Depuis presque 20 ans, la franchise de Mamoru Oshii règne sur le cyberpungk des anime. Du premier long métrage en 1995 aux deux séries Ghost in the Shell: Stand Alone Complex, l’exploration de la nature humaine, de l’individuation des êtres artificiels, mais aussi des questions telles que l’identité, la mémoire et les souvenirs, étaient au centre du monde de Ghost in the Shell. Sans parler des intrigues politiques brillamment menées, particulièrement dans la 2nd GIG (2e saison). Après l’excellent Solid State Society (2006) — mettant en avant l’émergence d’une conscience collective artificielle fusionnant avec le système social (d’où le “solid state”) — beaucoup attendaient la suite.
Elle s’est faite attendre. Un peu plus de six ans. L’année 2013 a vu sortir les deux premiers OVA, sur quatre annoncés, du nouveau Ghost in the Shell: Arise. Dès son annonce, beaucoup ont craint qu’une “préquelle” ne soit une erreur. La crainte principale était que GiS ne se transforme en un anime pour adolescent : de l’action et des effets spéciaux, mais pas de contenu. Cette crainte n’était finalement pas justifiée, mais qui était sérieusement inquiet ? Que Oshii puisse vendre son chef d’oeuvre pour se rabaisser au niveau d’autres anime de moindre qualité aurait été pour le moins aberrant.
Cette nouvelle série prend un format différent : 4 OVA d’une heure, appelés “Borders” (frontière). La première partie, “Ghost Pain” pose donc les premiers jalons de ces quatre nouvelles heures. Pour ceux qui attendaient de Arise qu’il se présente comme un simple récit du passé des personnages principaux de GiS comme le Major ou Aramaki, première déception : il n’y a pas de linéarité chronologique claire entre Arise et, par exemple, Stand Alone Complex. La linéarité est plutôt symbolique et thématique, ce qui donne une certaine cohérence d’ensemble, en tous cas, une certaine cohérence à ce premier épisode.
Car “Ghost Pain” est bien un classique GiS : visuel finalement assez épuré comparé à d’autre anime ou oeuvres d’anticipation. Il y a aussi le cyberpunk, l’intrigue, les questions “habituelles” de cet univers. Et enfin, une autre caractéristique de GiS : il y a toujours plus que vous ne pouvez comprendre la première fois. Ce sera probablement la même chose ici.
Dans ce “Border” nous faisons les premiers pas vers la formation de l’équipe que nous connaissons des autres opus de GiS. Mais surprise, l’un des personnages principaux n’occupe pas vraiment la place que nous lui connaissons. Batou, le cyborg aux yeux de ranger, apparaît la première fois comme un adversaire. Un adversaire, ou plutôt même un “concurrent” dont on ne sais pas trop quoi faire. Vraisemblablement, il faut attendre la suite pour savoir comment cette opposition initiale se transformera en coopération, pour dire le moins.
Sans révéler l’intrigue, au cas où certains souhaiteraient voir cet épisode de Arise, quelques points cependant. On ne peut pas vraiment dire que “Ghost Pain” ajoute vraiment à ce que les autres séries avaient exploré. C’est peut-être d’ailleurs le plus grand défi de cette “préquelle” : poursuivre la philosophie de Ghost in the Shell. Une chose intéressante, soulignée plus qu’ailleurs auparavant (il me semble), c’est là manière dont le “subconscient” lutte contre les piratage de la conscience (“ghost hacking“) et essaie de séparer le réel de la mémoire, et la mémoire implantée de la mémoire réelle. Mais dans quelques minutes de “Ghost Pain”, nous voyons aussi la souffrance et l”isolation d’un individu confronté à l’impossibilité de distinguer mémoire réelle de mémoire implantée. Lorsqu’il n’y a plus de frontières, l’individu est seul, sans même savoir s’il est vraiment seul.
Nous rencontrons aussi le Major sous un nouveau jour. Nous la connaissions bien : une des meilleurs “hacker”, distante et cependant en lutte avec les mêmes questions centrales au monde de Ghost in the Shell. Mais en somme, un personnage fort, presque sans limite. Ici, nous retrouvons un personnage qui avait été évoqué au cours de la 2e saison de Stand Alone Complex : en proie à certaines faiblesses, victime de ses propres erreurs. Dans “Ghost Pain”, c’est aussi la manière dont le Major fait face à ses faiblesses qui construit sa personnalité.
Enfin, le point le plus positif, qui fait l’attrait principal de Arise semble être (en tous cas si les autres épisodes sont semblables à ce premier) la personnalité du Major, explorée d’une manière assez inattendue : d’une manière beaucoup plus personnelle qu’auparavant. La psychologie du Major sera peut-être même, qui sait ?, l’un des objets principaux de Arise. Du côté des points négatifs, le plus décevant est sans nul doute l’absence de réflexion philosophique. Cela peut être dû à un certain essoufflement de GiS, à une différence dans la direction de la série, ou au rythme nécessairement plus rapide d’un OVA que d’une série comme Stand Alone Complex.
Quoiqu’il en soit, pour ceux qui attendaient Arise pour poursuivre, par exemple, leur exploration apologétique du monde de Ghost in the Shell, alors la déception est perceptible. Personnellement, c’est en partie ce qui faisait l’attrait de GiS : pouvoir s’appuyer sur cette anticipation pour avoir une parole prophétique dans un monde post-humain déjà entrain de se construire. Le monde de GiS rejoint de plus certaines grandes questions bibliques : l’identité personnelle, notre lien avec une conscience transcendante (Dieu), ou encore la question de la mémoire (et donc de la connaissance, donc, de l’épistémologie). Pour aller plus loin, il n’y a guère de chance que Arise nous soit bien utile, malheureusement.
Alors, succès ? Cela dépend un peu de ce qu’on en attendait. La tentation c’est certainement de toujours espérer le “plus”, le spectaculaire, car Ghost in the Shell nous y a habitués. Ici, pas de spectaculaire, mais une valeur solide qui réussi donc à remplir son premier but : construire sur les acquis de GiS. Bien sûr, maintenir cet intérêt et cette qualité sera un bien grand défi. On ne peut qu’attendre le 2e épisode pour confirmation. Cependant, “Ghost Pain” aura probablement servit à calmer les sceptiques, si ce n’est à apaiser les plus récalcitrants.