Le 28 mars 1972, J. R. R. Tolkien fut reçu au palais de Buckingham : il devait être nommé Commander of the British Empire pour son service envers la langue et la littérature anglaise. Grand évènement, immense honneur. Et pourtant Tolkien était un peu déçu car c’est la reine mère qui devait présenter l’insigne. Tolkien écrit alors à propos de la Reine : “Je suis l’un de ses sujets dévoués et je l’admire énormément.” Je n’imagine pas la surprise et la profonde joie de Tolkien lorsqu’il découvrit qu’Elizabeth II elle-même devait conférer les honneurs.
Voici ce que Tolkien écrivit à son éditer Rayner Unwin, qui avait organisé un dîner pour l’occasion:
“J’ai été très profondément ému de voir la Reine, & d’échanger quelques mots avec elle. Pas du tout ce à quoi je m’attendais. Mais je n’en dirai pas plus pour le moment. Peut-être aurai-je une chance de te voir, tant que ce souvenir est présent ? […]” (Lettre no. 334)
La Reine apparaît aussi dans un tout autre contexte chez Tolkien. Dans tout son legendarium, Tolkien bâtit une filiation mythologique d’amitié entre les elfes et les humains. C’est notamment le cas à travers sa réinvention de l’Atlantide : l’île de Númenor, le Pays de l’Ouest. Marquant l’histoire refondée, il ne s’agit pas seulement d’amitié entre ces deux “races libres de la Terre-du-milieu” mais surtout une loyauté envers les Valar, ces représentants du créateur, Eru-Ilúvatar.
Lorsque dans ce texte inachevé qu’est “The Notion Club Papers” (dans le 9e volume de l’Histoire de la Terre-du-milieu) apparaît le nom d’Ælfwine, nous nous trouvons face à l’une des parties les plus fascinant qui fait un “pont” entre le monde de la Terre-du-milieu et l’Oxford où se passe le récit. Je ne vais pas entrer dans le détail. Notez simplement qu’il s’agit ici de la redécouverte d’une tradition légendaire : celle des Amis des Elfes.
J’en viens à la Reine.
En 1964 Tolkien écrivit, dans une lettre à un certain Christopher Bretherton :
“Le récit [de son Atlantide] commençait par une relation forte entre un père et son fils … et était censé remonter jusqu’en des temps légendaires par l’intermédiaire d’un Eädwine et d’un Ælfwine … et jusqu’aux traditions de la Mer du Nord concernant l’arrivée par bateau des héros de la culture et du blé, ancêtres de lignées royales … Un de ceux-là, un Sheaf, ou un Shield Sheafing, peut en fait être identifié comme l’un des ancêtres éloignés de notre Reine actuelle.” (Lettre no. 257)
Tolkien intègre la Reine à la lignée des Amis des Elfes ! Et donc, il fait aussi de la Reine Elizabeth II une descendante des témoins des Valar. Dans l’œuvre de Tolkien, il ne peut pas y avoir de meilleure compliment : Ami des Elfes. Comme souvent avec Tolkien, la référence est brève. Elle permet de beaucoup imaginer en allant au-delà de ce que Tolkien lui-même a écrit, et c’est la grande qualité de son œuvre. Elle permet même de parler du présent en dirigeant les yeux vers cette mythologie pour l’Angleterre que Tolkien a tenté de créer. Et la Reine en fait partie.
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Sa Majesté la Reine Elizabeth II, par la grâce de Dieu, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et de ses autres royaumes et territoires Reine, Chef du Commonwealth, Défenseur de la foi.
Amie des Elfes.