Dans cette série de photographies, Robert et Shana ParkeHarrison poursuivent leur exploration de la relation ambiguë et parfois antagoniste entre l’être humain et son environnement naturel. Si dans The Architect’s Brother, nous pouvions voir toute l »ironie d’une technologie mise au service de la sauvegarde de la nature, nous sommes en présence, avec Gautier’s Dream, de la permanence implosive de la nature qui semble grandir, fulgurer hors de l’humain.
Ici encore, le personnage récurrent des ParkeHarrison, « Monsieur-tout-le-monde, » évolue dans un monde fait d’éclats d’avenir qu’il parcourt avec la nonchalance de l’habitude. C’est cette habitude des objets, des situations, des activités humaines (comme le théâtre dans « Pelican ») qui fait face à la dimension inimitable de la nature. Mais il n’y a là rien d’étonnant vu l’intérêt du couple pour l’intégrité de la nature : « Mon intérêt pour l’environnement est spirituel, et pas activiste. Nous essayons de ne pas être trop moralisateurs ou directs, » commente Robert ParkeHarrison. Comme Don Quichotte le dit : « La plume est l’interprète de l’âme : ce que l’un pense, l’autre l’exprime. » Il en est de même pour la photographie de Robert ParkeHarrison. D’autres diraient : « le fou a un faux pli dans sa cervelle ». Et c’est ce faux pli qui nous dévoile la réalité, et pas la folie.
L’exposition présente les photos en noir et blanc alors qu’elles ont été prises à l’origine en couleur. Contre toute attente, et contrairement au succès du N&B de The Architect’s Brother (et contrairement au choix des artistes), les photos couleurs auraient eu un impact plus profond. En effet, si les photos en N&B dégagent une impression rêveuse et éthérée, leur version couleur (cf. en ligne) donne toute la puissance à une nature en pleine floraison. L’explosion de couleurs n’a d’égal que l’explosion de la force naturelle qui prend presque contrôle de l’humain. Leur « Monsieur-tout-le-monde », qui fut une fois obsédé par son complexe messianique du salut de la terre, a fuit toute technologie, même la plus simple, c’est effacée. La nature, elle, a implosé de l’intérieur même de notre personnage principal. « Monsieur-tout-le-monde » respire maintenant dans/de la terre, son visage est littéralement habité par des tournesols et des jonquilles (The Lover), comme dans le poème de Stéphane Mallarmé, Les fleurs :
Des avalanches d’or du vieil azur, au jour
Premier et de la neige éternelle des astres
Jadis tu détachas les grands calices pour
La terre jeune encore et vierge de désastres
Le héros du quotidien devient aussi collectionneur de papillons / de papillons qu’il écoute (Thief of Paris) ; et ensuite se transforme en marionnette de théâtre, vêtu d’un chapeau haut de forme, attendant sa grande entrée (Apparition of Mallarmé). D’ailleurs, encore et toujours les ParkeHarrison révèlent leur lien avec la poésie française de la fin du 19e / début du 20e siècle. Mais là n’est pas la seule influence visuelle de cette collection. L’Apparition de Mallarmé a des ressemblances, par exemple, avec de fameux tableaux de René Magritte, notamment Decalcomania.
Le titre de cette nouvelle exposition, Gautier’s Dream, est une référence à l’écrivain derrière leur inspiration l’auteur et critique français, Théophile Gautier. Probablement même pouvons-nous voir certains poèmes de Gautier émerger de l’art visuel de R-S ParkeHarrison. Le plus symbolique pourrait être Le château du souvenir :
J’avance parmi les décombres
De tout un monde enseveli,
Dans le mystère des pénombres,
A travers des limbes d’oubli.
Les transformations naturelles de « Monsieur-tout-le-monde » nous rappelle que l’une des frontières entre nous et notre environnement, c’est notre imagination. C’est elle qui, peut-être, pourrait devenir l’instrument principal d’une reprise en main de notre mandat créationnel. Pour Robert ParkeHarrison : « Peut-être le seul vrai espoir pour notre monde et de notre esprit humain repose sur notre capacité à imaginer. »
L’être humain est toujours entrain d’essayer de corriger son environnement. C’est l’une des leçons apprise et transmise par les ParkeHarrison depuis leurs débuts. C’est une leçon à apprendre. Mais au-delà, quelle espérance ? Au sein d’un monde dans lequel la technologie est devenue notre environnement immédiat, comment revenir à une responsabilité créationnelle qui ne soit pas fondée sur un idéal naïf d’un retour au passé ? Une fois encore, peut-être que nos manques de réponses sont dus en partie à notre manque d’imagination et d’émerveillement devant l’acte créateur.