Quand j’étais gamin, il n’y avait pas beaucoup d’émissions télé que je pouvais regarder. L’une d’entre elles, c’était Goldorak. Si vous n’êtes pas de ma génération, cela ne vous dira peut-être rien. Goldorak – Grendizer dans l’original et en anglais – c’est l’histoire d’Actarus, prince d’Euphor, une planète lointaine ravagée par les armées de l’empire de Véga. Actarus échappe au massacre de sa planète et se réfugie incognito sur la terre, travaillant au ranch du Bouleau Blanc.
Goldorak aurait pu s’arrêter là… et ne jamais commencer ! Mais le Grand Stratéguerre Véga se met à la recherche d’Actarus et attaque la terre sans relâche, afin de tuer le prince. Pourquoi ? Après tout, Véga a déjà une planète en plus à ajouter à son empire, alors à quoi bon ? En un mot : Goldorak. Un robot surpuissant qui pourrait permettre un jour à Actarus de vaincre Véga et de reconstruire la civilisation de sa planète. Pour éviter cela, Véga doit détruire Actarus et Goldorak.
Vous me direz « super, mais pourquoi on parle d’un dessin animé qui date de … de quand déjà ? ». Nous y voilà ! Il y a quarante ans, en juillet 1978, Antenne 2 (pour les incultes, c’est le prédécesseur de France 2) diffusait le premier épisode. Bon anniversaire Goldorak !
Goldorak et la technologie
Un thème sous jacent de Goldorak, c’est l’utilisation de la technologie… mais ce thème est assez ambivalent, surtout si vous comparez la version française et originale. Par exemple, la version française présente Goldorak comme étant une création technologique venant de Véga (épisode 2)… et donc associe cette haute technologie à un empire quelque peu malfaisant. Dans la version japonaise, Goldorak est le résultat de l’utilisation de la science et de la technologie d’Euphor par l’empire Véga.
La version originale présente la question technologique sous l’angle non pas premièrement de sa création ou fabrication, mais de sa perversion, de son utilisation. Bien sûr nous pourrions débattre de cela. Le penseur français Jacques Ellul a remit en cause l’idée que la technologie était « neutre » et que la seule question était celle de sa bonne ou mauvaise utilisation. Les choses sont effectivement plus compliquées. Disons simplement ici que la différence d’approche est typique du développement technologique et sociale de deux société, française et japonaise. La très rapide technologisation de la société japonaise dans les 30-40 années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale peut expliquer certains traits caractéristiques de la place de la technologie dans les anime japonais. Rapidement d’ailleurs les manga et anime japonais intègreront une profonde réflexion philosophique sur la technologie et la nature humaine (cf. Ghost in the Shell, Serial Experiments Lain ou encore Psycho-Pass).
D’autres différences apparaissent entre les deux versions, comme la nature quasi « divine » de Goldorak qui appelé « dieu protecteur d’Euphor » dans la version originale (épisode 25). Nom qui n’est d’ailleurs pas que symbolique mais peu refléter une certaine approche animiste de la tradition religieuse japonaise.
N’en reste pas moins que Goldorak continue de poser question : que faisons-nous de nos capacités technologiques ? Devons-nous absolument faire ce que nous pouvons faire ? Ellul disait pour sa part que du moment que nous avons la capacité technologique ou scientifique, nous trouverons en fin de compte des raisons pour justifier nos technologies. La principale justification : l’efficacité. D’ailleurs nous pouvons nous demander si Véga n’est pas une anticipation de cela. Afin de détruire Actarus et Goldorak, le Grand Stratéguerre est prêt à tout.
Ce n’est pas sans rappeler de nombreuses perversions et débordements scientifiques que nous avons connus au 20e siècle. Ou même maintenant avec la digitalisation de l’homme : sa réduction à une fonction mathématique ou informatique. Encore aujourd’hui, Goldorak devrait nous interroger, comme il a marqué plusieurs générations au Japon.
La lutte pour la liberté
Mais Goldorak c’est plus qu’un dessin anime qui a marqué des générations et contribué à donner naissance – avec son prédécesseur Mazinger – au genre mécha. Goldorak c’est un anime qui, pas très subtilement, parle constamment de liberté. La lutte d’Actarus contre Véga, c’est d’abord pour lui celle qui va sauvegarder la liberté de la terre et de ses habitants. Bien sûr, ceux qui connaissent Goldorak se rappelleront que cet anime ne fait pas dans la subtilité morale. Vous avez d’un côté Actarus, Alcor, Venusia (et plus tard Phénicia), et d’un autre côté Véga, Minos et Hydargos. Les premiers sont les « gentils » de l’histoire, les autres sont les « méchants ». Les premiers présentent de grandes vertus – même si Alcor devrait travailler un peu son self-contrôle – les autres, une méchanceté destructrices qui ne s’arrête devant rien.
Moralité naïve ? Peut-être. Mais il est possible que de tels héros soient nécessaires. Dans un monde de gris absolu, dans lequel même le mal peut toujours être justifié, peut-être avons-nous besoin de nouveaux héros tel ceux de Goldorak. Pas parfaits, mais intègres, courageux, justes, pleins d’abnégation. En un mot, vertueux. Je suis bien conscient qu’une moralité « blanc / noir » n’est pas vraiment très tendance de nos jours. D’un certain côté, avec raison : personne n’est totalement « bon ». Au contraire ! C’est pour cela que nous avons besoins de héros qui, eux, peuvent l’être de par leur nature symbolique.
C’est d’ailleurs cette vertu symbolique qui permet à Actarus et ses alliés de lutter pour la paix sans compromission. La paix, c’est probablement l’un des thèmes les plus importants de Goldorak, et ce n’est pas sans raison.
Sortie trente ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, Goldorak reste marqué par cet épisode tragique de l’histoire du Japon. D’autant plus que l’empereur Hirohito, qui avait entraîné son pays dans une guerre aux conséquences impensables, était toujours sur le trône quand sortit Goldorak. Pensons aussi aux ravages de la guerre, qui constituent l’arrière-plan de l’anime. Les ravages des villes et l’anéantissement des civils figurent en bonne place dans la lutte d’Albator contre Véga – même si les réalisateurs Masayuki Akihi et Tomoharu Katsumata nous ont épargné des scènes trop descriptives. Les attaques incessantes, et sans discrimination, des armées de Véga peuvent elles aussi se lire avec la Deuxième Guerre Mondiale à l’esprit.
Actarus, lui, est prêt à tout sacrifier, sa vie en premier, pour protéger cette planète qu’il adore (épisode 2). C’est sa raison de se battre et cela revient à plusieurs reprises dans la série, établissant un contraste entre les armées de Véga qui se battent « sans raison », et Actarus (voir épisode 22). Souffrant encore fréquemment des conséquences d’une blessure radioactive qui menace toujours sa vie (épisode 30), Actarus incarne le sentiment absolu de liberté.
Le symbole d’une lutte continue pour la liberté
Vous pourriez croire que, malgré cela, Goldorak c’est quand même un peu dépassé. C’est vrai que visuellement l’anime a assez mal vieilli, comparé à d’autres de ses contemporains. Mais il n’a rien perdu de sa force évocatrice. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que Goldorak a été utilisé dans le contexte de la guerre en Syrie. Certains ont par exemple noté que la blogosphère syrienne a utilisé les symboles de plusieurs manga ou anime pour penser et vivre leur propre drame1. Goldorak par exemple est utilisé comme étendard pour la révolution syrienne – contre ISIS et le régime en place. Vous trouvez par exemple de nouvelles paroles surimposées au générique :
Notre révolution prévaudra
Sur la précieuse terre de Syrie
Nous avons tous un objectif
Pour renverser le régime
Tisser une idée et un rêve
De tous les différents dangers
Répandre l’espoir et construire une maison
Où l’égalité est pour tous
Votre peuple est libre, Syrie
Avec une demande ferme
D’amour, de bonté et de justice
Se battre pour leurs droits
Rejoignez notre révolution syrienne
Et ceux qui se révoltent
Sera glorieux
Uniquement syrienne !2
Goldorak n’est d’ailleurs pas le seul anime ou manga à nourrir un espoir nouveau, notamment en Syrie. Autre exemple : Olive et Tom, plus littéralement Capitaine Tsubasa, est maintenant en partie traduit en arabe et distribué par une ONG néerlandais à des enfants syriens. Ce projet est l’oeuvre de Obada Kassoumah, un étudiant syrien de l’université de Tokyo3.
Un autre universitaire a essayé d’expliquer l’attrait des anime, et en particulier de Goldorak, par ce qu’il appelle la « médiation nostalgique », qu’il divise en trois aspects4 :
– la défiance nostalgique, exprimée dans les appels à l’action politique;
– la moquerie nostalgique, comme en témoigne l’humour nostalgique subversif qui cible l’autorité – très présente dans un autre anime légendaire, Albator;
– l’angoisse nostalgique, en réaction au traumatisme de la guerre et de l’exil, comme par exemple la crise des réfugiés syriens.
Il est vrai qu’Actarus, comme d’autres héros d’anime de la même époque – Albator, Capitaine Flam, est foncièrement romantique et mélancolique. Cette nostalgie inhérente aux personnages donne souvent une coloration mélancolique à l’ensemble de la série. Cette nostalgie est un trait d’union évident entre Goldorak – à la fin duquel Actarus repart sur Euphor afin de reconstruire toute une civilisation – et la situation syrienne.
Goldorak continue de servir de symbole de lutte pour la paix, pour un espoir de renouveau. Selon Omar al-Ghazzi, professeur de journalisme à l’Université de Sheffield, c’est « un idéal représentant des militants syriens parce que, en tant que super-héros nostalgique, il est capable d’atteindre les Syriens de différentes communautés ayant besoin d’un symbole fédérateur. »5 Une paix pour tous… tout un programme, c’est-ce pas ?
Quel espoir pour la paix ?
Malgré toute le symbole et tout l’espoir porté par Goldorak dans une situation aussi tragique que celle de la Syrie – ou dans la reconstruction japonaise de l’après guerre – je dois poser une question difficile. Quel espoir ? Quelle paix ?
Goldorak continue de servir de symbole de lutte pour la paix
Goldorak propose la seule paix que nous pouvons imaginer, nous, les êtres humains. Nous ne pouvons qu’imaginer une paix acquise de manière « humaine ». Le mal doit être anéantit radicalement. La victoire doit être totale. Une espérance de renouveau doit en résulter. Mais parce que la victoire est toujours incertaine, nous avons aussi besoin qu’elle soit acquise par quelqu’un qui nous dépasse : Actarus, un prince extra-terrestre blessé à mort. Ce genre de symbole de victoire, d’espérance, n’est pas nouveau dans l’art, et certainement pas dans les manga ou anime.
D’un côté, il est bien normal que Goldorak soit propulsé an rang de symbole d’espoir et de paix, parce que nous avons toujours besoin de symboles. Mais pour que ce dernier ait une quelconque force, il doit renvoyer à quelque chose de plus profond. Un désir de paix inscrit dans nos coeurs. Un désir d’espérance, de renouveau. Ceci nous l’avons tous inscrit en nous. Un anime comme Goldorak y fait simplement écho. Mais ce faisant, il montre toutes ses limites, car toute paix acquise de manière humaine sera incomplète. Elle portera même en elle-même le germe de sa possible destruction. Nous ne comptons plus les exemples de l’histoire humaine d’une paix petit à petit transformée en oppression.
Comment savoir si Actarus ne sera pas un nouveau Véga ? Comment être certain que sa chère paix ne sera pas plus tard utilisée à des fins mauvaises ? En fait nous avons simplement « foi » – nous croyons – que ce n’est pas ainsi qu’Actarus finirait. Mais aucune certitude. De même pour les autres grands héros. Comment donc assouvir notre désir de paix ?
La seule espérance est de la tourner vers quelqu’un qui puisse :
- acquérir une victoire certaine, c’est à dire quelqu’un qui dépasse absolument toute autre chose,
- être parfaitement et éternellement bon,
- reconstruire ce qui a été perdu,
- tout en exerçant une parfaite justice, parce que la paix réclame la justice.
Et là vous aurez une vraie paix. Les anime comme Goldorak ne peuvent que servir de symboles, mais leur force tient à ce qu’ils renvoient de manière inconsciente – et involontaire – à la seule liberté que nous pouvons avoir : celle que Dieu nous donne en Christ.
Vous pouvez chercher, il n’y a que le Dieu libérateur de la Bible, devenu humain en Jésus-Christ. En lui qui surpasse absolument tout, nous avons un être mis à mort puis revenu à la vie, preuve de son innocence parfaite puisque la mort n’a su le retenir, et ainsi gage du pouvoir qu’il a acquis même sur la mort. Il constitue l’ancrage de l’espérance et le début d’un monde nouveau – ce paradis perdu qu’il reconstruit pour nous. C’est lui qui est la paix, car il l’acquiert en notre faveur en acquérant d’abord la justice au prix de sa vie. Il nous donne la vie, la justice et la paix ; nous serions incapables de nous en saisir par nous-mêmes.
Goldorak n’est qu’un symbole qui inspire aujourd’hui les Syriens, mais Jésus est une réalité qui peut fonder chacune de nos vies. Actarus est prince d’Euphor contre l’Empire de Véga ; Jésus est prince du Royaume de Dieu contre l’Empire du mal. Nous ne sommes pas parfaits, mais nous pouvons donner notre allégeance à celui qui l’est, le dirigeant qui par son humilité et sa bonté peut apporter la paix et la justice en nous, dans notre quotidien, notre pays, et jusqu’en Syrie.
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Notes :
1 Omar Al-Ghazzi, « Grendizer leaves for Sweden: Japanese anime nostalgia on Syrian social media », Middle East Journal of Culture and Communication, vol. 11, no. 1, 2018, pp. 52-71.
2 http://syriangayguy.wordpress.com/2012/02/29/uniquely-syrian-grendizer-joined-the-syrian-revolution, consulté le 15 juillet 2018.
3 Chloe Sargeant, « This Syrian student translates Japanese manga into Arabic for refugee kids », 1 décembre 2017, SBS, http://www.sbs.com.au, consulté le 15 juillet 2018.
4 Al-Ghazzi, « Grendizer leaves for Sweden ».
5 Carine Torbey, « Turning fantasy figures into symbols of Syria’s war », 29 juillet 2016, BBC, http://www.bbc.com, consulté le 15 juillet 2018.