par Emmanuelle M.
Ceci est la 2e partie de l’article consacré consacré à la photo « Le crayon guidant le peuple ». Vous pouvez lire la 1e partie ici.
Cependant, l’un des échos les plus récents et des plus frappants à la Liberté guidant le peuple est une photographie prise le 11 janvier 2015 place de la Nation, à Paris. Nous sommes alors quelques jours après la vague d’attentats perpétrée par des terroristes islamistes, qui secoue la France du 7 au 9 janvier : attentat dans les locaux de la rédaction de l’hebdomadaire Charlie Hebdo le 7 janvier, fusillade de Montrouge le 8 et prise d’otage dans un supermarché casher Porte de Vincennes le 9 janvier. Les français se mobilisent donc pour dénoncer l’horreur, l’antisémitisme et défendre la liberté de la presse mise à mal par l’attentat contre Charlie Hebdo. Près de 4 millions de personnes se réunissent à Paris le long d’un parcours qui relie la Place de la République à la Place de la Nation (!), y compris de nombreux chefs ou représentants d’États étrangers, dont la présence de certains est vue comme ironique en vertu du peu de considération pour la liberté de la presse ou individuelle dans leurs pays respectifs. Qu’importe, la Patrie des Droits de l’Homme a été attaquée dans ses valeurs de liberté (de presse) et d’égalité et de fraternité (multiculturelle) et le monde afflue pour défendre ces valeurs : cette manifestation sera la plus importante recensée en France. Marianne, alma mater de la foule ce jour-là, est présente au départ place de la République (le Monument à la République, qui place Marianne sur un piédestal orné des allégories de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité). A l’arrivée du cortège place de la Nation, Marianne est aussi là, surplombant la sculpture Le Triomphe de la Liberté, autour de laquelle la foule se masse.
Un photographe français, Martin Argyroglo, capture la scène Place de la Nation, la photographie fera rapidement le tour des réseaux sociaux et la Une d’une édition spéciale du Nouvel Observateur. Elle représente Le Triomphe de la Liberté et la foule qui l’escalade et l’encercle. Le contre-plongé rend Marianne imposante et dominant la scène. Comme dans le tableau de Delacroix, le drapeau tricolore flotte ; comme dans le tableau de Delacroix, Marianne est le sommet d’une pyramide. Comme dans le tableau de Delacroix, le peuple de Paris est massé à ses pieds ; ce peuple, comme dans le tableau, est composite : français issu de l’immigration, français « de souche », hommes, femmes de tous âges, musulmans, chrétiens, juifs, athées. Un jeune homme (écho fortuit du « Gamin de Paris), isolé sur un élément de la sculpture (un bras qui porte une torche, non sans rappeler celui de la Statue de la Liberté) se détache de la foule en brandissant un crayon géant, symbole de l’arme qui défend liberté de la presse après les attentats de janvier. La photographie est rapidement intitulée « le crayon guidant le peuple », tant son contexte (liberté de la presse mise à mal), sa composition et ses éléments font écho à la peinture de Delacroix. Hasard de la situation, car le photographe ne peut en avoir travaillé la composition, bien que l’on puisse se demander devant cette photographie si l’œuvre de Delacroix n’est pas présente dans l’inconscient collectif français !
Le peuple français est épris de Liberté, il en a eu besoin tout au long de son histoire, aujourd’hui encore. Il se lève massivement pour défendre la liberté de la presse (4 millions de français dans la rue le 11 janvier, sans compter des centaines de milliers les jours précédents). Le combat ne semble jamais gagné, la liberté ne semble jamais acquise, comme le montrent les attentats de janvier. Le sera-t-elle un jour ? En tout cas, l’attachement des français à la liberté est symptomatique du besoin de liberté implanté en chaque être humain. Particulièrement exacerbé en France de par son histoire et ses penseurs, c’est un noble combat, mais en tant que valeur républicaine, il est voué à l’échec : la liberté sera toujours menacée voire attaquée. Les menaces peuvent être externes (invasion d’un pays, par exemple), ou internes (les frères Kouachi étaient citoyens français, ayant été instruits par l’École de la République). Elles peuvent venir des dirigeants (le régime de Vichy), ou de simples citoyens. La liberté ne sera donc jamais un acquis. Notre monde actuel marqué par le péché ne peut nous permettre d’atteindre l’idéal républicain de liberté. Le cœur de l’homme étant mauvais, il sera toujours enclin soit à menacer la liberté d’autrui, soir à avoir une conception de la liberté égoïste. Pourtant il faut reconnaître au peuple français ce désir louable non seulement d’acquérir la liberté pour eux-mêmes, mais aussi pour d’autres peuples. Comme le dit C. S. Lewis, si l’homme a une aspiration profonde, c’est qu’il existe quelque part le moyen d’y répondre. Si nous ne trouvons pas le moyen dans ce monde, c’est que nous sommes faits pour un autre monde1.
La foi chrétienne répond à cette aspiration de deux manières différentes. Pour la première, elle fait avec les français le constat que l’oppression, assujettissement d’un homme par un autre est une mauvaise chose, et que la lutte pour la liberté est justifiée. La Bible nous dit que les hommes (hommes et femmes) sont été égaux devant Dieu, que pour Dieu chaque être humain a une valeur inestimable et égale. Les récits bibliques rengorgent d’exemples de considération pour des personnes qui seraient privées de libertés de nos jours : femmes et enfants notamment. La domination de l’homme par la femme constatée dans de trop nombreux pays est l’une des conséquences directe de la rébellion de l’homme par rapport à Dieu. Les combats de William Wilberforce, abolitionniste britannique, ou de Martin Luther King plus récemment provenaient de leur foi chrétienne et de leurs convictions bibliques en matière de dignité humaine. Cependant, la lutte pour la liberté – en tant que lutte contre l’oppression- ne pourra pas être définitive – comme constaté dans l’histoire de France- tant que régnera le péché. Il faut, d’une part, un cœur transformé et renouvelé par l’Esprit pour qu’un individu cesse de menacer et attaquer la liberté d’autrui, ce qui ne peut pas être institutionnalisé par la République. D’autre part, la foi chrétienne affirme que l’idéal d’une humanité qui ne menace plus la liberté individuelle est une espérance pour une humanité renouvelée et à venir en Christ.
Pour le second aspect de la réponse à l’aspiration de liberté, la foi chrétienne redéfinit le concept de liberté si cher aux français. L’homme n’est réellement libre et ne s’accomplit librement que lorsqu’il est pleinement image de Dieu et agit conformément à ce pour quoi il a été créé. L’asservissement ne vient donc pas d’une personne extérieure et n’est pas une privation des droits individuels, mais il s’agit d’un asservissement au péché, une impossibilité d’obéir pleinement à Dieu et de choisir volontairement de faire le bien défini par Dieu. Revenir à Dieu par la personne de Christ, c’est rétablir l’image de Dieu brisée et être capable de s’accomplir en tant qu’être humain, libre. Nous sommes bien loin de l’idéal des Lumières et de la Révolution française. Mais, tout en aspirant à la Liberté, cet idéal a aussi rejeté l’idée d’un Dieu personnel et immanent. Il n’a fait qu’officialiser (ou institutionnaliser dans les décennies qui ont suivi) un rejet déjà effectif dans le cœur de chaque être humain. Se laisser guider par Marianne ne peut en aucun cas combler un désir de liberté, se laisser guider par Jésus-Christ libérateur, si, puisqu’il permet à l’être humain de se replacer dans une relation avec Dieu.
Une guide au Louvre faisait remarquer que La Liberté guidant le peuple marquait la laïcisation de la peinture française : Marianne y remplace Jésus comme figure centrale, elle le remplace aussi comme guide du peuple. La nation n’est plus chrétienne (si tant elle qu’elle l’ait été un jour), et se cherche un guide. Les français ont raison d’aspirer à la liberté et de la défendre ardemment. Mais la Terreur et les Lumières n’ont pas réussi à effacer un besoin de leader et d’être à adorer dans le cœur des français, et la Révolution Française n’a pas apaisé leur soif de liberté -seule une réconciliation avec Dieu serait à même de combler leurs attentes en tant qu’individus.