Pour se connaître, et pour tenter de saisir toute l’intensité de My Favourite Faded Fantasy, il faut puiser dans les fréquences meurtries de l’album, et cela nécessite de désirer voir, sincèrement, ce que nous sommes. Et soudain, l’âme est mis à nue. Les faiblesses et les défauts sont violemment exposés, les doux arrangements sur certaines pistes contrastant fortement avec la douleur de nos émotions. Honnêtement, nous pouvons demander : « Am I the greatest bastard that you know? But I never meant to let you down. » (« The Greatest Bastard »), tout en confessant :
You could be my favourite taste
« The Greatest Bastard »
You could have my favourite face
You could be my favourite place
You could be my favourite faded fantasy
You could hold the secrets that save
You could be my poison, my cross,
What it all could be with you
I’ve never loved loved loved like you
Qui n’a pas ressenti cette profonde, submergeante émotion, fruit amer d’une relation personnelle. Si Rice fait s’envoler sur notes et mots, une telle intimité, cette dernière dépasse la dimension biographique. L’émotion de My Favourite Faded Fantasy est universelle parce que l’intime force de Rice est sincère, représentant les vrais sentiments d’une humanité qui partage toutes ces émotions.
Après les sept ans d’absence de Rice, après sa dissolution musicale – temporaire certes – entendre sous sa plume « It takes a lot to live, to ask for help ; To be yourself, to know and love what you live with » (de « It Takes a Lot to Know a Man ») est plus que significatif. À se demander quelle est la part d’intimité dans ces quelques lignes. Avec Rice, nous pouvons nous attendre à une confession émotionnelle. L’un des morceaux les plus mémorables est « It Takes a Lot to Know a Man », qui rappelle la longue route de Rice entre 9 et My Favourite Faded Fantasy :
It takes a lot to give, to ask for help
« It Takes a Lot to Know a Man »
To be yourself, to know and love what you live with
It takes a lot to breathe, to touch, to feel
The slow reveal of what another body needs
It takes a lot to give, to ask for help
To be yourself, to know and love what you live with
It takes a lot to breathe, to touch, to feel
The slow reveal of what another body needs
Si les thèmes parcourus dans ce nouvel opus ne sont pas nécessairement originaux, l’unité entre voix, musique et esthétique en font, à mon sens, non seulement le meilleur album de Rice, mais aussi un témoin puissant de la création artistique. Cette création met en avant non seulement la profonde humanité de l’artiste, mais aussi cette empreinte de l’image de Dieu qui demeure en tout être humain. Parfois, ces deux parties de l’humanité créent une tension qui nourrit l’art. L’artiste est créateur – à l’image de Dieu – et en même temps il le fuit. L’être humain, disait Jean Calvin, est une « usine à idoles », mais il est aussi aliéné.
Cela explique en partie certaines tensions émotionnelles au coeur de l’album. Dans un live au Wuk, à Vienne, le 11 juillet 2012, alors qu’il était en pleine composition de My Favorite Faded Fantasy, Rice présenta un acoustique du nouveau « The Box » qui serait plus tard inclus dans l’album. Introduisant ce nouveau morceau il remarque :
« C’est une chanson sur la folie, qui est un concept intéressant vous savez. J’ai remarqué que lorsque je prépare un certain scénario, un arrangement ou une certaine attitude ou… habitudes, les autres autour de moi prennent l’habitude de cela et j’ai vu que je continuais de vivre ainsi même si je sais plus si c’est vraiment moi ou pas. Mais on s’habitue à être comme cela, à aller dans cette direction, et à se comporter de telle manière. Et c’est intéressant de voir que si vous devenez fous, les gens s’intéressent plus à vous, ils vous laissent tomber et ils ont plus d’attentes… « oh il est fou. » Et vous pouvez devenir fou secrètement, pas vraiment fou, mais un peu. Et alors vous êtes libres d’aller à gauche ou à droite. Du coup cette chanson c’est un peu comme se voir dans un miroir et se battre avec cette personne qui est en vous et qui vous empêche d’aller de l’avant. Vous savez quand vous voulez vraiment faire quelque chose mais que vous le faites pas simplement parce que vous y pensez trop, parce que vous avez peur ou quoi que ce soit… »
Et maintenant nous comprenons ces lignes de « The Box », mettant sur la scène du monde un être prisonnier de l’image qu’il présente aux autres. Et quand cette image prend possession de lui, un « reste fidèle » s’écrie :
I have tried but I don’t fit
« The Box »
Into this box I’m living with
Well, I could go wild
But you might lock me up…
Encore et toujours, le « je » nous concerne. Rice est personnel, biographique, mais il n’est pas que cela. Parce qu’il est sincèrement humain, nous sommes à son image – il est à notre image. Cette vision de l’être humain est implacable dans son honnêteté et perception, et l’espoir qu’elle donne, nous souhaiterions qu’il soit dirigé vers l’ultime libération de notre amour et de notre liberté de vivre. Et là, My Favorite Faded Fantasy hésite – c’est bien humain. Dans ce doute il demande cependant : « What are you so afraid to lose? ; What is it you’re thinking that will happen if you do? » (« It Takes a Lot to Know a Man »). Qu’avons-nous à perdre ?
La question même que pose l’Évangile en nous exhortant à la confession, et au retour vers Dieu. La question même que nous pouvons poser à nos contemporains lorsque nous les invitons : « Goûtez, et voyez combien le Seigneur est bon ! Heureux l’homme qui trouve en lui un abri ! »