Tout le monde le sait, je vis dans la Terre du Milieu. De temps en temps il est vrai, je fais une incursion dans ce monde présent, comme il y a quelques jours lorsque j’ai reçu la version longue du Hobbit, un voyage inattendu. L’intérêt d’un tel Dvd n’est pas seulement dans les quelques trop rares minutes ajoutées par rapport à la version « cinéma », mais aussi tous les annexes parlant des divers aspects du tournage lui-même. Je trouve personnellement les quelques neuf heures d’annexe aussi passionnantes que le film lui-même. C’est donc sans surprise que j’ai dévoré en quelques jours les trois Dvd qui forment les annexes du Hobbit.
Et c’est là, au détour de quelques commentaires fait presque en passant par Peter Jackson que cela m’a frappé. Certaines réflexions pouvaient vraiment être transposées pour nos églises. J’en retiens, brièvement, cinq.
1) Une communauté, c’est passer du temps ensemble
Ce n’est pas la première fois que Jackson nous fait le coup. Ce fut déjà le cas lors du tournage du Seigneur des anneaux, particulièrement pour la première partie La Communauté de l’anneau. Il a créé une réelle atmosphère de « communauté », au sens fort du terme, entre les personnages de son film. Comment ? En faisant en sorte que ce soient les acteurs eux-mêmes qui forment une communauté car le principe de Jackson est le suivant : on voit à l’écran ce que les acteurs sont en réalité. C’est pour cela que Jackson a souvent fait en sorte, pour ses deux grandes trilogies, que les acteurs puissent passer près de deux ou trois semaines ensemble avant même le début du tournage. C’est là qu’ils apprennent ensemble… tout : le maniement des armes, le chant, le dialecte des nains, etc. Ils apprennent ensemble et cela contribue à créer une communauté de treize nains. Si les acteurs forment une « communauté » leurs personnages formeront aussi une communauté. S’il en est ainsi, c’est parce qu’ils ont passé du temps ensemble. Ils ne sont pas venus simplement pour tourner ensemble.
Nous rassemblons-nous seulement pour rendre un culte ensemble. Ou passons-nous du temps ensemble. Soyez assurés que je me pose aussi la question pour ma propre participation à la vie de mon église locale. Combien de temps passons-nous ensemble en dehors des cultes et autres réunions que nous voyons trop souvent comme des « obligations ». J’imagine assez peu. La réaction habituelle est de dire : « J’ai quand même une vie en dehors de l’église ! » En plus, soyons honnêtes, ceux qui y sont dans mon église seraient difficiles à vivre plus de trois heures par semaine ! Nous voulons une communauté de foi, oui, mais une communauté qui n’empiète pas trop sur notre vie. Une communauté qu’on puisse facilement maitriser en fin de compte.
Et pourtant, n’y a-t-il pas un lien quasi nécessaire entre « formation de la communauté » et le temps que nous passons avec/en communauté ? Ne nous y trompons pas : c’est en passant du temps ensemble que nous pouvons apprendre à nous connaître et donc apprendre à former une vraie communauté. Il n’y a ma foi pas des centaines de manière de faire : pour se connaître, il faut passer du temps ensemble. À moins de lire dans les pensées des autres, ce qu’a priori nous sommes peu à pouvoir faire. Passer du temps ensemble c’est prendre le risque de connaître les autres, parfois même de les connaître plus que nous n’aurions aimé ! Mais c’est alors prendre le risque de se laisser connaître.
Et finalement, passer du temps ensemble est un instrument de notre sanctification, car c’est en passant du temps ensemble que l’Esprit travaille en nous son amour, sa patience, sa joie, sa paix, sa persévérance, sa tempérance, sa compassion, son humilité, sa douceur, sa bonté. Ces « fruits » de l’Esprit nous lient d’un lien inaltérable ancré en notre union en un même Seigneur, d’où l’exhortation de Paul à souffrir ensemble, à pleurer ensemble. Mais Pour cela, il faut passer du temps ensemble… et ce précieux temps devient alors un instrument privilégié par lequel s’incarnent en nous les fruits de l’Esprit. Impossible de manifester et vivre ces derniers pendant les seules trente minutes de « temps fraternel » tous les dimanche après le culte.
2) Rire ensemble
L’un des attraits essentiels des trois Dvd supplémentaires du Hobbit, c’est l’humour qui transparaît régulièrement. Le rire et l’humour qui permet aux acteurs, aux doubles, et autres « cascadeurs », de pouvoir enchaîner les prises 5, 10, 35 fois de suite. Le même humour, le même rire qui leur permet aussi de continuer à être leur personnage même dans les situations les plus inconfortables et difficiles : les conditions climatiques (froid, pluie), fatigue, etc. Parce qu’il y a toujours de quoi rire.
C’est à se demander si nous ne sommes pas souvent un peu trop sérieux. Je veux dire, pas en tant que personnes. Je suis certain que nous sommes tous plein d’entrain, de joie et d’humour. Ce n’est pas cela qu’il faut se demander mais plutôt : « Rions-nous ensemble ? » Question un peu étrange : il y en a certainement de plus importantes. Et pourtant. La joie, voire même le rire qui en provient n’est-elle pas une caractéristique de la vie communautaire, par exemple dans l’Ancien Testament ?
Certains ont par exemple montré comment les fêtes « solennelles » en Israël (fêtes des huttes, du « grand pardon », des moissons) étaient le plus souvent des temps de réjouissance, même lorsqu’elles impliquaient une reconnaissance de péché devant Dieu. La solennité des fêtes n’était pas une austérité mais une joie collective, un rire communautaire ne présence du seul Libérateur :
« Il est possible de trouver, dans l’Ancien Testament, l’influence du rire divin dans les fêtes du peuple, dans la poésie du Cantique des cantiques, and dans d’autres anecdotes rapportées lors des cultes… »1
Cela pourra en étonner certain, car le rire a toujours éveillé la méfiance, jusque dans le dernier siècle. Ainsi, Jean Chrysostome affirmait dans l’une de ses prédications : « ce monde n’est pas un théâtre dans lequel nous pouvons rire, et nous ne sommes pas rassemblés ici pour éclater en rires, mais afin de pleurer pour nos péchés »2. Un certain nombre d’autres exemples pourraient être cités. Pourtant, le rire a son importance.
Tout d’abord, l’humour nous encourage à ne pas trop nous prendre au sérieux. Comme le disait Chesterton : « La raison pour laquelle les anges peuvent voler, c’est qu’ils se prennent à la légère ». L’humour encourage ainsi une certaine honnêteté dans nos échanges et dans nos interactions. Il nous encourage aussi à mettre à l’unisson notre foi et notre vie3. Mais l’humour et le rire nous aident aussi à combattre l’orgueil qui nous habite. Reinhold Niebuhr le notait d’ailleurs très bien lorsqu’il disait : « L’humour est une preuve de notre capacité d’atteindre un point duquel nous pouvons regarder à nous-mêmes. Le sens de l’humour est ainsi une conséquence de la transcendance… Cela signifie que la capacité à rire de nous-mêmes est le prélude à un sens de contrition »4.
Ensuite, l’humour et le rire sont aussi constitutifs de l’être humain, et peut-être aussi, par conséquent, peuvent-ils nous enseigner quelque chose au sujet des actions de Dieu. Cela ne signifie pas que nous devons conclure automatiquement que le rire est inhérent à la nature de Dieu. Mais nous pouvons cependant facilement conclure que l’humour (et l’ironie) sont démontrés dans l’économie de Dieu avec sa création. Si le rire n’est pas caractéristique de Dieu en lui-même (a se), il peut l’être de Dieu pour nous (pro nobis).
Enfin, le rire est un baume, est une médecine pour une humanité épuisée. Le rire est un instrument de guérison. C’est le rire de Proverbes 17.22 : « Un cœur joyeux est un bon remède ; un esprit abattu dessèche les os. » Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il y a une certaine sagesse ici… l’auteur de ce proverbe n’aurait pas vraiment été étonné d’entendre des scientifiques conclure que quelques minutes – ne serait-ce que quelques minutes ! – de rire par jour sont suffisantes pour mieux vivre ! Mais alors, s’il en est ainsi, quelle place pour le « rire ensemble » dans nos églises, groupes de maison, réunions d’évangélisation ?
3) Compatir et encourager
Une autre leçon qui nous est rappelée, c’est de prendre le temps de nous encourager les uns les autres, et de nous apprécier les uns les autres. Ces temps d’appréciation sont encore plus nécessaire lors de temps de crise, comme celui par lequel Ian McKellen, qui joue Gandalf, est passé lorsqu’il a du jouer une scène… sur fond vert. Ce n’était pas la première fois que McKellen avait a jouer sur un fond vert qui permet ensuite de faire des rajouts d’arrière-plan (etc.) par ordinateur. Mais en ce jour particulier, McKellen devait jouer la scène où les nains, Bilbo, et lui-même, préparent leur quête vers le Mont Solitaire. Et pour que la scène rende compte de la différence de taille entre Gandalf et les nains, il fallait que McKellen joue son rôle, seul. Seul au milieu d’un décor entièrement… vert, et imaginer qu’il avait autour de lui quatorze autres acteurs. Cette expérience, raconte l’acteur, fut profondément traumatisante et il fut pendant plusieurs jours totalement désorienté au point où McKellen était prêt à abandonner le tournage. Plutôt que de perdre son acteur, Jackson et toute son équipe organisèrent une « Journée d’appréciation de Gandalf » pour encourager McKellen.
Et pourquoi ne pas faire de même dans nos églises ? Nous traversons tous des temps d’angoisse, d’intense difficultés, des moments pendant lesquels nous avons l’impression de perdre pied, voire littéralement de couler. Malheureusement nous pouvons aussi avoir l’impression de traverser ces moments, tous seuls. Sans avoir l’impression que ceux qui devraient être à nos côtés nous soutiennent réellement. Alors ce n’est probablement qu’une impression, car il y a toujours des frères et sœurs pour prier pour nous. Mais nous ne le savons pas forcément, nous ne le voyons pas. Or l’encouragement a besoin de se manifester, par des mots, mais pourquoi pas, aussi, par ces formes peut-êtres plus inhabituelles de soutien et d’appréciation.
Allons plus loin : ne pouvons-nous pas organiser de telles journées de reconnaissance pour le service que certains rendent, dans l’ombre, à nos églises. Y compris les plus petites choses qui sont parfois le plus grand service : faire que le lieu de culte soit agréable, propre, rangé. Quand exprimons)nous notre appréciation et valorisons-nous le service – ministère – qu’ils nous rendent ?
Et même, soyons fous !, pourquoi ne pas avoir des journées d’appréciation… du pasteur ? Vous savez, celui qui vous doit 300% de son temps, qui doit savoir tout faire, de la cuisine aux prédications, qui se doit de ne pas avoir l’air parfait tout en faisant parfaitement les choses et qui surtout ne doit rien attendre de nous. Pourquoi ne pas lui montrer que nous apprécions tout ce qu’il fait, au-delà de nos critiques. Tout le monde a besoin d’encouragement, même le pasteur. Je vous avait prévenus, soyons fous !
4) Construire une communauté exige de vouloir cette communauté
Quatrième leçon : construire une communauté demande une certaine intentionnalité. De nombreux membres de l’équipe de tournage disent la même chose : pour tenir la distance, sur un projet aussi long et exigeant que le Hobbit, il faut être personnellement motivé par le projet. Il faut se sentir à sa place, il faut avoir l’impression de faire partie de l’équipe, que l’on soit acteur, caméraman, ou simplement homme à tout faire (du café au porteur de parasol). Et c’est l’une des forces de Jackson sur un projet comme celui-ci : « Il vous montre que vous faites partie de la communauté. »
La formation de la communauté chrétienne doit elle aussi être « intentionnelle ». Un petit mot d’avertissement ici : je n’utiliserais pas « intentionnelle » en référence aux récents livres et articles écrits sur « l’église intentionnelle »5. Par cela je veux simplement dire que pour former une réelle communauté, nous devons tous la vouloir, cette communauté. Nous devons vouloir grandir ensemble, nous devons vouloir démontrer que nous sommes prémisses du royaume qui vient. L’intentionnalité de la communauté chrétienne, c’est avoir l’intention de nous rassembler malgré les différences qui existeront toujours, c’est avoir l’intention de pardonner, c’est avoir l’intention de demander pardon, c’est avoir l’intention de former une communauté spirituelle qui transcende toutes les différences humaines.
5) Communication inter-personnelle
Enfin, petite démonstration de communication interpersonnelle : toujours vérifier qu’on a bien compris ce qui est dit, demandé, exprimé. Comme le dit Martin Freeman au sujet de Jackson : toute discussion est un « débat », dans le sens qu’il est nécessaire de toujours être certain d’avoir bien compris. Ainsi, précise Freeman, il lui fallait toujours demander : « Que veux tu que je fasse ? », « Comment veux-tu que je le fasse ? », « Et si je fais ça, ai-je bien compris ce que tu veux ? » Voilà une bonne démonstration de communication interpersonnelle.
Voilà qui nous servirait bien dans l’église. Nous faisons tous cette erreur : au cours d’une conversation, au détour d’une phrase mal formulée ou mal comprise, nous ne prenons pas la peine de vérifier que nous avons bien compris ce qui a été dit. Ce problème de mauvaise compréhension ou de mauvaise expression nourrit ensuite toute nos illusions, nos soupçons, nos jalousies. Viennent ensuite els conflits dans nos églises, conflits qui peuvent durer des générations entières.
Mais l’importance de ce principe de communication est aussi important dans l’exercice du ministère pastoral. Souvent des conflits, tensions, jalousies, incompréhensions, pourraient être évitées si nous prenions le temps de vérifier que nous avons bien compris ce que nos interlocuteurs nous disent. Cela nous servirait à la fois dans nos études bibliques, groupes de maison, mais aussi dans nos prédications et dans nos entretiens pastoraux. Nous sommes très souvent convaincus de savoir ce que les autres pensent, avant même qu’ils nous aient dit ce qu’ils pensent vraiment. Avec beaucoup de discernement, nous pouvons parfois avoir une petite idée de ce que notre interlocuteur pense. Mais ne supposons pas trop rapidement que nous savons parfaitement ce que les autres pensent. Laissons-les parler.
Cela nous sert aussi en apologétique. En effet l’apologétique, cette présentation de la foi chrétienne, se doit, afin d’être pertinente, d’avoir (1) bien compris les questions et les objections de nos interlocuteurs et (2) de bien comprendre leur propre position, philosophie, vision du monde. Là aussi, au lieu de sauter sur des conclusions qui sont parfois erronées, prenons le temps de comprendre les raisons que nos contemporains ont de ne pas croire.
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Notes :
1Jakob Jonsson, Humour and Irony in the New Testament: Illuminated by Parallels in Talmud and Midrash, (Leiden, The Netherlands: E. J. Brill, 1985), p. 47.
2Conrad Hyers, “Christian Humor: Uses and Abuses of Laughter,” Dialog 22 (Summer, 1983): 198.
3Kenneth Hildebrand, Achieving Real Happiness, (New York: Harper and Brothers Publishers, 1955), pp. 198-199.
4Morris J. Niedenthal,”A Comic Response to the Gospel: The Dethronement of the Powers,” Dialog 25 (Fall, 1986): 289.
5Cf. Randy Pope, The Intentional Church, Moody Publishers, 2006 ; Mark Dever et Paul Alexander, L’église intentionnelle, Editions IBG, 2008. Le qualificatif « intentionnel » semble d’ailleurs être le nouveau terme qui fait vendre. On trouvera aussi Mike Pearson, Intentional Leadership: Essentials for Healthy Church Grow ; T. J. Addington, High-Impact Church Boards: How to Develop Healthy, Intentional, and Empowered Church Leaders ; Sherry Weddell, Forming Intentional Disciples: The Path to Knowing and Following Jesus.
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