La semaine dernière, j’ai eu le grand privilège de présenter, au Collège des Bernardins, une conférence à un colloque international et interdisciplinaire sur J.R.R. Tolkien, l’auteur du Seigneur des anneaux, mais surtout le créateur de la Terre du Milieu. Ce colloque, “La consonance chrétienne de la Terre du Milieu” était le premier du genre depuis le début des années 2010 et fera donc date dans le monde des études tolkieniennes, en particulier dans le cercle francophone. Non pas que le colloque ait été restreint à la langue française, bien au contraire ! Sept nationalités étaient représentées, dont l’Espagne, l’Argentine et le Brésil, mais aussi la Suisse, l’Italie et les États-Unis. Du côté expertise, si tous les intervenants étaient tolkienophiles (allez, disons des geeks de Tolkien), ils ont approché le monde de Tolkien à partir de la philosophie, de la littérature, de la linguistique et, il va de soi, de la théologie !
Ce colloque venait terminer tout un cycle de rencontres, de conférences, de musique et de lecture publique du Silmarillion, trois mois d’évènements culturels autour de Tolkien, organisés par le Collège des Bernardins sous la direction de Pierre Korzilius, directeur du Pôle Art et Culture. L’un des temps forts du colloque était visuel, artistique : la découverte par les participants des tapisseries de la Terre du Milieu e provenance directe des tapisseries Aubusson. Ce sont quatorze tapisseries tirées du monde de Tolkien, toutes produites d’après les dessins de Tolkien lui-même, qui illuminaient les murs de la grande nef de l’ancien collège cistercien.
De nombreux thèmes ont été abordés lors de trois jours entiers pendant lesquels seize intervenants se sont succédé pour nous faire réfléchir à la consonance chrétienne de la Terre du Milieu. Le terme “consonance” est choisi ici avec soin, car il dit tout de l’approche du colloque. L’objectif n’était pas de dire où se trouvait la foi chrétienne, de manière claire et évidente dans le monde mythologique de Tolkien, risquant d’interpréter ce dernier d’une manière allégorique. L’anneau unique correspondrait alors à une seule chose, le péché, ou la bombe nucléaire. Galadriel serait une allégorie de la vierge Marie, Aragorn une allégorie du Christ-roi.
Le colloque s’est articulé, à travers certaines conférences, autour de cette consonance, cette harmonie entre la foi chrétienne et le monde de Tolkien. Consonance et non-identité. Consonance et donc harmonie. Le terme fait aussi écho à une citation de Tolkien lui-même qui, dans la lettre no. 269, remarquait que son objectif n’avait jamais été d’accorder ses écrits avec la “théologie formelle,” mais qu’il avait cependant souhaité rendre son monde “consonant” avec la pensée et croyance chrétienne. Allégorie, symbolisme, typologie et consonance sont constamment revenus dans les présentations et les discussions.

Bien sûr, un tel colloque c’est aussi l’opportunité, la chance exceptionnelle de rencontrer de grands experts de Tolkien, en premier chef, le Michaël Devaux. Ce nom ne dira rien à personne… sauf aux geeks français qui reconnaîtront l’éditeur du cahier d’études tolkieniennes Tolkien. Les racines du légendaire (2003) dans lequel était pour la première fois publiée l’intégrale de la lettre de Tolkien à l’éditeur anglais Milton Waldman. Pour avoir la même chose dans la langue originale, il faudra attendre la dernière édition des lettres de Tolkien (2023). C’est aussi à Michaël Devaux que nous devons la première publication du texte important “Reincarnation of Elves” présenté et commenté dans le 3e numéro de “La feuille de la compagnie” Tolkien, l’effigie des elfes. Il faudra attendre The Nature of Middle-earth (2021, édité par Carl Hostetter) pour le voir à nouveau disponible. Nous avons donc là un spécialiste des premières publications… et ce fut de nouveau le cas lors du colloque avec la présentation d’un texte inédit de Tolkien “Latin for the Laity” !
Je ne vais pas mentionner toutes les conférences… seize, cela ferait beaucoup ! Je voudrais en mettre en avant plusieurs, non pas parce qu’elles seraient d’un meilleur niveau, mais parce qu’elles rejoignent certains thèmes qui l’intéressent en particulier. La première que voudrais évoquer, c’est celle de Jean Chausse sur les guerres justes en Terre du Milieu. Je me suis penché plusieurs fois, ces dernières années, sur ce thème commun à la théologie chrétienne et la présentation de l’économe diocésain était passionnante. La conclusion ? Les guerres des Elfes au cours du 1er âge sont pour l’essentiel en tension quasi complète avec les critères traditionnels d’une “guerre juste” (d’ailleurs il me semble préférable de parler de “guerre justifiée”). Son observation est, pour les guerres du 3e Âge, en particulier celles avec lesquelles nous sommes les plus familiers, l’opposée : nous sommes là en présence de “guerres justes.”
L’intervention de Pascal Ide sur “Feuille, de Niggle,” proposait une lecture originale de ce court texte très allégorique de Tolkien, questionnant la manière dont nous devrions approcher cette histoire si différente de celles auxquelles nous a habitués l’auteur du Seigneur des anneaux. “Feuille” est une allégorie, mais de quoi ? D’ailleurs, est-ce seulement une allégorie ou faut-il simplement dire qu’une telle lecture est possible par-derrière (ou par-dessus) une lecture narrative (ou littérale). Là aussi, conclusion ? Pascal Ide discerne quatre niveaux de lecture de “Feuille, de Niggle” correspondant aux quatre sens de l’Écriture : littéral, allégorique, tropologique (ou moral) et anagogique (ou eschatologique). Rendez-vous lors de la sortie des Actes du colloque !
Enfin, la présentation de Holly Ordway, de Word on Fire auteure de Tolkien’s Modern Reading et de l’excellent Tolkien’s Faith. Si je mentionne cette intervention, c’est qu’elle se focalisait sur les poèmes de Tolkien, ce qui fait suite à la publication de ses Collected Poems. Poésie et apologétique : deux ingrédients magiques quand ils sont mis ensemble. Holly Ordway, avant de se concentrer sur les études tolkieniennes, avait déjà produit d’excellentes études apologétiques sur l’art et l’imagination. Un remerciement particulier à Holly Ordway pour ses encouragements et le temps accordé… notamment autour d’un dîner partagé !
Le temps manque pour parler de Leo Carruthers ou de Jérôme Sainton, et encore moins de toutes les autres conférences. Mention spéciale du seul, présent mais resté dans l’ombre, que je n’ai pas pu rencontrer : Vincent Ferré, qui m’a fait découvrir, avec Devaux, les études tolkieniennes en langue française alors que je préparais mon mémoire de Maîtrise en théologie.









La dernière photo a une histoire légendaire, celle de la porte secrète, la porte en mithril de Notre-Dame de Paris. Dimanche après-midi, après la clôture du colloque, Jean Chausse, économe diocésain de Paris, et membre du comité de restauration de la cathédrale, nous a invités à l’y accompagner. Se rendre à Notre-Dame, c’est d’abord braver la foule qui se presse, d’une manière ordonnée quand même, pour rentrer. Sauf si vous connaissez la porte secrète. Ce que j’ignorais, mais que Jean Chausse, lui, connaissait. Ce n’est pas tout… car la porte trouvée, il faut aussi pouvoir entrer et donc avoir le bon mot de passe. C’est là qu’intervient notre Mage, notre sage, qui connaît toutes les langues de cet endroit et qui, surtout, a le badge nécessaire pour passer. Un bip magique et nous avions franchi la porte de garde. La porte de garde, mais pas encore la porte. Après avoir rassemblé notre troupe, après avoir longé les murs restaurés de Notre-Dame… là, devant nous, se dressa la porte latérale de la nef. Je n’ai eu qu’une envie (et je ne fut probablement pas le seul !), c’est de me mettre derrière Jean Chausse au moment où il frappait à la porte et de lancer un profond Mellon ! (“ami” en Sindarin, l’une des langues elfiques inventées par Tolkien).
Au-delà des petites histoires et anecdotes partagées autour des repas, je retiens plusieurs choses de ce colloque, hors le contenu des conférences. Tout d’abord, un exemple de recherche et de présentation académique toujours dans une certaine bienveillance. Cela ne veut pas dire que tous les intervenants étaient d’accord les uns avec les autres. Il y avait bien sûr de forts désaccords, mais ils furent exprimés clairement, sans cependant la condescendance parfois évidente dans certains autres conférences. Et en retour, les discussions en marge du colloque étaient encourageante, édifiantes, fraternelles.
Je note aussi que si, dans le climat culturel actuel, il est parfois difficile de présenter ce lien essentiel entre Tolkien et sa foi catholique, ce ne fut pas le cas de ce colloque essentiellement catholique d’ailleurs ! Si parfois il est de mise d’interpréter Tolkien à la lumière de (honnêtement un peu tout et n’importe quoi), les intervenants de ce colloque partageaient la passion de comprendre Tolkien d’abord pour lui-même tout en proposant ce qui semblait à leurs yeux le meilleur moyen d’y parvenir. Compréhension et ensuite interprétation des textes… voilà quelque chose qui sera commun à tous les lecteurs et étudiants de l’Écriture.
Le succès de ce colloque est sans nul doute le résultat des efforts et du dévouement, voire même la consécration, des organisateurs, en particulier du comité scientifique. Ce dernier a d’ailleurs fait le pari de choisir des conférenciers et de ne pas procéder selon l’habitude, par des appels à contribution. Cette dernière voie est plus rapide, probablement plus facile… trop facile peut-être même. Elle ne permet en effet pas de maintenir une évidente cohésion dans les sujets proposés au cours du colloque. Il est rare qu’une telle rencontre se prépare ainsi, et c’est pourtant sur ce chemin que le comité s’était engagé. Les conférenciers ont donc été choisis avec soin afin que les trois jours soient réellement internationaux et interdisciplinaires.
Cette approche du colloque, j’en suis le premier à en être reconnaissant, car j’ai été bien surpris de recevoir une invitation à participer. Je ne fréquente pas vraiment les milieux tolkieniens, avec un certain regret d’ailleurs. L’enseignement et la vocation apologétique à la Faculté Jean Calvin ne me laisse pas le temps de dédier un temps, même symbolique, à l’étude académique de Tolkien. Je ne me serai donc jamais attendu à recevoir une telle invitation ! Cette invitation était, au sens littérale, gracieuse. C’est ainsi que je l’ai reçue, c’est cela que je veux rendre en reconnaissance au comité scientifique du colloque (que vous découvrez ci-dessous).

Comité scientifique, de gauche à droite : Damien Bador, Jérôme Sainton, Jean-Philippe Qadri, Clément Pierson, Pierre Korzilius (qui est, lui, directeur du pôle Art et Culture des Bernardins), Jean Chausse, Leo Carruthers et Michaël Devaux.