Star Wars : un « monomythe » moderne
Star Wars : un « monomythe » moderne

Star Wars : un « monomythe » moderne

Dans son article du 13 décembre dernier, le philosophe Mark Alizart revient sur l’une des grandes questions que soulève Star Wars : « Quelle est la religion de Star Wars ? » Sa réponse est simple : c’est un film « tout ce qu’il y a de plus banalement… chrétien. » Et il est vrai qu’à première vue cela semble possible. Star Wars est une lutte du Bien contre le Mal. C’est aussi une histoire de rédemption dans laquelle même Dark Vador peut être « sauvé ». Il y a aussi un héros prédestiné (Luke Skywalker), une sorte de moine (Yoda) et la tension entre la Foi (la Grâce) et la Loi. Et l’auteur de conclure que non seulement Star Wars est un film chrétien, mais « protestant ».

Mais est-ce aussi évident que cela ? Pour commencer, il n’y a pas que dans le christianisme que nous trouvons des moines ! D’autant plus que si le film était vraiment « protestant », la figure de Yoda serait moins monastique. Le mouvement protestant a en effet globalement rejeté cette pratique. Pour ce qui est de Luke, le prédestiné, il ne faut pas surcharger de sens une figure qui est en réalité beaucoup plus universelle. La figure du jeune héros qui possède un « pouvoir », sans qu’il le sache, est une image classique de la science-fiction, de la fantasy, mais aussi de la religion.

Voir en Luke Skywalker un prédestiné chrétien c’est sur-interpréter ce que George Lucas a voulu faire dans Star Wars.

Ensuite, l’opposition entre la Force et le côté obscur est difficilement synonyme de celle entre Foi et Loi dans le christianisme. Regardons bien ce qu’il en est de la Force. Dès l’épisode I, nous voyons que la Force est affectée d’un déséquilibre qu’un héros devra rectifier. Cela sous-entend que le « côté obscur » est nécessaire pour que la Force soit « équilibrée ». C’est ce qui se passe avec le passage d’Anakin du côté obscur dans l’épisode III, et la « rédemption » finale de de Dark Vador dans l’épisode VI. Mais nous voyons aussi cela dans la série animée Star Wars: The Clone Wars. Dans l’épisode « Destinée », nous suivons Yoda confronté au côté obscur, qu’il reconnaît et accepte finalement afin de le contrôler. La lutte n’est donc pas tant entre la Force et le côté obscur. La lutte est interne. Ce n’est que lorsque le côté obscur est « sous contrôle » que la Force trouve un certain équilibre. Il ne s’agit pas d’opposition mais d’acceptation.

Enfin, le problème principal de l’article de Mark Alizart c’est qu’il ne prête que peu d’attention à ce que raconte l’histoire, pas plus qu’il ne regarde à ce que George Lucas a essayé de produire. Ce dernier, fortement marqué par l’anthropologue Joseph Campbell a essayé de créer une mythologie moderne dans laquelle la « spiritualité » est présente, sans qu’elle soit attachée à une religion spécifique. Ainsi peut-il dire dans une interview donnée peu après la sortie de l’épisode I en 1999 :

Et bien, il y a un mélange de toutes sortes dans le film, un amalgame de mythologies et de croyances religieuses, et j’ai essayé de prendre les idées qui se retrouvent dans la plupart des cultures parce que je suis fasciné par cela et parce que je pense qu’une des choses apprises de Joe Campbell, c’est qu’il essayait de trouver des thèmes communs dans les divers mythologies et religions.

Dans son livre Le héros aux mille-et-un visages, Joseph Campbell discernait dans les mythologies et religions ce qu’il appelait un « monomythe ». D’Osiris à Prométhée, de Bouddha à Moïse, en passant par Jésus, le monomythe s’articule autour de cette structure : appel à l’aventure, épreuve, don ou capacité reçue, retour. C’est ce que nous retrouvons dans Star Wars, le tout étant uni par le concept de la Force.

Pour résumer, Star Wars c’est une mythologie moderne qui nous interpelle tous, quelle que soit notre spiritualité. Star Wars c’est une épopée de transformation, telle que Joseph Campbell l’a décrite dans Le héros aux mille-et-un visages. Loin d’être représentant d’une religion en particulier, l’épopée de George Lucas se veut universelle. Ne trahissons pas cette grande mythologie en la « christianisant » !


Cet article a été envoyé au Nouvel Obs, qui n’a pas publié cette réponse. Mark Alizart m’a cependant répondu en soulignant simplement que chacun interprétait Star Wars comme il le souhaitait. C’est précisément ce que, sur Visio Mundus, nous vous encourageons à ne pas faire. Nous vous encourageons plutôt à toujours interroger l’oeuvre pour vous demander ce que son auteur a voulu en dire.