes, ce n’est pas un ensemble de pratiques, un mode de vie, une confession, etc, mais un ensemble d‘affirmations propositionnelles qui ont une justification épistémique. Et c’est cela qui est pour eux le moyen d’avoir la foi. » (p. 42)
De fait que je reçois le bulletin hebdomadaire envoyé par le ministère de W.L. Craig, je dois dire que je ne l’ai jamais vu dire quelque chose de ce genre. Craig ne remplace pas l’oeuvre intérieure de l’Esprit par une justification rationnelle. De même pour Groothius. Si j’ai quelques réserves concernant l’importance qu’il donne aux preuves rationnelles, la lecture de ses ouvrages ne soutient pas la conclusion ci-dessus, bien au contraire !
Ainsi, Penner devient d’un simplisme navrant lorsqu’il conclut que toutes les apologétiques (sauf la sienne !) ont comme objectif de démontrer que les affirmations chrétiennes sont rationnellement justifiées (36). De même lorsqu’il assimile l’usage de la raison et des preuves à une volonté de « domination », de « maîtrise », ou de « contrôle » (p. 46) ; ou encore de « coercition », de « force », d’« intimidation » et de « militantisme » (pp. 143-144). Il décrit l’approche contemporaine du témoignage chrétien comme une tentative de « contraindre mon voisin »… ce qui selon lui prouverait que « je n’aime vraiment pas mon voisin mais je m’aime moi-même » (p.147). Et là, de simpliste, l’argument devient ridicule.
Comment expliquer de telles approximations, erreurs, etc. ? Je vois deux choix : soit nous sommes face à une ignorance apologétique qui remettrait en cause la capacité même de l’auteur à écrire un tel livre, soit à une simplification telle qu’elle risque de tromper le lecteur. Dans les deux cas, une bonne moitié du livre part en fumée.
De plus, Penner, même s’il souligne avec justesse que les arguments sont très souvent d’une valeur limitée, confond deux choses : la validité d’un argument, et son acceptabilité. Il critique en effet l’apologétique contemporaine et sa recherche d’arguments raisonnables car, conclut-il, nous ne pouvons présenter d’argument universellement accepté. Mais attention, comme je le rappelle régulièrement dans mes cours : un argument peut être valide et cependant ne pas être accepté ! C’est cela la force du péché (ou des effets noétiques du péché) : parfois, nous ne pouvons pas voir la validité de l’argument présenté. Penner commet d’ailleurs régulièrement ce type erreur, notamment dans sa référence constante au « complexe de la neutralité universelle-objective ». Une fois encore, penser qu’il y a un argument objectif en faveur de la foi chrétienne (ou de l’existence de Dieu) ne signifie pas qu’il est universellement accepté. Peut-être que Penner a, lui, capitulé devant l’esprit de l’efficacité en choisissant comme critère d’évaluation d’un argument non pas sa validité, mais le nombre de « convertis » qu’il produit.
Enfin, je suis un peu las du discours postmoderne : nous ne cherchons pas quelqu’un de digmatique mais de prophétique. Nous ne voulons pas quelqu’un qui nous aide à décider ce qui ets vrai ou non, mais un sage qui nous montre la voie à suivre. Je m’excuse mais les deux veulent dire la même chose ! Contrairement à ce qu’on veut bien répéter à tort et à/de travers (avec Derrida), le langage n’est pas un jeu ! Malheureusement nous voyons la même rhétorique un peu pesante dans l’appui que Penner trouve en Kierkegaard. Pour l’auteur, Kierkegaard ne nous donnera pas de réponses mais il façonnera nos délibérations (pp. 13-14). Sous entendu : nous ne voulons pas de « Kierkegaard le dogmatique » mais d’un « Kierkegaard le sage ». ainsi, Kiekegaard ne nous aidera pas à conclure une discussion mais à prendre une décision. Oui, enfin bon si Kierkegaard sert à prendre une décision, la discussion est terminée. L’opposition ici me trouble un peu. Mais voilà, il faut montrer Kierkegaard sous un bon jour ! Il vaut mieux faire de lui un prophète qu’un systématicien. Ces dichotomies ont l’art de me laisser plus froid que si j’avais été transpercé par une lame de Morgul.
En terminant, il me faut rappeler qu’il y a des choses intéressantes dans cet ouvrage, comme par exemple le lien entre le message prophétique et une apologétique prophétique axée sur l’éthique de la foi (87). Être prophétique signifie pour Penner que le témoignage chrétien est à la fois personnel et ironique. Ironique parce que telle est pour lui la caractéristique principale du discours prophétique. Le témoignage prophétique est aussi personnel parce qu’il s’adresse à des personnes diverses dans leur localité culturelle et temporelle – au lieu d’utiliser de vagues arguments abstraits (p. 84). Cependant, ce livre aurait pu être beaucoup plus pertinent qu’il ne l’est. Je n’aurais toujours pas été franchement convaincu par le faux lien établit entre apologétique et modernité, mais au moins l’argument aurait été présenté de manière plus pertinente. Les caricatures mentionnées plus haut ne sont pas au crédit de l’auteur.