Les articles de “réaction” ou de réponse à un post ne sont pas toujours une bonne idée. Si une pensée se construit dans le dialogue et l’interaction critique, les réponses vives à tel ou tel article doivent être plus discrets. C’est une pratique que j’ai du mal à faire mienne. Du moins… j’essaie de me retenir, surtout lorsque ce n’est pas nécessaire. Problème. Quand est-ce qu’une réponse, circonstanciée, vive ou plus modérée, devient-elle nécessaire ? La réponse est laissée à la liberté chrétienne.
En cette période électorale, un article très intéressant a été publié par les Attestants : Face à ceux qui (se) disent « Pourquoi pas Le Pen », comment expliquer pourquoi « Pas Le Pen » ? Je trouve l’article plein de retenue et de prudence, sans manquer toutefois d’engager les lecteurs à la réflexion, ainsi qu’à incarner leur foi, y compris dans leur action civile. L’article est excellent… jusqu’à son paragraphe final :
Bref, voter ne sera jamais élire la bonne personne contre la mauvaise personne. Ce sera toujours choisir, faire un choix en conscience entre la peste d’un César-Jules et le choléra d’un César-Auguste. Mais n’oublions pas que le taux de létalité du choléra et de la peste n’est pas du tout le même… L’important sera donc de voter, parce que l’abstention est pour le coup la pire des lâchetés car elle consiste à se défaire de ses responsabilités (relisez la parabole de Jotam en Juges 9,7-21)
C’est là que je me lâche un peu. Par quel orgueil moral est-il possible de dire que l’abstention est la pire des lâchetés ? La réponse suit : parce que c’est se défaire de ses responsabilités. Par quel miracle toute abstention serait-elle un choix irresponsable ?
Il faudrait au minimum reconnaître que toutes les abstentions n’ont pas la même motivation, de même que tout vote “Macron,” ou tout vote “Le Pen” ne sont pas toujours motivées par les mêmes raisons. Heureusement d’ailleurs ! Il serait sage de reconnaître que tous ceux qui votent “blanc” ou choisissent de ne pas voter ne le font pas pour les mêmes raisons.
Certains le font par désintérêt ou par je-m’en-foutisme, je n’en doute pas. Même dans ces cas-là, faut-il parler là de comportement irresponsable ? Personnellement, je me garderai bien de traiter mon frère de “fou” (fou ou irresponsable, la différence n’est-elle pas fine ?) au risque d’être reprit par le Seigneur (Mt 5.22). Je peux questionner le choix d’un ami, d’un frère, d’une sœur, et cependant je ne me risquerai pas à porter un jugement moral trop rapide sur son choix.
Il est d’ailleurs un peu ironique que l’article défende si bien le “choix” que les chrétiens sont appelés à faire, et qui restera le leur (amen !)… tout en contestant que l’abstention puisse aussi être un choix !
Parlant de choix, justement… pour beaucoup de personnes décider de s’abstenir n’est pas un manque de responsabilisation. Ce n’est pas non plus un désengagement. C’est parfois la conclusion pénible et douloureuse que la société actuelle n’est pas capable de nous donner des alternatives politiques convaincantes.
Il est tout à fait possible de voter Macron ou Le Pen par habitude, par tradition, par attachement au Parti… ou par mimétisme social. Voter pour un candidat est toujours un acte personnel, un choix, mais qui témoignage d’une plus ou moins grande conscience de sa responsabilité. Certains vont voter pour un candidat, sans vraiment avoir pesé le pour et le contre. Certains vont s’abstenir en ayant regarder et lu les interviews des candidats, en ayant lu leurs livres, décortiqué leurs programmes. Ces derniers ont-ils une attitudes plus problématique que les autres ? Est-elle moralement inférieure ? Il est possible de répondre par l’affirmative, c’est ce que fait le texte des Attestants. Personnellement, je ne suis pas certain que ce soit aussi clair que cela !
S’abstenir, en ayant pesé, évalué, mesuré, les programmes et les attitudes des deux candidats, c’est un signe responsable envoyé à une société qui est tellement obsédée par les apparences et les “petits mots” tweetables, que les discours de substance font trop facilement office de récits légendaires ou fantastiques : “Il était une fois un royaume dans lequel les débats politiques étaient profonds et civilisés.” S’abstenir, c’est dire que l’enfermement social dans des choix binaires soi-disant nécessaire, de l’ordre du “moindre mal,” ne sont pas toujours satisfaisants.
Pour ce qui est de la référence à la “parabole de Jotam”, ce qui est clair dans ce texte, c’est qu’il y a des mauvais choix. Ce qui est moins clair, c’est que s’abstenir est une lâcheté. Après tout, rien dans le texte ne parle d’abstention :
8Un jour, les arbres décidèrent de se choisir un roi. Ils dirent à l’olivier : “Règne sur nous !” 9Mais l’olivier répondit : “Vais-je renoncer à produire mon huile, appréciée par les dieux et par les êtres humains, pour aller m’agiter au-dessus des autres arbres ?” 10Les arbres dirent alors au figuier : “Toi, viens régner sur nous !” 11Mais le figuier répondit : “Vais-je renoncer à produire mes fruits sucrés et délicieux pour aller m’agiter au-dessus des autres arbres ?” 12Les arbres dirent ensuite à la vigne : “Toi, viens régner sur nous !” 13Mais la vigne répondit : “Vais-je renoncer à produire mon vin, qui remplit de joie les dieux et les êtres humains, pour aller m’agiter au-dessus des autres arbres ?” 14Finalement tous les arbres s’adressèrent au buisson d’épines : “Toi, viens régner sur nous !”, lui dirent-ils. 15Et le buisson d’épines leur répondit : “Si vraiment vous voulez me choisir comme roi, venez vous placer sous mon ombre ! Si vous ne le faites pas, qu’un feu jaillisse de mes épines et brûle même les cèdres du Liban !” »
La seule chose dont le texte parle… ce sont des “choix électoraux”… Il est assez évident que choisir le buisson d’épines était une mauvaise idée. Où distinguer dans cette parabole un refus, ou même une dénonciation, de l’abstention ? J’avoue me gratter encore la tête, et pourtant j’estime avoir pas mal d’imagination. Faut-il faire de cette parabole une image politique de notre temps ? Je ne crois pas. Ce serait détourner, ce serait instrumentaliser, cette parabole !
Dimanche, je m’abstiendrai, et si cela fait de moi quelqu’un d’irresponsable aux yeux de citoyens qui ne comprennent pas ce choix, je l’assumerai volontiers (comme je l’ai déjà fait ici, ici, et ici). De mon côté, je maintiendrai que mes frères et sœurs qui font un autre choix, y compris celui de me traiter d’irresponsable, sont des frères et sœurs en Christ et qu’ils agissent selon la sagesse que Dieu donne à chacun.
En ces derniers jours avant le deuxième tour, ma prière est que ceux qui portent le nom de Christ continuent de témoigner de leur foi, de vivre l’espérance, et de démontrer l’amour fraternel afin que nous ne nous retrouvions pas obligés de nous repentir de la campagne présidentielle.