L’année dernière pour le début de la nouvelle année, j’avais déjà partagé un poème, The Gate of the Year de Minnie Louise Haskins. Cette année, c’est au détour d’un receuil méditatif de poésie que le poème suivant m’a frappé comme tout indiqué. Rien de bien étonnant d’ailleurs : c’est ma femme qui me l’a recommandé !
Cette année je veux partager The Darkling Thrush de Thomas Hardy, un poème écrit pour la nouvelle année, et publié par le London Times le 1er janvier 1901. J’ai adopté la traduction française trouvée sur ce site, à part quelques menues corrections.
Je m’appuyais sur une haie
Le gel spectral et gris
Les fonds de l’hiver désolaient
L’oeil du jour affaibli
Des lianes gribouillaient le ciel
Cordes cassées de lyres
Tous ceux qui traînaient là
Avaient retrouvé leur chez-soi.
Ce paysage âpre me semblait
Couché là le cadavre du siècle
Sa crypte la voûte nuageuse
Le vent son requiem
L’antique pulsion de vie me semblait
Réduite à un rien dur et sec
Et tout esprit sur terre
Aussi peu transporté que moi
Quand une voix jaillit soudain
Des rameaux noirs là-haut
Un chant du soir lancé de tout cœur
En toute joie
Une vieille grive frêle amaigrie
La plume toute ébouriffée
Avait donc choisi de jeter son âme
Face à l’obscurité qui venait.
Il y avait si peu à chanter
Et pour une telle extase
Si peu était écrit dans le monde
Au loin comme au plus près
Que je pouvais penser que vibrait
En sa chanson de bonne nuit
Quelque Espoir béni dont l’oiseau avait à connaître
Et dont j’ignorais tout.
Si Hardy n’était pas particulièrement chrétien, ou même religieux, il y a pourtant une langueur spirituelle qui transpire de ce poème. Malheureusement cela se traduit mal dans le texte français. Hardy joue non seulement sur une tension grandissante entre les trois premières strophes du poèmes et son dénouement final. Il joue aussi sur quelques mots qui dans le texte original donnent une coloration spirituelle, nous redirigeant vers celui dont nous avons commémoré la première venue. Hardy joue sur les mots, des mots dont la connotation imprègne le texte d’un rapport complexe et implicite à l’incarnation.
-> La grive est saisie d’un espoir béni (blessed Hope) alors que le lecteur, observant dans la neige le temps maussade de l’année à venir, ne peut que s’émerveille qu’une des créateurs de Dieu témoigne de plus de discernement.
-> La capitalisation de l’Espoir est elle aussi à noter. Il ne s’agit pas de n’importe quel espoir. En français, nous pourrions peut-être même adopter le terme “Espérance” pour accentuer la relation au Christ.
-> La grive est saisie d’un espoir béni (blessed Hope) alors que le lecteur, observant dans la neige le temps maussade de l’année à venir, ne peut que s’émerveille qu’une des créateurs de Dieu témoigne de plus de discernement. Pour renforcer le contraste finale entre l’espérance simple de la créature divine et le gel “spectral et gris” qui nous acceuille au début du poème, Hardy ne fait pas simplement chanter la grive… il la fait caroling, il la fait chanter des chants de Noël ! Il lui fait entonner des chants en l’honneur du Christ ! Rien de surprenant : si dans l’Ancien Testament les arbres peuvent battre des mains en l’honneur de Dieu (Es 55.12), Hardy peut bien chanter des hymnes à une frêle grive !
La nouvelle année sera toujours un test de notre foi. Nous avançons, nous attendons. Nous nous appuyons sur une haie, un jour d’épuisement, et nous contemplons. Ou nous déprimons. Nous sortons de notre quotidien et nous ne trouvons dehors que le gel qui recouvre la vie. Il semble que rien ne puisse déployer
Au milieu de la froideur de la nouvelle année, quand la vie elle-même s’efface derrière le brouillard de janvier, alors que tout se met en pause, suspendu au rythme éternel des saisons, la grive, veille, frêle, et amaigrie reste le seul témoin. Elle voit à travers les saisons. Elle sent, elle sait, elle saisit la réalité que personne d’autre ne discerne.
Sous la plume de Hardy, la création entière nous invite à continuer à faire résonner nos chants d’allégresse. Les chants de Noël, qui sont en plus de moins en moins chantés, peuvent se faire entendre tous les jours, et plus encore au cœur de l’hiver.
La force de notre foi n’est pas fonction de ce que nous voyons. N’adoptons pas la première voix du poème. La vigueur de notre vision se voit dans ce que nous ne voyons pas : “Or la foi, c’est l’assurance des choses qu’on espère, la démonstration de celles qu’on ne voit pas.” (Hb 11.1) La foi n’est pas d’abord dans ce que nous voyons. Certainement, elle peut être nourrie et renforcée par la vue de la fidélité des actions de Dieu. La foi n’est cependant pas définie par la vue.
La grive de Thomas Hardy est une invitation à la foi, même au plus profond de l’hiver !