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La semaine sainte est toujours un temps de méditation et de mémoire, une don de retour sur la personne de Christ. Un temps d’humilité et de silence, des jours de relecture et de réflexion. C’est un temps de relecture en particulier des récits de la Passion. Depuis l’entrée de Jésus à Jérusalem, à sa résurrection, en passant par le nettoyage du temple et la prière dans le jardin de Gethésamné, les textes reviennent vers nous fraîchement relus à travers ce que nous avons vécu pendant les semaines, les mois, et l’année écoulée. Nous retrouvons ces passages parfois trop familiers.
L’un des passages qui me surprend toujours le plus… c’est celui de l’étonnement des disciples lorsque Jésus leur annonce que l’un d’entre eux va les trahir. Malgré ce que Jésus dit, en dépit de ce que Jésus fait, rien n’y fait.
En Marc 14, l’incompréhension des disciples n’est pas décrite par l’Évangéliste : “17 Le soir venu, Jésus arrive avec les douze disciples. 18 Pendant qu’ils étaient à table et qu’ils mangeaient, Jésus dit : ‘Je vous le déclare, c’est la vérité : l’un de vous, qui mange avec moi, me livrera.’ 19 Les disciples devinrent tout tristes, et ils se mirent à lui dire l’un après l’autre : ‘Est-ce moi ?’ 20 Jésus leur dit : ‘C’est l’un d’entre vous, l’un des douze, celui qui est en train de se servir avec moi dans le plat. 21 Le Fils de l’homme va mourir comme les Écritures l’annoncent ; mais quel malheur pour celui qui livre le Fils de l’homme ! Il aurait mieux valu pour cet homme-là qu’il ne soit pas né !'”
Plus étonnant est le passage de Matthieu 26 : “20 Le soir venu, Jésus se mit à table avec les douze disciples. 21 Pendant qu’ils mangeaient, Jésus dit : ‘Je vous le déclare, c’est la vérité : l’un de vous me livrera.’ 22 Les disciples en furent profondément attristés et se mirent à lui demander l’un après l’autre : ‘Est-ce moi, Seigneur ?’ 23 Jésus répondit : ‘Celui qui est en train de se servir avec moi dans le plat, c’est lui qui me livrera. 24 Le Fils de l’homme va mourir comme les Écritures l’annoncent à son sujet ; mais quel malheur pour celui qui livre le Fils de l’homme ! Il aurait mieux valu pour cet homme-là qu’il ne soit pas né !’ 25 Judas, celui qui le livrait, prit la parole et demanda : ‘Est-ce moi, rabbi ?’ Jésus lui répondit : ‘C’est toi qui le dis.'”
C’est là que l’étonnement me saisit, tel un étau, il m’enserre et ne me lâche plus. Bien sûr, nous avons l’habitude de charger les disciples de toute l’ignorance du monde. Ils ne comprennent pas qui est Jésus et lorsqu’il semblent avoir un éclair de compréhension, tel Pierre, la réalité de notre nature humaine inconstante les rattrape. Pierre. Les dix autres disciples aussi, lorsque Jésus leur dit, pour le moins clairement, que l’un d’entre eux va les trahir. Et pourtant, cela ne passe pas. Ils ne peuvent y croire.
Mais Jésus ne se contente pas de cela… mais leur donne un signe : il mangera avec celui qui le vendra aux chefs religieux. L’Évangile de Luc ajoute que les disciples partent alors dans l’un de leur nombreux débats. Qui ? Qui est-ce ? Pourtant Jésus leur a donné un signe. Peut-être que nous pouvons nous méprendre sur le sens d’une parole… mais le geste de Jésus, n’est-il pas clair ? Tous les disciples ne voient-ils pas Judas, le signe même de la trahison.
Il serait facile de tenir les disciples pour des incarnations du doute. Des douteurs professionnels qui n’arrivent pas même à croire que… quoi ? L’un des leurs pourrait les trahir ? Ils n’arrivent pas à imaginer que celui qui a vécu avec Jésus pendant trois ans, qui a vu les signes, les guérisons, qui a peut-être été menacé par les chefs religieux à cause de son association avec le “prophète galiléen”… que ce même Judas puisse être un traître.
Hésitons un moment devant le doute des disciples. Ne pensons pas trop rapidement que ce texte nous parle des Judas que nous pourrions rencontrer au sein de la communauté de disciples que nous formons. Pensons d’abord à nous… que faisons-nous de nos hésitations humiliantes, de nos débordements obsessifs ? Ne sommes-nous pas nos propres Judas ? Ce “nouvel homme” que nous nommons “disciple” n’est-il pas souvent trahit par cet “ancien homme” qui s’appelle Judas ?
Lorsque le Christ, nous appelant autour du repas, dit “Venez, car tout est prêt,” plane aussi au-dessus de nos consciences la trahison qui pourrait être la notre. Christ, lui, ne dit rien. Il nous attend. Mais nous… nous savons ce que nous sommes. Nous savons que l’Esprit éclaire notre conscience : nous sommes ce Judas. Nous le portons en nous, tapi derrière les circonstances de notre vie. Judas se réveille au moindre doute, il sort et veut trahir notre foi. L’Esprit, lui, nous éveille et nous rend conscient de la présence de ce Judas. Par cette œuvre de Dieu en nous, nous voyons ce Judas pour qui il est. Ne doutons pas que Judas peut trahir son seigneur. Ne doutons pas que nous sommes faibles, que nous devons aussi veiller à cette foi reçue.
Oui, Judas est là… et il sort vendre Jésus aux chef religieux.
A l’intérieur, Jésus nous réconforte. Il prend le dernier repas avec nous. Il nous assure qu’il nous préservera de toute chute. Il nous fait déjà entrevoir le banquet glorieux du royaume. Il prendra le repas de nouveau avec nous, dans le royaume. Quand les Évangiles décrivent cette trahison de Judas, à quelques minutes de l’institution de la sainte cène, nous sommes embrassés par Jésus lui-même dans notre inclusion avec les disciples ; bravant le doute, nous découvrons la bonté du Seigneur. Il nous parle de paix, il nous promet sa paix, il nous donne sa paix. Il nous envoie son Esprit et nous conduit sur un chemin nouveau.