Chroniques du mystagogue
Chroniques du mystagogue

Chroniques du mystagogue

Un mystagogue ? Animal oublié venu d’un quelconque lieu abandonné ? Une nouvelle profession liée aux technologies émergentes ? Un terme barbare connu des seuls théologiens ?

Rien de tout cela.

Le mystagogue, c’est une figure tirée de l’imagination et de la verve journalistique de l’un des grands auteurs anglais du début du vingtième siècle, Gilbert Keith Chesterton. Le mystagogue c’est cet utilisateur de la langue française que nous sommes tous en partie. Le mystagogue, c’est celui qui surfe sur les phrases acceptées, bien qu’elles n’aient pas vraiment de sens. Le mystagogue, c’est celui qui surfe sur quelque chose que tout le monde pense comprendre, et qui finalement n’a pas de sens.

Chesterton allait même plus loin : « Le démagogue réussit parce qu’il se fait comprendre, même s’il ne mérite pas d’être compris. Mais le mystagogue réussit parce qu’il se fait mal comprendre, même si, en règle générale, il ne vaut même pas la peine d’être mal compris. »1 Le démagogue, nous le connaissons tous : c’est celui qui chercher à flatter, à remporter l’adhésion de tous, et qui y réussit souvent, non pas parce qu’il « mérite d’être compris » mais parce qu’il dit ce que nous désirons entendre. Le mystagogue est différent. Son objectif n’est pas la flatterie. Il n’y a pas de double motif chez lui, et en ce sens, il est plus transparent que le démagogue.

Le mystagogue parle… et ce qu’il dit semble être compris. Il parle, et son mot d’ordre explose en likes et devient slogan. Le mot lancé presque sans le comprendre va marquer des générations. Le mystagogue c’est celui qui répète un mot d’ordre, une idée clé, jusqu’à ce que tout le monde l’adopte. Même si cela ne veut rien dire. Même si cela est tout à fait contradictoire. Une mystagogie c’est donc ce que nous pensons comprendre. La mystagogie c’est soit ce que nous comprenons par erreur, ou ce que nous comprenons seulement parce que cela ne veut rien dire. La mystagogie, c’est penser avoir dit quelque chose, sans avoir vraiment dit grand chose.

Mais il y a un autre sens, proche de ce que Chesterton entendait mais que lui-même ne mentionne pas. La mystagogie, c’est aussi tout ce que nous entendons à longueur de journée et que nous acceptons tout simplement parce que le slogan est soit socialement et théologiquement acceptable ( ou même « normal »), soit parce que cela fait partie d’un soit-disant « sens commun ». C’est d’ailleurs pour dénoncer cette travestie du langage que le théologien protestant Jacques Ellul avait en son temp publié son Exégèse des nouveaux lieux communs.

Nous sommes tous des mystagogues. Nous sommes tous les serviteurs, souvent involontaires, de l’esprit mystagogique.

Le plus tragique, c’est que la mystagogie se retrouve même en théologie, et même dans les Églises. Regardons-nous en face : nous sommes tous sujets à la mystagogie. Personne n’est parfait. Nous utilisons tous les mauvais mots, nous suivons tous la « tendance », nous parlons tous en l’air… surtout à l’âge des réseaux sociaux ! Nous sommes tous des mystagogues. Nous sommes tous les serviteurs, souvent involontaires, de l’esprit mystagogique. Parfois c’est par habitude, sans le vouloir. Parfois nous adoptons simplement des idées qui nous semblent bonnes, sans prendre le temps de nous arrêter et d’y penser attentivement. Nous les mystagogues, sommes des serviteurs inconscients, ce qui n’enlève pourtant rien à notre responsabilité.

Affirmons-le fortement dès maintenant : nous pouvons tous tomber dans le piège de la mystagogie. Notre quête est de discerner comment s’est manifesté ce danger par le passé, et comment nous en garder. Ces courts posts n’ont que ce modeste objectif : essayer de dévoiler les mystagogies que nous rencontrons au quotidien, ces petits mots, ces petites phrases que nous pensons et acceptons sans vraiment y faire attention.

Cette quête dans laquelle nous nous lançons demande un regard honnête et humble, car sous le ton souvent polémique, c’est nous qui sommes en cause. Ce n’est pas la société d’abord qui est mystagogique. Oh bien sûr, elle l’est ! Mais le premier mystagogue, c’est nous. C’est moi. Pas la « société » ou les « politiques ». Moi. Nous.

D’ailleurs dans les pages qui suivent, il est parfois question du discours politique, alors vivement critiqué. Loin de moi l’idée de dévaloriser le domaine politique ou même de stigmatiser nos représentants politiques. Je ne pense pas que la politique, ou les politiciens, soient mauvais, et moins encore le mal incarné. Bien sûr que non ! Au contraire, je pense que nous ne prions pas assez pour ceux qui ont une lourde charge, une responsabilité que je ne voudrais aucunement avoir ! Nous devons

Cependant, le pouvoir politique, pour le meilleur et pour le pire, est ainsi fait : il ne peut que se nourrir d’injustices et répéter les erreurs du passé. Parfois, il sera question des incohérences et des absurdités du système français. Là aussi, je ne critique pas premièrement les personnes qui, au quotidien, oeuvrent dans notre monde, comme les professeurs médecins, etc. C’est plutôt le système dont il font partie et sur lequel ils n’ont aucune portée qui est symptomatique d’un problème auquel la seule réponse est la fois en Christ ressuscité.

C’est l’autre objectif de ce livre : montrer comment la foi chrétienne est le seul antidote à toutes les mystagogies. Ce remède n’est possible que parce que Christ nous transforme par son Esprit. Il nous donne non seulement un coeur nouveau, mais une nouvelle manière de voir le monde. Nous ne sommes ainsi plus « conformés au règles de ce monde » (Rm 12.2) Nous sommes témoins et porte-parole du Seigneur de grâce. Ce renouvellement de l’Esprit nous permet, en étudiant la Parole de Dieu, de discerner quels sont les « règles de ce monde » que nous devons écarter. Ce défi est constant pour chacun de nous.

Il me reste à faire une petite note sur le ton de ce livre. Ces quelques « chroniques » sont assez courtes, et le ton, je l’ai dit, est volontairement polémique. Cela tient en partie à l’origine de ces quelques réflexions. D’abord écrite pour une publication en ligne, elles avaient une audience très restreinte : essentiellement quelques amis et étudiants en théologie. Ces chroniques proviennent aussi d’une observation du monde dans lequel nous vivons. Je suis d’ailleurs redevables à plusieurs amis pour m’avoir signalé certaines « mystagogies » que je n’avais pas encore discernées. Leurs expériences pastorales ont été particulièrement importantes.

Je tiens à avertir le lecteur sur ce point car la polémique n’est pas forcément pour tout le monde. Qu’une chose cependant soit claire : ce ton polémique donnera l’impression que je suis en campagne « contre » toutes les autres opinions. Certains trouveront que ma critique va parfois trop loin. D’autres trouveront le ton arrogant. Mais rappelez-vous que le but recherché est d’agiter la réflexion, de nous pousser à toujours remettre en question les « petites phrases » que nous disons sans réfléchir. Le but est de nous encourager à ne pas parler sans vérifier que ce que nous disons est d’abord nourrit par notre foi en Jésus-Christ et la révélation de Dieu dans la Bible.

Et je dis bien « nous ». Car je suis comme tout le monde. L’humilité est, après tout, une partie importante de la vie chrétienne. Nous sommes tous des mystagogues. Nous mystifions les gens autour de nous en répétant parfois des choses qui n’ont en fin de compte pas beaucoup de sens. Mais je suis aussi un mystagogue. Je répète parfois ce que j’entends, sans vraiment y penser. Je pense, j’agis sans m’arrêter un instant pour me dire : « Cela a-t-il vraiment un sens ? » Je suis trop satisfait de pouvoir paraître dans la norme.

Oui, je suis aussi un mystagogue. Je suis même le premier des mystagogues quand je pense ne pas l’être.

Oui, je suis aussi un mystagogue.

J’espère seulement que je le serai moins dans les pages qui viennent.

Je suis aussi un mystagogue, car il n’y a qu’un homme qui a toujours été fidèle, bon, compatissant, incarnation de la paix et de l’amour. Il y a un seul homme qui a vécu de manière parfaitement fidèle et selon la volonté de Dieu. Cet homme, c’est Dieu fait homme. C’est Christ. Le seul être humain qui n’ait jamais été mystagogue, c’est celui qui est Seigneur sur toutes choses. Lui, il lit dans les coeurs ce que les hommes essaient de cacher dans leurs discours. Il transperce la mystagogie par sa sagesse divine. Il sépare les expressions vides de celles qui nourrissent la foi, comme il séparera le bon grain de l’ivraie.

Le seul vrai anti-mystagogue, c’est Christ lui-même.

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Notes :

1 G. K. Chetserton, « Demagogues and Mystagogues », dans All Things Considered,