Premier matraqueur de France, allègre massacreur des grévistes, militariste invétéré, anticlérical forcené. Les clichés que véhiculent l’image de Clemenceau ne manquent pas.
Cela faisait longtemps que je voulais lire une biographie du Tigre tant sa personnalité, ses apparentes opinions politiques, me semblaient étrangères. Je me suis tourné vers la biographie écrite par Michel Winock, spécialiste de l’histoire de la république française, que j’ai dévorée en quelques jours. Un passage parmi d’autres m’a frappé :
Nous assistons depuis quelque temps à l’évolution d’un certain genre de patriotisme que la France n’avait pas connu jusqu’à présent. C’est un patriotisme haineux et bruyant, qui ne fait pas œuvre d’union et d’apaisement, mais qui semble avoir pris pour programme de diviser et d’exciter les citoyens les uns contre les autres.
Clemenceau, discours du 24 juillet 1887
Clemenceau prononça ce discours à un moment de grande tension, la IIIe république vivant une crise politique qui risquait de se transformer en crise civile et militaire sous l’influence et la réputation grandissante du général Boulanger. Lorsque ce dernier perdit le ministère de la guerre à la suite de l’un des changements de gouvernements dont la IIIe république avait le secret, un mouvement nationalisme fut prêt à le porter au pouvoir en 1889… mais par quels moyens ?
L’attaque de Clemenceau se porte très tôt contre lui… dès 1887, mais elle est aussi dirigée vers ses concitoyens appelés aux urnes.
Quel est le rôle de l’homme, ou de la femme, qui a choisit comme vocation le service civil ? Pas la politique… mais bien le service de la société ? Clemenceau nous offre ici des indications… ou du moins ce sont quelque leçons tirées de ce Clemenceau de juillet 1887.
Un premier rôle du politicien, le serviteur de la communauté civile, est de faire d’œuvre d’union et d’apaisement. Quelle règle étonnante dans le climat social, politique, et médiatique ! Faisons preuve d’imagination… peignez devant vos yeux une société qui serait guidée, par l’exemple, par une volonté d’unir et d’apaiser, non d’opposer et de blâmer. Ne pas être bruyant, afin de gagner par le volume plutôt que par l’argument, mais conduire dans l’humilité et le service.
Je vous l’avais dit… imaginons… rêvons ! Je ne prétends pas que le vieux Clemenceau soit un bon exemple, ni même que la possibilité se trouve au coin de la rue. Imaginons cependant ! Une société où personne ne serait exciter à tweeter au vitriol, où la parole publique serait écrite, construite, imaginée, pour unir.
Un deuxième rôle du politicien est donc de tracer les contours de ce qu’il estime être les bases absolument nécessaires de l’union… mais lesquelles ? Obéissance absolue aux lois, sacralisation de la personne politique, sacralisation de l’acte du vote, idéologisation de la science, transcendance de la volonté individuelle ? Pour Clemenceau, ce fut la notion quasi mystique de liberté. C’est pour cela d’ailleurs que, anticlérical comme aucun, il défendit cependant la liberté d’éducation, se faisant des ennemis dans son propre camp de gauche. C’était, pour le Vendéen, une atteinte à cette sainte liberté que de vouloir imposer une éducation nationale et centralisée.
Quels contours tracer ? La question ne se pose pas pour moi, car je n’ai pas cette responsabilité redoutable qui devrait me faire redoubler de prières pour les hommes et les femmes politiques de notre société.
Je suis quand même profondément frappé par la direction que le premier chapitre de la Genèse donne au service de la société humaine. Lorsque Dieu confit au premier couple la responsabilité merveilleuse et redoutable de remplir la terre de sa présence, trois dimensions de la vocation créationnelle vont structurer la vie des porteurs de l’image de Dieu : la bénédiction, la fructification, le gestion généreuse.
Servir la société humaine, serait-ce alors chercher par-dessus tout à être une bénédiction pour tous (pas seulement pour “le parti” ou pour “le plus grand nombre”) ? Serait-ce aussi travailler en vue de la fructification de la société ? Et, osons-le, serait-ce enfin servir non par une volonté de contrôle brute, mais par une gestion (ou contrôle) généreuse du monde… qui aurait comme conséquence la fructification de la société, et la bénédiction pour tous.
Est-ce possible, dans ce monde qui porte les marques quotidiennes du péché ? Honnêtement, je en sais pas. C’est peut-être plus une prière qu’autre chose. Que ce soit idéaliste, naïf, ou irréaliste, il n’en demeure pas moins une chose : le soin de la polis est l’appel par excellence du politicien. Sa vocation est d’être instrument de bénédiction sociale, en vue de la fructification de tous, par le moyen d’une gestion généreuse de la richesse que Dieu continue de donner dans sa bonté commune.
En voilà un programme auquel je pourrais souscrire !