Les communiqués de presse et la grâce à bon marché
Les communiqués de presse et la grâce à bon marché

Les communiqués de presse et la grâce à bon marché

Le 6 Décembre 2010, et à la suite des nombreux appels continus de soutien à Haïti, la Fédération Protestante de France diffusa le communiqué suivant, partiellement reproduit, et titre « La Fédération protestante de France salue le geste de solidarité de la Marque Peugeot en faveur d’Haïti »  :

La Marque Peugeot a décidé d’offrir la vingt millionième voiture, produite par le site PSA Peugeot Citroën de Sochaux, à un projet de solidarité et de développement en Haïti « un taxi pour un orphelinat », mis en œuvre par la Fédération protestante d’Haïti et soutenu par la Fédération protestante de France. La Fédération protestante d’Haïti et la Fédération protestante de France saluent avec reconnaissance l’initiative prise par la Marque Peugeot de fêter cette étape de sa production par un geste de solidarité1.

 Un tel communique pourrait a priori rendre compte de la voix publique des églises protestantes en France. Face au drame qui continue de se jouer à Haïti, toutes les actions chrétiennes venant à l’aide du peuple Haïtien sont bien sûr les bienvenues. Loin de moi l’idée de mettre en doute les encouragements au soutien et à la compassion envers Haïti.

Cependant, quelle est la portée d’un tel communiqué ? A-t-il même de la valeur, en tant que représentant de notre voix chrétienne ?

Question légitime. Car enfin, ne faut-il pas relire attentivement ce communiqué ? Peugeot, à l’occasion de sa 2.000.000e voiture, a décidé d’offrir celle-ci (c’est à dire une voiture) à un orphelinat d’Haïti. Bon sentiment. Mais que cela représente-t-il pour Peugeot ?

Regardons de plus près : 1,12 million de véhicules vendus en Europe en 20092. Au niveau mondial, en 2010, les ventes unitaires de Peugeot ont augmenté de 13% se montant à 3.602.200 véhicules. La part de marché de Peugeot est quand à elle passée de 13,8% à 14,2% en Europe3. Du coté finances, avec un chiffre d’affaires consolidé en 2009 évalué à 48 817 millions € et un fond propre, la même année, se chiffrant à 13,277 milliards €4, la société Peugeot se place parmi les entreprises Françaises les plus présentes sur le marche Européen.

Peugeot a donc « donné » 1 voiture sur 3,6 million produites, soit 0,000027% de sa production mondiale. En terme de chiffre d’affaires, et considérant que Peugeot n’a probablement pas fait don du modèle le plus complet de toute sa gamme, il est possible d’évaluer le « don » de Peugeot à en dessous de 0,000015%.

Question subsidiaire : quelle est la portée de la voix chrétienne qui se félicite d’un tel esprit de solidarité ? En sommes-nous réduit à voir dans un don de 0,000015% un grand esprit de solidarité et de compassion ? Critiquer ainsi le groupe Peugeot, groupe mythique de entrepreneuriat de descente Protestante ne fera peut-être pas sérieux, et pourtant ! Adresser une « reconnaissance » officielle à Peugeot pour le don d’une voiture ne réduit-il pas la pertinence de la voix protestante à une gentillette affirmation des bonnes intentions de Peugeot ?

De plus, ne tendons-nous pas à considérer les dons des grandes entreprises comme Peugeot comme plus significatives que ceux de nos membres d’églises qui sont pourtant beaucoup plus proches en esprit de la pauvre veuve de Marc 12.41-44:

41 Jésus, s’étant assis vis-à-vis du tronc, regardait comment la foule y mettait de l’argent. Plusieurs riches mettaient beaucoup. 42 Il vint aussi une pauvre veuve, elle y mit deux petites pièces, faisant un quart de sou. 43 Alors Jésus, ayant appelé ses disciples, leur dit :

« Je vous le dis en vérité, cette pauvre veuve a donné plus qu’aucun de ceux qui ont mis dans le tronc ; 44 car tous ont mis de leur superflu, mais elle a mis de son nécessaire, tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre.

 Considérez : certains fidèles de nos églises protestantes soutiennent déjà leur église locale à hauteur de plus du prix d’une voiture Peugeot par an. De plus, lors de tels appels à la solidarité, beaucoup de membres de nos églises font des efforts sacrificiels envers ceux qui sont dans la détresse la plus dramatique.

Et c’est bien de cela dont il s’agit : ne perdons-nous pas toute pertinence à saluer un don qui ne représente en réalité pour celui qui le fait que peu de choses, surtout lorsque ce don ne représente aucunement l’esprit de don sacrificiel caractéristique de l’éthique chrétienne ? Peut-être dira-t-on qu’il s’agissait d’encourager une entreprise publique à la solidarité. Ou peut-être encore s’agissait-il de publiquement (politiquement ?) encourager une entreprise d’éthique protestante—quoique cela veuille dire ? Mais pourquoi alors ne saluer que le geste de Peugeot ? Ou enfin faut-il saluer tous les gestes de solidarité, quitte à risquer de rendre la voix protestante sans aucune valeur en la noyant au milieu du brouhaha ambiant ? Ou enfin, peut-être sommes-nous si peu habitués à des gestes de solidarité émanant de certains milieux chrétiens que 0,000015% semble être un chiffre miraculeusement grandiose ? La grâce que nous proclamons est-elle aussi bon marché ?

Nous avons donc salué, par la voix représentative des églises protestantes en France, un geste plus symbolique (et encore !) que significatif, de la part de Peugeot. Peut-être la Fédération Protestante de France devrait-elle par un communiqué officiel saluer avec reconnaissance les dons réguliers faits par les membres de ses églises locales, dons qui se rapprochent souvent plus du sacrifice de cette veuve qui symbolisait par là sa vraie adoration.

 

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Notes :

1 Fédération Protestante de France, http://www.protestants.org/index.php?id=32858

2 Communiqué de Presse de PSA, 11 Janvier 2010, http://www.info-financiere.fr/upload/BWR/2010/01/FCBWR055390_20100111.pdf

3 http://votreargent.lexpress.fr/bourse/fiches-valeurs/actualite_dep.asp?id=148122

4 http://www.psa-peugeot-citroen.com/fr/psa_groupe/moyens_financiers_b1.php