Peter Jackson, “Le Hobbit : La désolation de Smaug,”  New Line, WingNut, 2013
Peter Jackson, “Le Hobbit : La désolation de Smaug,” New Line, WingNut, 2013

Peter Jackson, “Le Hobbit : La désolation de Smaug,” New Line, WingNut, 2013

De l’avis de la majorité des critiques1, La désolation de Smaug est une totale réussite cinématographique – je répète, cinématographique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne dirai absolument rien de ce qui fait la réussite de ce deuxième volet du Hobbit, car je partage l’essentiel des avis mentionnés ; à part pour ceux qui mettent le narratif de Un voyage inattendu au rang des niaiseries, ce qui est un jugement à mon sens difficilement compréhensible.

Je voudrais plutôt m’arrêter sur certains critiques négatives que j’ai lues ou entendues sur des blogs, sites dédiés ou encore de la part de « fans » de Tolkien. Je note d’ailleurs que côté « fans » la plupart sont modérés dans leurs critiques de Jackson. Pour ces critiques, le Hobbit de Jackson ressemblerait autant au Hobbit de Tolkien que la Comté de Frodo ressemblerait à celle de Saruman à la fin du Seigneur des anneaux. Autant dire : le Hobbit serait détruit, ravagé, méconnaissable. La plupart des critiques « officielles » très négatives, assez rares d’ailleurs, proviennent de critiques français, ce qui ne m’étonne pas au demeurant. Seul le cinéma français, obsédé par l’opinion haute et illusoire qu’il a de lui-même, fasciné par son propre existentialisme, peut avoir le type de critiques que chacun peut lire en ligne. Seul un cinéma français produisant à la chaîne des histoire aussi personnelles qu’inintéressantes pourra lancer un sort d’incinération sur Jackson pour ne pas avoir pris trois heures afin de présenter Beorn ou le Maire de Lacville. Bref, passons donc aux critiques principales qui ont été faites à l’encontre de cette dernière interprétation du Hobbit de Tolkien.

De la narration visuelle

Première critique : celle de la cohérence narrative, voire même pour certains, celle de l’absence narrative. Je ne peux nier que La désolation de Smaug impose au récit un rythme assez effréné, loin des multiples commencements du Voyage inattendu. Mais j’imagine aussi que je peux comprendre que Jackson, après avoir fait un premier volet plus lent, ait souhaité ne pas imposer à son audience un même rythme. Ce n’est d’ailleurs pas sans rappeler le contraste entre La communauté de l’anneau et Les deux tours. On aime ou pas, mais là aussi avec un peu d’effort on peut comprendre les choix éditoriaux faits pour La désolation de Smaug. Mais soit. Prenons un ou deux exemples de ces coupures narratives.

À commencer par l’ouverture de La désolation de Smaug. Alors c’est vrai, le film ne reprend pas à la seconde près, la suite de Un voyage inattendu. Après quelques minutes de rencontre secrète entre Gandalf et Thorin, on retrouve la compagnie de nain quasiment arrivée chez Beorn, soit plusieurs jours après que les aigles les aient déposés à la fin du premier volet du Hobbit. D’où une coupure narrative « un peu décousue ». Mais quel est le problème ? Je ne suis pas certain de bien discerner l’enjeu, si ce n’est que Jackson a prit le parti de ne pas décrire chaque minute du périple de cette étrange compagnie. Coupure narrative ? Seulement si on manque d’imagination. Certes, Jackson ne montre pas tout, de la même manière que Tolkien ne décrivait pas tout. Je reconnais bien volontiers que Jackson fait quelques raccourcis narratifs et qu’il fait des choix tout à fait personnels, choix qui pourront sembler parfois bien arbitraires. Mais là encore, le tout est laissé à l’appréciation personnelle.

De même, lorsque les nains quittent Lacville pour se mettre à la recherche de la porte secrète, Tolkien les fait errer sur les pentes du Mont Solitaire pendant, ma foi, un bon moment ! Jackson, lui, a fait le choix de ne nous montrer cela qu’en quelques minutes : une journée est suffisante pour que la compagnie parte de Lacville et trouve in extremis la « porte de derrière ». Quel autre choix y avait-il ? Filmer 10 minutes d’errance au milieu d’une terre désolée. Oui, c’était une option. Aurait-elle été meilleure ? Cela dépend bien du critère utilisé pour répondre à cette question. Si vous êtres un littéraliste, vous répondrez que le meilleur choix est toujours de suivre à la lettre le Hobbit de Tolkien. Si vous êtes conscients que le Hobbit de Jackson est une interprétation (personnelle) de l’oeuvre de Tolkien, alors je ne suis pas certain de pouvoir dire qu’il y a un meilleur choix. Certainement celui qui a, au final, été fait est légitime et compréhensible, d’autant plus qu’à ce stade de La désolation de Smaug, nous avions déjà bien assez attendu pour ne pas que Jackons prenne encore 10 minutes avant l’instant fatidique.

Enfin, il y aurait bien aussi l’arrivée des nains chez Beorn. « Pourquoi, par la barbe de Radagast, ne pas suivre à la lettre la description de Tolkien ? C’est quand même pas compliqué ! », s’écrieront les scribes littéralistes de Denethor. À mon sens pour une raison très simple : ne pas faire trop répétitif. Observons. Un beau jour, de manière bien inattendue, alors que le héro est bien tranquille chez lui, on frappe à la porte : Oh, un nain. Puis de nouveau à la porte… un autre nain. Et comme si ce n’était pas assez … encore un nain ! Jusqu’à ce qu’il y en ait treize. Cette introduction de Thorin & Cie ne vous rappelle rien ? Tolkien a choisi d’introduire Thorin & Cie d’une manière similaire auprès de Bilbo et de Beorn. Or, si un tel parallèle marche parfaitement dans une structure littéraire, c’est moins le cas pour celle que Jackson a donné à son Hobbit. Deux scènes similaires dans deux films différents, cela aurait fait un peu trop répétitif. C’est ce qu’il a essayé d’éviter, et je ne le lui reprocherai pas. Jusque là, pas de quoi donner un elfe à bouffer à Arachne.

Tout cela pour dire qu’il ne faudrait pas confondre deux styles très différents : la narration littéraire et la « narration visuelle ». La deuxième a ses limites, elle a même de sérieuses faiblesses que souligne notamment Jacques Ellul dans son La parole humiliée : l’image aurait emprisonné les mots, ici le « narratif », au point de rendre ce dernier méconnaissable, voire impossible. C’est une analyse à poursuivre, car je suis assez sensible à l’argumentation générale d’Ellul. Ce qui me semble important de souligner, une nouvelle fois, c’est l’essentielle (dans le sens philosophique d’essence) différence entre un récit littéraire et un récit cinématographique. La plupart des critiques formulées à l’égard de l’interprétation de Jackson considère qu’un « film » se doit d’être un livre mis en image. C’est beaucoup plus compliqué, et prendre conscience de cette complexité, c’est déjà reconnaître l’énorme travail scénaristique accompli une nouvelle fois dans ce Hobbit.

Du réchauffé ou du recherché ?

Deuxième critique : Jackson nous sert du réchauffé. Le Hobbit, c’est du Seigneur des anneaux au micro onde. On prend les mêmes thèmes, les mêmes personnages, le même tout et on recommence quelques années avant avec en prime treize nains improbables. La preuve ? Jackson est tellement à sec côté idées originales qu’il se voit même contraint de recycler l’auberge du Poney Fringuant pour produire un imaginaire début de film avec la rencontre de Gandalf et de Thorin2. Oui, bien sûr. Et surtout ce serait oublier que Jackson connaît l’intégrale de Tolkien bien mieux que nous, et j’inclus mes années doctorales passées sur Tolkien. Ce serait oublier que lorsque je dis que Jackson connaît parfaitement son Tolkien je ne parle pas d’une solide connaissance du Hobbit et du Seigneur des anneaux mais de l’essentiel de Tolkien, incluant les 12 volumes de L’Histoire de la Terre du Milieu, Les Contes et Légendes Inachevés, et bien sûr le Silmarilion ainsi que les Lettres. Je doute qu’aucun des critiques que j’ai lus ou entendus, n’en aient fait autant.

Il faut ainsi éviter de sauter sur des wargs enragés afin de couper Jackson en dés avant de les jeter à bouffer aux Orcs. Il vaut mieux essayer d’ouvrir les Contes et légendes inachevés, volume 3, au chapitre « La quête d’Erebor », et là que voyons-nous ? Que tout commence par une rencontre « fortuite » entre Gandalf et Thorin – certes initiée par Thorin et non par Gandalf3. Du coup, les répétitions comme celle-ci, si elles sont « suffocantes » pour quelques rares critiques, ne sont que l’expression d’un sérieux travail de recherche et de connexion entre divers écrits du corpus tolkienien.

Certains parallèles étaient aussi nécessaire pour relier le Hobbit au Seigneur des anneaux. Parmi les détails importants se trouve le commentaire totalement imaginaire de Tauriel et Legolas, alors qu’ils débattent de l’engagement des elfes dans la guerre à venir : « Nous faisons partie de ce monde ». Ce commentaire, étant l’exact parallèle avec les Ents, sert de pont narratif entre les deux sagas. Et il faut reconnaître en cela un certain succès chez Jackson, d’autant plus que c’est un point important du développement historique du Troisième Âge : l’unité des races libres dans la lutte contre Sauron. Que ce soit les elfes de Mirkwood ou les Entes de Fangorn, tous en viennent à cette pénible prise de conscience : le monde ne sera plus comme avant et le mal nous atteindra tous, tôt ou tard.

On entendra aussi dire que Jackson en rajoute : d’ailleurs la compagnie de nains se fait constamment poursuivre par des hordes d’orcs alors que dans le livre, rien n’en est dit : « Où avez-vous vu que ça grouille d’orcs jusque chez Beorn ? » De toute évidence Jackson en rajouter pour donner du rythme à son film. À première vue, nulle part, en tous cas pas dans la source T, ne voyons-nous cela. Mais en cherchant un peu, on trouvera dans les manuscrits précédant la version définitive de la source T des ébauches laissées de côté par Tolkien dans lesquelles Beorn tombe, pendant la nuit, sur une patrouille de wargs et d’orcs toujours à la poursuite des nains4. Cela vous rappelle-t-il quelque chose ? La poursuite d’Azog a donc une certaine justification. Là aussi Jackson un fait un choix éditorial qui se justifie cependant au vu des modifications rédactionnelles opérées par Tolkien lui-même !

Du presbytérianisme tolkienien

On pourrait résumer l’ensemble des critiques en une expression : le presbytérianisme tolkienien. Je m’explique. La tradition presbytérienne (protestante) a utilisé ce qu’on appelle le « principe régulateur du culte » pour décrire ce qu’il était légitime d’intégrer au culte. Ce principe dit simplement que seuls les éléments expressément commandés dans la Bible sont permis dans le culte. Par contraste, une autre approche dit que tout ce qui n’est pas contraire à la Bible est permit dans le culte. Il en est de même pour les critiques que nous venons de mentionner. Pour certains, seuls les éléments présent dans Tolkien peuvent aire l’objet d’une adaptation cinématographique. Pour d’autres, dont je suis, peuvent être présents dans le film tout ce qui n’est pas contraire à Tolkien. Pour l’instant, je crois que Jackson n’a rien fait d’essentiellement contraire à Tolkien. Ce presbytérianisme tolkienien fonde donc une certaine approche de l’adaptation cinématographique, voire même donne une certaine approche à la capacité imaginative.

En effet, la légitimité de l’activité créatrice se trouve ici limitée par un « principe régulateur » d’adaptation qui restreint fortement la possibilité d’exprimer une imagination personnelle. Et c’est là que j’en viens au problème qui me semble être le problème principal de la plupart des critiques. C’est un problème d’imagination, mais j’ai l’impression ici de me répéter car il me semble avoir déjà fait déjà quatre fois le même type de commentaires. Mais il paraît que la répétition est un outil pédagogique nécessaire, alors répétons.

Certains modifications sont même une amélioration du récit de Tolkien. Rappelons-nous par exemple que les deux ouvrages de Tolkien conserveront quelques incohérences dues à un détail essentiel : lorsque Tolkien a écrit Le Hobbit, aucune suite n’était prévue. Ce qui a une conséquence particulièrement importante : l’anneau du Hobbit était magique, mais ce n’était pas l’anneau de Sauron. Cela posa un sérieux problème à Tolkien lorsqu’il se mit à la rédaction de la séquelle du Hobbit. Dans cette séquelle, dont nous savons ce qu’elle deviendra, l’anneau n’est plus simplement un pratique anneau magique mais une partie de Sauron, un serviteur à part entière de ce Seigneur ténébreux. Or, dans le Hobbit, l’anneau semble être quelque chose de bien utile mais de finalement pas si important, et certainement pas très « dangereux ». Jackson a essayé de mettre une plus grand cohérence dans le récit, notamment en rendant Biblo visible lors de sa conversation avec Smaug. L’original par Tolkien n’est d’ailleurs pas très clair là dessus, l’auteur lui-même ayant changé d’avis. On appréciera aussi de voir à l’écran la fascination destructrice que l’anneau commence déjà à avoir sur Bilbo, là aussi quelque chose que Tolkien ne pouvait pas montrer. Non seulement Jackson demeure cohérent avec Tolkien mais il apporte une dose de cohérence supplémentaire.

C’est la même chose pour la petite escapade de Gandalf à Dol Guldur. Mais par tous les marteaux de Durin, pourquoi va-t-il y mettre les pieds ? Dans la chronologie de Tolkien : (1) pour voir qui est le Nécromancien et (2) il trouve la clé de Thrain, emprisonné par Sauron. Pour ce qui est de (2), c’est trop tard. À cause du « condensé temporel » utilisé par Jackson, Thorin se trouve déjà en possession de la clé au moment où dans le film Gandalf explore Dol Guldur. Il fallait donc trouver une raison pour Gandalf d’aller à Dol Guldur. Mais il fallait aussi montrer le retour de Sauron, que Jackson choisit de montrer d’une manière qui, si elle n’est pas complètement convaincante n’est pas non plus dénuée de mérites. Comment rendre visuellement un Sauron désincarné ? Que le réalisateur avec une idée de génie jette le premier palantir à Peter Jackson. La confrontation de Gandalf et Sauron est certes… particulière. Mais elle a le mérite de s’attarder un peu sur ce qui faisait en réalité l’arrière plan épique du Hobbit, à savoir les évènements à Dol Guldur et la découverte du retour de Sauron. Non, sérieusement, l’exploration de Dol Guldur par Gandalf n’a rien de bien choquant : elle nous met au contraire face au dramatique retour de cet ennemi de la Terre du Milieu. Là aussi Jackson met dans le mille.

Pour ce qui est des rajouts que certains trouvent inacceptables, vouloir expliquer l’utilisation par Jackson des annexes et autres passages obscurs de Tolkien par une simple volonté de « remplissage »5, c’est ne pas faire justice aux efforts du réalisateur. De plus, ces annexes ne sont pas anodins et jettent parfois une lumière importante sur les évènements qui conduiront au Seigneur des anneaux. Je serais même presque prêt à dire que sans ces annexes, il était difficile que les trilogies du Hobbit et du Seigneur des anneaux puissent créer une vraie cohérence.

Certaines autres critiques sont un peu ridicules, comme de descendre en flamme un Jackson qui a uni en un seul personnage (Bard) l’archer légendaire et le batelier6. Franchement : c’est une excellent idée. Au lieu d’introduire des dizaines de personnages inutiles (sur lesquels d’ailleurs la source T ne dit rien dont on ne puisse se passer), Jackson décide de tout unifier en une narration centrée sur Bard. Là aussi on gagne en cohérence, en tous cas au niveau cinématographique. Nous avons maintenants trois « arcs » centrés sur les nains, Gandalf et Bard, trois parties du Hobbit qui seront unies dans le troisième volet. Pas de quoi fouetter un poney de la Comté.

La poursuite des orcs et la traque des deux elfes jusque dans Lacville est effectivement difficile à expliquer7. De même que l’empoisonnement de Kili – et on ne parle pas de cette « chose » entre notre bon nain et l’elfe innocente (hum)8. À moins que, pour ce qui concerne les premiers, Jackson ne prépare son troisième volet. Il lui faut en effet se préparer à expliquer comment les elfes vont à un moment débarquer à Lacville. Dans la source T (Tolkien), cela prend un bon moment, et Jackson ne peut décemment pas suivre la narration tolkienienne. Or là aussi le rythme cinématographique exige des changements, d’autant plus que Tolkien lui-même ne dit pas grand chose là dessus. Jackson est donc contraint d’expliquer autrement l’arrivée des elfes. Pour ce qui est des orcs, c’est à mon sens un peu le même principe, d’autant plus que Tolkien ne s’étend pas sur les raisons derrière la bataille des Cinq armées. Là aussi la source J (Jackson) a de grands mérites : il essaie de clarifier les raisons conduisant à cette bataille qui, à la fin de la source T, peut donner l’impression de tomber du ciel. En tous cas, nous verrons ce qu’il nous réserve dans le troisième volet, The Hobbit: There and Back Again.

Conclusion : comprendre avant de détruire

Pour conclure, je reste convaincu qu’une différence majeure entre les critiques très négatifs de La désolation de Smaug et ma propre appréciation de ce dernier est la suivante : il est nécessaire de comprendre les choix d’un auteur ou d’un réalisateur, ici de Jackson, avant de critiquer ces choix. Il est nécessaire de comprendre, de l’intérieur, une « vision » particulière. Si on ne comprend pas, on ne peut critique de manière pertinente. On se contente d’exprimer plus ou moins vocalement son désaccord. Mais peut-être est-ce le professeur d’apologétique qui parle ici. La première étape d’une bonne apologétique, c’est de comprendre de l’intérieur la position de votre interlocuteur. Une fois encore, il faudrait avant de massacrer Jackson ou de le laisser se faire dévorer vivant par des araignées affaméesse poser la question : a-t-il des raisons légitimes, compréhensibles? Certains choix n’en ont aucun, je l’ai déjà reconnu. Pour les autres, réfléchissons (un peu).

Ensuite, ne sacralisons pas Tolkien. Certains des choix faits par la source T peuvent être modifiés. Certains choix faits par Tolkien sont relativement incohérents dans son propre univers. Cet univers, ce monde, Tolkien l’a aussi voulu assez cohérent pour qu’il puisse continuer à vivre. Pour que la Terre du Milieu continue de vivre, il faut légitimer le continuationisme de l’imagination tolkienienne, ce que Jackson fait brillamment. Protéger Tolkien au delà de toute raison, c’est limiter notre imagination, voire même emprisonner la Terre du Milieu dans un carcan que Tolkien n’aurait (peut-être) pas imposé. Il ne faudrait quand même pas être plus protectionniste que Thranduil et refuser à Jackson de sortir du cadre tolkienien imposé par les « fans ».

Conclusion : le littéralisme tolkienien, sous prétexte de fidélité à Tolkien, refuse souvent de même essayer de comprendre les choix faits par Jackson. Et ainsi on ne peut apprécier La désolation de Smaug à sa juste valeur – qui est excellente. De mon côté, je continuerai à apprécier les deux sources (T et J), en ayant une préférence certaine pour la première – mais pas parce que je pense que Jackson aurait trahit Tolkien. J’ai peut-être ici trop défendu Jackson et pas assez Tolkien. J’avoue avoir une préférence pour une recension « trop généreuse » que trop critique, surtout quand cette dernière est à peine justifiée.

Je terminerai avec une remarque théologique. Certains auront remarqué des parallèles théologiques dans cette recension. Clairement, c’était volontaire. Je suis en effet frappé par des parallèles évidents. La majorité de ceux qui ont gentiment, mais fermement, allumé Jackson l’ont fait par littéralisme et je suis frappé de constater que ceci est en cohérence avec leur littéralisme biblique. L’interprétation d’un film et l’interprétation de la Bible sont donc étrangement parallèles. Cela pourrait-il refléter plus qu’une méthode d’interprétation et indiquer une certaine structure psychologique un poil rigide ? Cela nous conduirait aussi à dire que notre méthode d’interprétation de la Bible influence notre méthode d’interprétation de tant d’autres choses, comme celle d’un film. C’est une banalité. Mais la manière dont nous interprétons un film influence aussi la manière dont nous interprétons la Bible. Dans cette fin de modernité tardive où nous sommes toujours confrontés à des produits culturels, ces derniers ne transforment-t-ils pas inconsciemment la manière dont nous lisons la Bible ?

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Notes :

1 Avant d’être mis dans le même sac que Grishnákh, Langue de Serpent, Shagrat ou encore Gothmog, je rappelle que la « majorité » ne signifie pas tous. Donc ne venez pas objecter : « La majorité, oui, mais pas tous ». Je suis bien conscient de cela.

2 Christopher Orr, « The Hobbit 2 Is Bad Fan Fiction », The Atlantic, http://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2013/12/-em-the-hobbit-2-em-is-bad-fan-fiction/282316, accédé le 21 décembre 2013.

3 J.R.R. Tolkien, Contes et légendes inachevés, vol. 3, Paris, Christian Bourgois, 1982, pp. 79-103, ici p. 81 s.

4 John D. Rateliff, The History of the Hobbit. Part One: Mr Baggins, p. 241.

5 Mike McGranaghan, « The Hobbit: The Desolation of Smaug », http://aisleseat.com/hobbitsmaug.htm.

6 http://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2013/12/-em-the-hobbit-2-em-is-bad-fan-fiction/282316

7 Pour certains, les orcs (gobelins) ne jouent aucun rôle dans Tolkien, ce qui est loin d’être exact. Mais il faut faire l’effort de voir le Hobbit avec l’arrière-plan qui est le sien : la multiplication des orcs en Terre du Milieu, la découverte du retour de Sauron et le premier prélude à la Guerre de l’Anneau en cette bataille des Cinq armées.

8 Pour ce qui est de Kili, Jackson ré-imagine l’absence de Fili et Kili du Mont Solitaire pendant quelques jours, avant que les nains n’y soient assiégés. Alors oui, il y a là une sérieuse modification : cela ne tient plus de l’interprétation mais de la ré-imagination. Mais cela ne me gêne pas outre mesure car je ne vois pas Tolkien trahit par ces changements.