Etude Biblique sur Daniel 1
apportée au Réseau des Scientifiques Évangéliques
19 janvier 2013
Le livre prophétique de Daniel se situe à un moment crucial de l’histoire du peuple d’Israël, se déroulant en des temps politiques désastreux pour les deux royaumes de Juda et d’Israël. C’est un temps d’exil, d’abandon, de défaite, où tout, absolument tout, indique que le Dieu de l’alliance a finalement prit son peuple au mot : celui-ci désire être seul maître de son destin. Ainsi soit-il, en tous cas selon toutes les apparences. Le livre de Daniel tient aussi une place tout aussi distincte dans l’histoire de l’interprétation1. C’est par exemple le premier livre prophétique commenté par l’évêque de langue grecque et historien de l’Église Théodoret de Cyr2. Ce dernier a le premier fait un usage apologétique de Daniel contre les juifs qui remettaient en cause la nature prophétique (et donc son utilisation néo testamentaire) de ce livre3. Le livre de Daniel a toujours été important dans l’histoire de l’Eglise4, et un grand nombre de commentaires, des plus anciens aux plus récents, portent une sérieuse attention à ce livre souvent mal interprété, à cause de son symbolisme et de ses obscurités5.
Mais plus encore, ce livre a toujours eu une place cruciale pour la théologie chrétienne car il comporte, entre autres choses, la référence précise au « Fils de l’Homme » (Dn 7.13-14), à la lutte des royaume et la gloire du royaume eschatologique, et il comporte aussi l’une des rares références vétéro-testamentaiire claire à une rétribution dans « l’au delà »6. Enfin, le livre de Daniel est, de part son genre apocalyptique, un arrière-plan important pour les apocalypses du Nouveau Testament. Daniel 2 sert par exemple de référence indirecte aux apocalypses de Matthieu et de Marc, et sert d’arrière-plan explicite au livre de l’Apocalypse7.
Ce matin, je vous propose de nous arrêter sur le premier chapitre de Daniel, ce chapitre que tout le monde connaît car il se prête bien à nos études bibliques. Ce chapitre, qui fait parfois un peu cliché, peut être être souvent lu à travers les « Bible racontée aux enfants ». Mais nous allons voir ensemble que même cette simple mise en contexte historique du premier chapitre de Daniel contient beaucoup plus que nous ne pourrions nous y attendre. Dans un premier temps nous verrons la manière dont l’auteur de Daniel nous met en présence d’une lutte qui s’annonce radicale entre Dieu et les idoles. En effet, comme le note le théologien anglais Edward Pusey : « Le livre de Daniel est spécialement adapté pour être un lieu de combat entre la foi et l’incroyance. Il n’admet aucune demi-mesure. Tout est soit divin, soit une imposture. »8 Nous verrons ensuite comment Daniel et ses trois amis se positionnent au sein de la cour du roi de Babylone. Nous porterons particulièrement attention aux points par lesquels Daniel semble nous guider vers une vie chrétienne, une pratique chrétienne, de foi et de profession, au sein d’un monde séculier.
Défaite et servitude (vv. 1-5)
Tout commence pour Daniel avec une incursion Babyloninenne dirigée par celui qui deviendrait en peu de temps le roi en titre de l’empire : Nabuchodonosor II, roi fameux pour avoir fait réaliser les légendaires—dans tous les sens du terme9—jardins suspendus de Babylone, l’une des sept merveilles du monde antique10, mais aussi pour avoir réussi à fonder l’un des empires les plus imposants du bassin mésopotamien, l’empire Néo-Babylonien dont la gloire ne sera pourtant que de courte durée, ne subsistant que de 626 à 539 av. J-C.
Ainsi, en 605 av. J-C.,11 pendant le règne de Joïaqim, l’armée babylonienne avance une fois de plus sur la capitale du royaume de Juda, ainsi que les Chroniques Babyloniennes le rapportent12. Après que le roi de Juda se soit vraisemblablement rendu avant que Jérusalem ne soit dévastée13, le dauphin de Babylone leva tribu sur le vassal vaincu, et cette fois-ci, comme pour annoncer la destruction et la déportation en masse du peuple, il se fit remettre une part du trésor du temple et de jeunes nobles d’entre le peuple de Jérusalem14. Il faut vous imaginer le traumatisme qui frappe une fois de plus un peuple en peine de comprendre comment et pourquoi le Dieu de leurs pères persiste à rester silencieux face à leur détresse. Ce Dieu qui avait promit terre, peuple et filiation spirituelle, les livre aux dieux sans pitié de Babylone et de Mésopotamie. Bien que les prophètes n’aient cessé de rappeler le peuple vers son Dieu, ce peuple ne semble pas voir que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob n’est pas un Dieu national, mais un Dieu d’alliance.
Le glorieux butin de Nabuchodonosor est ainsi ramené vers la capitale impériale, Babylone, dans la plaine de Shiméar. Et avec ce nom, Shiméar, commence le contraste radical entre Dieu et les idoles, thème récurrent du livre de Daniel. Et avec ce nom, Shiméar, commence aussi l’encouragement que Dieu adresse à son peuple exilé. Il nous serait facile de ne considérer ce nom que de manière purement indicative, descriptive, géographique. Rien ne serait plus tragique, car nous passerions à côté de l’importance que l’auteur donne à cette indication. Celui-ci n’a, de fait, pas ici un but scientifique uniquement, et cette précision n’est pas seulement géographique. Ce terme Shiméar, qui est d’une forme archaïque dans ce livre au langage si complexe, rappelle très rapidement à celui qui relit la Torah des évènements capitaux pour l’histoire du peuple. C’est par exemple en Shiméar qu’apparaît aussi l’un des premiers grand souverains, « Nimrod le chasseur » qui établit sa domination sur cette plaine (Gen 10.10)15.
Mais c’est évidemment à la tour de Babel que Daniel renvoie directement ses lecteurs. Cette plaine de Shiméar, c’est celle de la dispersion, celle de la confusion. C’est un mouvement descendant, apocalyptique, que « Shiméar » désigne. Cette confusion de Babel est cruciale pour la compréhension de Daniel 1 car elle représente beaucoup plus qu’une simple entreprise orgueilleuse des hommes. Au « faisons une tour qui touche au ciel », un texte du Targum, traduction de la Bible hébraïque en araméen, précise : « Faisons-nous à son sommet une idole et plaçons un glaive dans sa main. Qu’elle forme contre lui (Dieu) des formations de combat avant que nous ne nous dispersions sur la surface de toute la terre. »16Dans cet épisode de la tour de Babel nous pouvons découvrir rapidement les germes d’une opposition radicale à Dieu lui-même, ce que n’hésitent pas à faire certains rabbins comme Rachi qui lit : « ils disaient : Dieu n’avait pas le droit de choisir pour lui le monde supérieur. Montons au ciel et faisons lui la guerre. »17 C’est en réponse à cette usurpation volontaire de sa royauté par l’homme que Dieu répond ironiquement par sa « descente ». L’homme, qui voulait monter jusqu’à la hauteur de Dieu pour le détrôner, se voit jeté dans la confusion par ce Dieu qui descend au milieu de lui.
Ainsi, lorsque Daniel utilise la référence à Shiméar c’est vers cette confusion originelle qu’il nous dirige. Certainement les lecteurs de Daniel se souvenaient aussi que Dieu avait appelé Abraham hors de cette confusion (Shiméar) et vers le pays qu’il lui montrerait (Gen 12). Le Dieu de l’alliance, ce Dieu fidèle, avait ainsi démontré sa présence en se constituant un peuple qui serait lumière au milieu des nations, qui serait témoin du Dieu créateur au milieu de la confusion. Et maintenant, des siècles après la venue du pèlerin Abraham, Daniel revient dans cette même confusion. Au lieu d’être dans le royaume de rassemblement du peuple, Daniel est dans la plaine de dispersion ; au lieu de la foi en le Dieu d’Israël, Daniel se retrouve dans la confusion spirituelle. Daniel, représentant du peuple exilé, fait ainsi le chemin inverse de son père Abraham : départ du pays de la promesse, errance et exil hors de la présence de Dieu, vers le pays de la confusion. Mais dans la confusion des idées, des idoles, Daniel amènera la claire sagesse du Dieu de l’alliance.
L’utilisation de cet archaïsme, « Shiméar », par l’auteur était donc intentionnel et avait comme but de conduire l’imagination théologique des lecteurs vers un passage archétypal. D’ailleurs l’utilisation de « fils d’Israël » sert à identifier Daniel avec les « fils de Jacob », comme si la situation de Daniel était paradigmatique de tout le peuple, même de ceux restés à Jérusalem. Tout le peuple est en exil, retourné dans la confusion originelle. C’est là, en Shiméar, à Babylone, dans la confusion religieuse et spirituelle, que Daniel sera amené à vivre sa foi en Dieu. Là commence pour Daniel et ses amis le réel défi de la foi et de la sagesse divine. Comment ici, à Babylone, vivre cette foi en un Dieu d’alliance ? Comment vivre le Dieu d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob environné des dieux de Babylone ? Avec cette question nous entrons nous aussi dans le monde de Daniel, et nous arrivons avec lui à Babylone18.
Il faut vous imaginer, si vous le pouvez, cette arrivée dans la capitale babylonienne. Il faut vous imaginer voir de loin les murs imposants se dresser et la ziggourat, cette haute tour faite de gloire et de splendeur, s’élever au-dessus de la ville. Il faut vous imaginer passer par la resplendissante porte d’Ishtar et traverser la ville vers les palais royaux. Et il faut vous imaginer Daniel, cet adolescent, face à tant de splendeur : qu’est-il comparé à tout cela ? Qu’est son Dieu comparé à tant de puissance, de beauté, de génie scientifique même ? Qu’est notre Dieu, comparé à tant de découvertes scientifiques, de merveilles de la nature, de démonstrations technologiques ? Les dieux de Babylone avaient-ils vraiment du Dieu de cet otage insignifiant ? Nos autels scientifiques, sportifs, et culturels, ont-ils besoin du Dieu de ces chrétiens insignifiants ? La réponse est donnée par le témoignage vivant de Daniel qui affirme dès l’ouverture de ce livre l’absolue souveraineté de Dieu qui « a livré Joïaqim entre les mains du roi de Babylone ». L’arrivé de Daniel à Babylone, c’est donc une première confrontation avec ces dieux, et une première affirmation contestataire de la souveraineté du Dieu fidèle.
Le contexte religieux de Babylone constitue l’arrière plan avec lequel nous devrons nous poser les questions que le livre de Daniel lui-même nous pose. Il ne s’agit pas en effet d’imposer les questions auxquelles nous sommes confrontés mais d’entrer dans le contexte babylonien de Daniel.
Comme l’indique avec beaucoup de pertinence James Boice, nous sommes confrontés à Babylone à une sorte d’humanisme séculier cohabitant avec une religiosité formelle19. Ce syncrétisme, ce pluralisme radical, est indiqué par la structure religieuse des temples babyloniens. Non seulement ces derniers étaient en multitude, dédiés à une multitude de dieux (comme nos temples sportifs en fait), mais de plus, à l’intérieur de chaque temple se trouvaient des lieux dédiés à l’adoration d’ autres dieux20.
Nous pourrions facilement déduire de cela que les babyloniens étaient religieux par dessus tout, se fiant à l’action des dieux en tous les domaines de leur vie. Ce serait simplifier l’attitude et la nature du coeur humain : ce dernier est toujours tenté de suivre ses propres désirs de grandeur. S’il adore une multitude de divinités, l’homme persiste à s’adorer lui-même. Nous voyons ainsi plus tard le roi Nabuchodonosor dire à Daniel : « n’est-ce pas moi qui ait bâti cette ville ? » (Dan 4.30), rappelant l’ambitieuse construction que nous avons évoquée en Genèse. Comme l’humanisme séculier, ce que fait Nabuchodonosor se trouve être de l’homme, par l’homme et pour l’homme (pour sa propre gloire). Une fois de plus, Daniel nous présente avec une radicalité incessante, Dieu contre les idoles : une théorie holistique contre une autre. Une vision du monde, contre une autre.
Dans cet affrontement qui se prépare, c’est Nabuchodonosor qui entre le premier sur la scène spirituelle qui s’ouvre devant nous. Au v. 2, Nabuchodonosor emmène les ustensiles pour adorer, honorer ses faux dieux et en montrer la supériorité (et non pour honorer le Dieu d’Israel)21. Précisons qu’il était tabou de procéder ainsi en Israël (cf. 2 Chr 36.18, Es 39.2, Es 45.3), mais pour les nations environnantes, les objets sacrés conservaient leur puissance et ainsi étaient mis dans les temples de leurs dieux22. Dans cet acte du roi babylonien, il nous faut donc y voir l’affirmation de sa puissance et du contrôle qu’il prétend avoir sur les autres dieux et sur les autres peuples. Ce qui est en jeu, c’est bien une allégeance spirituelle. Cependant, l’auteur de Daniel encourage dès ce verset tous les croyants qui font face au défi de vivre leur foi en milieu spirituellement hostile. Contre toute observation naturelle, contre tous sens commun, Daniel affirme que deux réalités coexistent et que l’observation naturelle n’est pas toujours suffisante pour connaître vraiment ce qui arrive dans ce théâtre naturel dans lequel nous vivons. L’affirmation de la souveraineté de Dieu est soulignée : Nabuchodonosor n’est qu’un instrument, sa prétention de gloire, qu’une illusion.
Daniel et ses amis sont alors choisis pour servir d’eunuques devant le roi (v. 3) afin d’être éduqués comme de « bons babyloniens »23. Dans cette éducation chaldéenne que les quatre hébreux vont recevoir, nous voyons le projet d’en faire, comme il était coutume avec les otages de haut rang, de hauts officiers royaux, de fidèles sujets et serviteurs de Babylone et de ses dieux24. Cela prouve, pour Théodoret l’arrogance du roi qui sera plus tard mise en échec par le fait que Daniel devient sage, mais sans la sagesse des chaldéens25. Ceci est aussi une démonstration que pour Daniel et ses amis, l’éducation intellectuelle et scientifique n’est pas première : elle n’est pas le fondement de leur vision du monde, ni même de leur sagesse, ou de leur observation du monde. Nous pourrions dire que « ce n’est pas l’éducation chaldéenne qui a fait d’eux des érudits et qui les a rempli de sagesse ; c’est plutôt la grâce divine qui les a emplis de sagesse, de compréhension et de toute connaissance, et qu’ainsi ils se sont distingués comme étant au-dessus de tout autre … »26
Les quatre amis seront donc désormais comptés au nombre des chaldéens27, ces sages babyloniens dont le rôle était en partie d’être « les gardiens de la coutume sacré traditionnelle développée et préservée en Mésopotamie au cours des siècles … une grande partie de cette connaissance avait un but pratique, étant fait pour être appliquée à la vie par l’intermédiaire de l’astrologie … rites de purification, sacrifice, incantation, exorcisme et autres formes de divination et de magie. »28 Difficile de voir dans ce contexte comment Daniel pourrait réussir vivre sa foi. Vous tous qui êtes peut-être dans des situations où la foi est difficile à vivre, soit par opposition, soit par nécessaire omission, pouvez ainsi vous tourner vers la situation de Daniel29.
Ce dernier reçoit ainsi principalement une éducation intellectuelle nécessaire dans une société mésopotamienne aussi avancée en matière de mathématiques (nous avons par eux une base mathématique de 60, d’où nous viennent nos secondes et minutes)30, d’architecture (cf. la ziggourat Etemenanki et l’Esagil, temple principal dédié au dieu Marduk)31, et de science légale (cf. le fameux Code d’Hammourabi)32. Il serait possible de considérer cet apprentissage comme incluant essentiellement une dimension religieuse et d’y voir un apprentissage des « livres magiques » comme soutenu par Jean Steinmann33. Ceci n’est cependant pas nécessaire et les indications de Daniel lui-même nous demandent d’y voir plutôt y voir l’apprentissage de la langue et des « lettres », autrement dit de l’ écriture cunéiforme, des pratiques légales et commerciales, et de tout ce qui ferait de Daniel et ses amis de hauts fonctionnaires efficaces34. Avec cette éducation, et premièrement avec la sagesse spirituelle qu’il avaient déjà acquis, les quatre jeunes gens se font remarquer du grand intendant royal qui les avait déjà choisi en raison de leur apparence sans défaut35.
Et voilà donc Daniel, et ses amis, intégrés à ce grand centre culturel et religieux de la Mésopotamie. Et malgré ce contexte religieux et intellectuel apparemment impossible pour ces quatre « croyants », Daniel parvient, en s’appuyant sur les promesses et l’action passée de Dieu, à demeurer fidèle à ce Dieu d’alliance. De là, il serait facile de conclure un peu trop rapidement que Daniel, n’objectant en rien à cet apprentissage qui est à la limite de l’acculturation, montre qu’il est possible d’être savant à la cour d’un empereur païen. Il est même possible d’être croyant à la cour de l’ennemi juré du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ! Mais ce serait aller un peu vite : en effet, Daniel ne pose pas ce genre de questions. Pour Daniel, la question de savoir s’il est possible d’être savant à la cour de Nabuchodonosor ne se pose pas : il n’a pas le choix ! Daniel n’a pas d’avis précis à donner car son avis n’est pas demandé. Plutôt, nous constatons que ce que le livre de Daniel met en avant ici c’est la possibilité, non par choix mais par nécessité, de témoigner par son attitude, par son fondement théologique et spirituel, de la présence du Dieu fidèle.
Ce que ce premier mouvement dans le livre de Daniel nous présente, c’est un très jeune homme qui apparaît comme un exemple de résistance à l’assimilation. Comme l’indique un commentateur : « Il fallait que ces jeunes gens de la cour de Jérusalem soient assurés de leur connaissance de Yahweh pour pouvoir se livrer à une étude objective de cette littérature sans que leur foi faiblisse. »36 Certes, il fallait que les jeunes gens soient déjà fermement établis sur des présupposés bibliques, en l’occurrence, vétéro testamentaire.
Résistance (vv. 6-16)
Au v. 6 s’ouvre le deuxième acte de cette introduction au livre de Daniel37 qui se poursuit au verset suivant avec l’adoption des quatre jeunes gens au service de la maison royale, adoption symbolisé par le « don » de nouveaux noms. Le changement de nom est d’ailleurs caractéristique d’un épisode majeur dans la vie d’un individu, et c’est aussi le cas en ce qui concerne l’histoire de la révélation. Des époques marquantes dans le développement de l’histoire de la rédemption sont marqués par des changements de noms : c’est le cas d’Abram et de Saraï, de Jacob, mais aussi de Jean (Baptiste) et des croyants auxquels un nouveau nom sera symboliquement donné ( Ap 2.17).
Dans notre cas, il s’agit d’un changement de nom imposé pour se conformer eux us et coutumes de cette nation païenne de Babylone. Et là encore, l’acceptation sans protestation, de Daniel, pourrait étonner. Ne serait-ce pas là un compromis trop important, une concession faite à une culture idolâtre ? Car ce changement n’est pas anodin : c’est une rupture avec la terre promise, avec leur langue, leur religion, leur Dieu. Notez que la plupart du temps nous voyons que cela ne posait pas de problème aux croyants du peuple d’Israël n’avaient de porter des noms étrangers—même pour raison de commodité38. Mais l’importance du changement de nom est à chercher dans sa motivation, et son importance est différente si il s’agit d’un nom « théophore »—c’est à dire si il remplace un sens neutre par une signification théologique, comme dans le changement de Jacob en Israël par exemple39—ou si ce changement n’est que d’une commodité.
Dans le cas présent, il est bien difficile de savoir ce qu’il en est. Certes, nous pourrions considérer que ce changement ne sert qu’à faciliter leur intégration dans le service babylonien. Le compromis de la foi ne serait aucunement en jeu ici. Cependant, dans de nombreux cas le changement de nom indiquent qu’ils deviennent littéralement la propriété du roi et qu’à travers ce nom nouveau une nouvelle destinée leur est donnée40. Daniel devient ainsi Beltshazzar—« protège la vie du roi ! », et Hanania devient Abed-Nego—« serviteur de Nabu ». Si je m’arrête sur ces deux noms en particulier c’est qu’ils représentent la première résistance de Daniel et ses amis. Si nous faisons attention au détail des noms rapportés par Daniel, nous constatons des altérations notables.
Le nom de Daniel, Beltshazzar, est une altération du nom original qui lui avait certainement été donné, un nom commun à Babylone (et qui est celui du roi suivant) : « Belshazzar ». Si c’est le cas, le nom Belshazzar qui lui aurait été donné renvoyait directement au dieu Bēl et comportait une forte connotation spirituelle. En altérant ce nom, l’admission du nouveau nom par Daniel perd de sa neutralité. Il y a une part de résistance de la part de Daniel, tout comme nous le voyons aussi dans l’altération d’Abed-Nego qui, au sens religieux du terme, ne veut strictement rien dire41. Ici aussi il y a de bonnes chances que ce nom n’ait pas été celui qui lui avait été donné. Vraisemblablement ce nom est une altération de Abednebo, « serviteur de Nabû », nom d’un dieu mésopotamien. L’altération contestataire d’Abed-Nego est d’autant plus significative que le dieu Nabû était la divinité chargée d’inscrire sur ses tablettes le destin de chaque humain. La contestation marque ici la rupture avec une interprétation du monde qui se veut globale : c’est même un rejet de la nature de ce dieu babylonien. Le seul maître de la vie humaine, c’est Dieu, l’Ancien des Jours, créateur et « consommateur » de la terre et des cieux.
La deuxième contestation de Daniel est beaucoup plus frappante et trouve une place centrale dans ce premier chapitre. Il s’agit bien sûr du refus des quatre jeunes gens de manger les mets préparés pour eux et les autres otages israélites. Le refus de Daniel est plus qu’un simple refus diététique : c’est une révulsion intense soulignée par un terme impliquant une répulsion presque rituelle42 . Ce refus viscéral se retrouve dans plusieurs passages de la révélation, comme dans le Nouveau Testament par exemple en Actes 10 ou 15, toujours dans un contexte de mode alimentaire. Pour ce qui est du vin, nous pourrions nous rapporter à 1Co 10.21 ou au thème de la pureté central en 2 Mac 5.27 ss., mais aussi Tob. 1.10 ss., ou Jud. 10.5 et 22.1643. Ce refus de vin est donc une démonstration pratique d’un principe mosaïque (qu’on retrouve aussi en Is. 52 ; Zach 14.21) qui marquait une appartenance religieuse et cultuelle d’autant plus importante en temps d’exil.
Le texte de Daniel ne cesse ainsi de souligner la radicale résolution de Daniel. Lorsque, par exemple, Daniel « résolu en son cœur » de ne pas toucher à ces mets de choix, l’indication est forte : elle fait référence au « cœur » siège de la volonté, et même d’obéissance et de fidélité, dans le langage biblique. Daniel a déterminé en son cœur que sa fidélité à sa foi serait le guide de sa vie. Bill Arnold a noté que la répétition (paronomastique44) de wayyāśem en vv. 7-8 focalise le contraste entre les visions du monde de Babylone et d’Israël45. Dans ces versets, Daniel souligne la nécessité de résister à la tentation globale d’assimilation culturelle et religieuse, car ces deux aspects ne peuvent jamais être séparés—distingués mais pas séparés46. Enfin, la répétition parallèle Les vv. 7-8 intensifient le contraste en opposant la manière dont le chef du personnel « détermina » pour les jeunes gens de nouveaux noms et la manière dont Daniel « détermina » de ne pas toucher les « mets de choix » (le pat-bag) de la table royale.
Ne pas se souiller est donc un principe pour Daniel, un principe qui le distingue des autres israélites déportés avec lui. Bien que le terme employé pour « se souiller » (גהל) soit différent de celui trouvé en Dan 11.31 (חלל) ou du terme plus commun (טמא), le sens général demeure identique et renvoie à une catégorie qui n’est pas seulement rituelle mais théologique47. Mais un problème se pose alors à nous : pourquoi s’abstenir de la viande seulement ? Si cette abstinence pour Daniel était aussi importante, si s’abstenir de se souiller par simple contact était si important, pourquoi ne pas s’abstenir de tout aliment « impur » ?
Une diversité d’explications ont été apportées, diversité que je ne vais pas exhaustivement rapporter ici. Quelque mots cependant. Une première explication est que la consécration des viandes aux idoles était aussi appliquées à tous les aliments : Daniel refuse ainsi tout aliment potentiellement consacré aux idoles48. Cependant, il faut constater que l’Ancien Testament semble porter plus d’attention à la viande consacrée aux idoles (ce que nous retrouvons dans le NT, cf. Actes, probablement parce que la viande, contient du sang, signe éminent de vie49. Une deuxième explication, essentiellement symbolique, a été apportée. Les mets apportés pour les jeunes gens, les mets de la table du roi, étant des mets de fête (cf. « le vin qui réjouit le coeur »), s’en abstenir pouvait être un signe de pénitence ou de deuil (Es 22.13). Cette abstinence était donc une réaction appropriée pour un temps d’exil50. Alors que les mets proposés sont des mets royaux, les jeunes hommes demandent une nourriture « simple ». Mais cela n’explique alors pas la motivation de pureté exprimée clairement par Daniel51. Enfin, un troisième choix serait de considérer que la nourriture et le vin pris dans une cour « païenne » reflètent l’association à l’exil et à la souillure. Ce que nous mangeons, buvons, portons représentent et manifestent l’expression extérieure de notre identité. Prendre la nourriture, la partager, est alors signe d’association et d’amitié (Gn 31.54, Ex 24.11, Ne 8.9-12, Mt 26.26-28, on condamnait Jésus car il mangeait avec des « impurs »). En quelque sorte, nous sommes ce que nous mangeons : les français sont des « grenouilles » et les anglais, des « rosbif » !52
En conclusion, la souillure redoutée est autant morale que rituelle. En fait certainement les deux !—en d’autres termes cette attitude de Daniel est une position théologique envers et contre une imposition considérée comme mettant en jeu leur identité de membres du peuple de l’alliance. Trois types de raisons sont donc associées ici : diététique (prohibition mosaïque des aliments impurs), politique (manger c’est faire alliance) et religieuse (soumission religieuse au roi de Babylone). Cette dernière raison est à mon sens centrale.
La protestation alimentaire de Daniel est par conséquence une remise en cause radicale de la soit-disante providence babylonienne. En fait, on aurait pu croire que ce partage des « mets de choix » venant de la table du roi de Babylone était pas une marque d’honneur accordée aux otages. Une manière de s’assurer de la fidélité de ces nouveaux babyloniens ne quelque sorte. Mais il faut voir au-delà. Il nous faut laisser de côté notre matérialisme méthodologique afin de prendre conscience de ce qui est en jeu pour Daniel. Le voici, croyant, confronté à la nécessité d’accepter les présupposés, le fondement de la vie babylonienne et donc de leurs dieux. Aucun symbole n’est plus fort que celui de la vie quotidienne : la nourriture qui soutient le corps et permet la vie.
L’expression « mets de choix » (pat-bag) est toujours suivi de la mention du roi comme pour souligner son active providence. Contre la providence du roi, et de son dieu Marduk, voir cette prière à Marduk : «Votre attention bénévolente est gratifiante, votre pitié telle celle d’un père » prière n. 1, ligne 10. la ligne 21-24 souligne que c’est lui la source de sagesse et de discernement53. Sa providence est aussi soulignée aux lignes 160-164 :
Sur la terre du bien-être, devant vous, qu’il (Marduk) puisse marcher ;
Qu’il fasse pleuvoir en abondance des produits agricoles sur votre table ;
Que sa fourniture d’aliments être effectué dans votre temple ;
Qu’il inonde votre pas de porte avec de l’huile comme de l’eau ;
Q’il asperge abondamment d’huile précieuse votre charpente54.
Symboliquement, l’acceptation des aliments du roi de Babylone c’est accepter la providence de son dieu. Cette nourriture, est un symbole de providence quasi divine. Par ce moyen, les quatre amis étaient censés apprendre à s’en remettre à la seule bonté et providence du roi de Babylone et de son dieu Marduk55.
Ainsi, si Daniel n’objectait pas directement au changement de nom, ici il contraste avec un refus du changement de mode alimentaire : « il refusera le pat-bag (la portion de choix) et le vin du roi, refusant de participer à une consommation qui pourrait témoigner d’une allégeance au roi et refuse ainsi de prendre en son corps quelque chose qui pourrait indiquer une dépendance envers la providence et la grâce du roi (1.8) »56. Cette contestation de Daniel nous défie : de quoi devons-nous nous abstenir ? Quelle règle de fidélité devons-nous déterminer pour nous mêmes afin d’être cohérents avec cette foi que nous proclamons vivre ? Quelle allégeance devons-nous refuser et manifester concrètement dans les divers milieux qui sont les notre ?
Cette question est d’autant plus importante que notre fidélité se vit, et donc se dévoile à ceux qui nous entoure. Cette vie chrétienne se vit et se dévoile par la contestation des allégeances autres que celle que nous rendons à un Dieu de providence et de restauration. La fidélité est donc la mise à nu de ce que nous croyons, dévoilement qu’il nous faut ensuite assumer, comme Daniel devra le faire dans l’expression de sa demande. La requête de Daniel, imprégnée de contestation, ne va pas sans poser problème à Ashpenaz, celui qui, même s’il entend favorablement la « plaidoirie » de Daniel, hésite à répondre favorablement par crainte de s’opposer directement aux ordres royaux. Si nous voyons clairement la providence active de Dieu, celle-ci ne va pas sans demander une certaine persévérance de la part de Daniel57. Même si la réponse première est négative, Daniel demeure fidèle aux principes qu’il a déterminé pour lui-même. Il (vv. 11-16) en appelle alors à un magistrat inférieur (intendant). C’est un « pari de foi » que fait Daniel ici : c’est l’intendant, qui est en contact régulier avec eux, qui pourra juger de la bonne démarche de Joseph et de la validité de sa demande58. Daniel, faisant preuve d’humilité implore donc l’intendant de le mettre au test pendant plusieurs jours afin de décider en toute connaissance de cause. Et, voilà qu’après seulement quatre jours, le résultat est surprenant, miraculeux presque. Si, à vue humaine, si du simple point de vue nutritionnel, il manque quelque chose dans le mode alimentaire de Daniel, le résultat est plus probant même que ceux qui sont nourris de la table du roi59.
Victoire (vv. 17-21)
Le test de l’obéissance est pour les quatre amis un succès. Dieu couronne leur obéissance par la sagesse et la réussite. En fin de compte, c’est leur excellence qui est finalement démontrée à la fin de la période test mais aussi, et surtout, après les trois ans. Les quatre jeunes gens ont des capacités en lettres et en « philosophie » pourrait-on même aller jusqu’à dire et Daniel démontre des capacités particulièrement dans l’interprétation des rêves et des visions60. Cela demandait sagesse et discernement mais aussi force de conviction pour le jeune homme, sachant quelle importance les chaldéens et les babyloniens portaient à cette catégorie de révélation divine61. Alors que les Chaldéens sont « adeptes » des rêves, Joseph les prend avec prudence comme l’atteste son attitude dans les chapitres suivants : à chaque étape de son service des différents rois qui vont se succéder, Daniel demeure d’une constance remarquable dans le soutient qu’il trouve en Dieu. Dans l’adversité, comme dans le succès, Daniel ne cherche jamais l’acceptabilité ou la reconnaissance. Il ne connaît, il ne choisit comme fondement que celui de sa foi. Les vv. 1.18-21 le précisent d’ailleurs ouvertement : « Telle fut l’existence de Daniel jusqu’à Cyrus ». Dans les travaux, dans les métiers, dans nos sciences, pourra-t-on dire de nous : « telle fut son existence sous tous les PDG, directeurs, et doyens qui se sont succédés ? »
Application(s)
En quoi donc ce premier chapitre de Daniel est-il pertinent pour nous aujourd’hui ? Comment ce premier chapitre est-il pertinent pour ce thème qui nous concerne tous, vous plus particulièrement que moi peut-être ? Comment donc vivre la foi en un Dieu créateur dans un milieu scientifique, en France, qui par sa diversité accueille cette foi parfois avec méfiance, cette foi en le Dieu de la révélation biblique ? Je voudrais souligner avec vous quatre points déjà mentionnés mais qu’il convient de commenter une fois encore.
Vie de foi à la cour païenne
Ce premier chapitre est tout d’abord un encouragement fort, une exhortation pour des temps exil, des temps de « ré-éducation », pour des situations professionnelles ou éducatives dans lesquelles nous avons l’impression (ou sommes réellement) au service d’un roi et ses idoles. Dans sa dédicace introduisant son commentaire sur Daniel, Calvin cita ce dernier comme exemple aux chrétiens français62. Le Père de l’Eglise Athanase lui-même cita le livre de Daniel comme exemple de vie de foi au milieu d’un monde séculier, voire même, d’une culture idolâtre63.
Avec cette exhortation à une vie libre et responsable, nous en venons à la question qui est centrale pour cette journée d’étude. Cette cinquième journée du Réseau des Scientifiques Evangéliques pose des questions auxquelles il est très difficile de répondre et auxquelles chacun se doit de personnellement répondre. Comment vivre sa foi dans un milieu scientifique ? Comment maintenir vérité et intégrité dans la recherche, garder équilibre et conviction dans l’enseignement ? Et comment répondre aux questions des collègues athées ou agnostiques ? Vous pourriez attendre de moi maintenant que je « tire des leçons » comme il est habituel de dire, de vous donner quelques applications pratiques tirées du livre de Daniel, et plus spécifiquement de ce premier chapitre.
Comment Daniel se propose-t-il d’être savant, scientifique, croyant dans un milieu tout à fait païen ? Comment parvient-il à rester fidèle à sa foi, sans compromis, tout en vivant dans un contexte marqué par l’idolâtrie ? Comment Daniel parvient-il, en fin de compte, à être savant avec des savants non-croyants, voire idolâtres ? Mais à mon sens, essayer de trouver des réponses directes à ces questions dans le livre de Daniel est presque impossible. Premièrement, il ne me semble pas que Daniel se pose ce genre de questions—mais cela je l’ai déjà dit. Deuxièmement, il ne semble pas lorsque nous étudions avec attention le texte de Daniel 1 et des chapitres suivants, que ce dernier ait été contraint de pratiquer les sciences des chaldéens et autres magiciens royaux. Ce que le livre de Daniel met en avant, une fois encore, c’est l’opposition entre des visions du monde radicalement opposées.
Daniel n’est donc pas réellement un scientifique à la cour d’un empereur païen, mais cela ne signifie pas que nous ne puissions pas apprendre de Daniel. Ce que Daniel 1 nous indique c’est que les quatre jeunes gens parviennent à vivre comme savants au sein d’un milieu idolâtre en étant fermement appuyés sur des présupposés bibliques. Nous avons souligné l’importance des premiers versets dans lesquels nous voyons que Daniel arrive à la cour de Nabuchodonosor et devient ce grand « savant », non pas grâce à la formation qu’il reçoit, mais à cause du discernement théologique qu’il possède déjà.
Voilà pour chacun de nous la première réalité dans chacune de nos professions, dans chacun des milieux que nous fréquentons et dans lesquels nous travaillons. Toutes nos sciences, toutes nos théories scientifiques, sont en partie fondées, nourries, de présupposés philosophiques et religieux, et sont donc limitées. En être conscients, c’est devenir responsables de la vie de foi que nous introduisons au sein de notre pratique scientifique. Et ainsi, comme l’a bien démontré le philosophe Alvin Plantinga, signaler qu’en discernant les présupposés de la science contemporaine nous sommes conduits à vivre une science non naturaliste fondée sur la réalité absolument objective de l’existence du Dieu créateur64. Le monde naturel, à proprement parler, dévoile, clame et proclame l’existence de son divin auteur.
L’assimilation culturelle et scientifique
Vivre comme scientifique dans un milieu séculier, en basant notre attitude sur celle de Daniel à Babylone, exige premièrement d’être conscient de la pression assimilatrice à laquelle nous pouvons bien souvent être soumis. C’est le un point crucial dans l’attitude de Daniel : il résiste à l’assimilation culturelle voulue par la cour impériale. Nous avons en effet vu que Nabuchodonosor essaie de faire de la prochaine génération israélite de « bons babyloniens ». Il les intègre au mode de vie, à la « vision du monde » babylonienne qui inclut des choses plus ou moins difficiles à accepter pour les jeunes israélites : nourriture, langue, littérature, etc., tout est babylonien. Le roi veut le contrôle sur toute la vie humaine, sur la vie entière de ceux qui sont appelés à la servir65. Et nous avons aussi vu que Daniel rejette une attitude/théorie holistique qui soit autre chose que Dieu.
Dans un monde d’homogénéisation scientifique et technologique, le chrétien est appelé à ne pas être assimilé par cette sécularisation technologique. Dans une société pour laquelle la technologie et la science suffisent à répondre aux problèmes actuels, la foi en Dieu transcendant peut sembler irrationnelle, dépassée. La pression peut alors devenir forte et pousser à distinguer presque radicalement ces deux domaines : la science et la foi.
Ce qui est en jeu dans ce premier chapitre de Daniel c’est donc bien la démonstration que le croyant, en tout ce qu’il fait, pense, agit, étudie, expérimente de manière différente. Non pas que les lois scientifiques, par exemple, soient différentes pour le chrétien, mais que pour ce dernier, rien ne peut se faire sans le ferme appui, la conviction profonde qui ne peut jamais être mise de côté, que le Dieu créateur demeure présent et actif dans sa création. Il est donc nécessaire de trouver un fondement biblique et théologique à toute entreprise : voilà ce à quoi nous sommes tous appelés. Nous sommes appelés, par a transformation de notre intelligence, de nos présupposés, à construire la pratique scientifique sur une base théologique et spirituelle.
Contre les possibles assimilations, le chrétien peut se tourner vers Daniel qui nous sert encore et toujours d’exemple, lui qui a déterminé de se démarquer de toute allégeance absolue qui ne soit pas celle de Dieu, car en fin de compte, tout est une question d’allégeance. Lorsque quelque chose est considéré comme non négociable, lorsqu’une idée, une théorie, se présente comme holistique, comme vision du monde seule nécessaire, la pression sociale et idéologique se fait plus forte. C’est dans ces moments que le « service » de Daniel se fait le plus encourageant.
Le non conformisme
Enfin, nous pourrions qualifier l’attitude du scientifique chrétien, comme étant une attitude non conformiste dans une société très souvent attirée par l’homogénéisation des convictions et de la pensée. Ce non conformisme très marqué chez Daniel n’est pas forcément une attitude de révolte ou de contestation constante comme on le croit le plus souvent. Cet anti conformisme chrétien est une attitude qui nous pousse à tout évaluer à la seule lumière de la liberté, de la foi, du jugement et de la grâce communiquée par Dieu à travers cette révélation qu’il nous donne au sujet de lui-même, de la nature, et de nous-mêmes.
Peut-être sera-t-il question de cela dans les discussions de groupe cet après-midi, mais j’imagine que nombre d’entre vous avez déjà fait face à cette pression conformiste et assimilatrice. La question qui se pose alors est la suivante : qu’est-il attendu de nous, de vous, afin de pouvoir, par exemple, progresser dans vos carrières, dans l’enseignement, dans la « science » ? C’est la question que Daniel pose, celle que nous nous posons. Je ne donnerai pas vraiment de réponse ici. Je voudrais juste souligner une chose. Bien souvent, ce défi (« être scientifique croyant soumis à une forte pression séculière ») n’est pas compris, vu et entendu dans nos églises. Cela signifie que bien souvent le scientifique chrétien se trouve isolé dans sa pratique scientifique et parfois peut-être même conduit par la force des choses à séparer foi et pratique scientifique. Le soutien non conformiste de l’église locale est pour le scientifique nécessaire.
Si le non conformisme des chrétiens est l’un des moyens principaux de leur témoignage dans ce monde scientifique, il nous demande à chacun de prendre conscience d’une certaine opposition elle-même nécessaire.
Conclusion
Nous le voyons, dans ce premier chapitre de Daniel ce qui est mis en lumière c’est la prise de conscience que le croyant peut souvent se trouver face à un conflit de visions du monde. Daniel nous fait prendre conscience que dans notre société pluraliste et postmoderne, un certain nombre de vivions globales du monde entrent en compétition et proposent des explications elles aussi globales incluant : la science, la religion, la politique, etc. Face à cela, quelle attitude adopter ?
Devons-nous contester au risque de perdre toute place dans ce monde ? Devons-nous nous adapter aux situations qui sont le notre et ainsi risquer l’assimilation culturelle, scientifique, et philosophique ? Daniel, lui, a choisit une protestation passive : il est fidèlement présent là où Dieu l’a amené, et ceci dans que la différence de sa vie de foi est possible. Cependant, Daniel n’a donc pas le soucis de « rester pour témoigner » : il ne « restera » pas à tout prix dans une société idolâtre. Lorsque ce « témoignage différentiel » de la foi n’est plus possible, la position de Daniel au sein de la cour est compromise, comme le montrent les chapitres suivants.
Lorsque ce témoignage différentiel est compromis, nous entrons dans une situation à proprement parler eschatologique, celle qui met en scène la venue de ce royaume qui ne sera jamais détruit et qui, par sa venue, détruit tout autre royaume, idéologie, vision du monde, et ce sans le secours d’aucune main (Dan 2.44). La place du chrétien dans la société est telle que cette pierre qui se détache et qui vient renverser les idéologies mêlées d’alliances humaines, cette pierre d’achoppement de l’évangile qui amène toute pensée à Christ.
En vivant comme chrétiens dans un milieu scientifique, nous sommes tous appelés à démontrer dans notre pratique scientifique la présence du Père créateur, du Christ médiateur de la création, et de l’Esprit qui soutient et conserve la création. Sur cette conviction, sur cette connaissance nous pouvons oeuvrer pour une meilleure connaissance, limitée, mais vraie, du monde fondée sur notre allégeance à ce roi qui vient, à celui par qui et pour qui tout a été fait (Col 1.17), un Alpha et Oméga pour auquel en ce début de journée nous disons « Amen ! Viens, Seigneur Jésus! » (Ap 22.20).
Notes :
1Dans cette étude biblique, Daniel fera référence au livre alors que Daniel, sans italique, fera référence au personnale lui-même.
2Robert C. Hill, « The commentary on Daniel by Theodoret of Cyrus »,
3Le livre de Daniel est généralement classé dans les Ecrits (Ketouvim, כתובים) et non dans les Prophètes (Nevi’im, נביאים) selon la classification du Tanakh (תנ״ך). Cf. Theodoret de Cyr, Theodoret of Cyrus: Commentary on Daniel, trans. R.R.C. Hill, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2006, p. 5.
4James C. Pakala, « A Librarian’s Comments on Commentaries 22 (Daniel) », Presbyterion, 32 (2006), pp. 106-110, ici p. 107.
5Pakala : Relevance of the commentaries by Theodoret, Calvin, Jérôme. Positive comments on those of Goldingay and Longman. Pakala, « A Librarian’s Comments on Commentaries 22 (Daniel) », p. 109.
6Pakala, « A Librarian’s Comments on Commentaries 22 (Daniel) », p. 108.
7Cf. Greg Beale,
8Edward B. Pusey, Daniel the prophet, New York, Funk and Wagnalls, 1885, pp. 88-89.
9Bertolino souligne que la réputation des jardins suspendus de Babylone tient peut-être justement plus à la légende qu’à la réalité. Voir Roberto Bertolino, « Réflexions sur le jardin dans la Mésopotamie ancienne », in Michel Mazoyer et al., eds., Jardins d’hier et d’aujourd’hui: de Karnak à l’Eden, Paris, L’Harmattan, 2010, pp. 53-56.
10Irving J. Finkel, « Les jardins suspendus de Babylone », dans Peter A. Clayton et Martin J. Price (dir.), Les Sept Merveilles du monde, Paris, Gallimard, 1993, p. 35-50.
11 Nous faisons face à un certain problème de dates ici. Mais les nations utilisaient divers décompte annuels ce qui peut expliquer que le texte ici parle de la 3e année (selon le calcul de « post-datation en vigueur à Bab) alors qu’en Jér. 25, cela correspondrait à la 4e année (selon le décompte israélite). Pour ce qui est de l’année 605, certains montrent que Neb n’était pas encore roi, mais cette appellation est probablement « proleptique » comme en Jér. 46.21. Ford indique que le décompte des années royales commençait l’année après le couronnement. C’est donc la 2e année (par notre calcul) que commençait la première année de règne (Desmond Ford, דניאל, Nashville, Southern Publishing Association, 1978, p. 78). La première année babylonienne est une « année d’accession au trône » et seulement après cette année commencent les « années de règne » (Zdravko Stefanovic, Daniel: Wisdom to the Wise: Commentary on the Book of Daniel, Pacific Press, 2007, p. 46).
12Albert Kirk Grayson, Assyrian and Babylonian Chronicles, Winona Lake, Eisenbrauns, 1975.
13Cela expliquerait qu’il n’y ait pas de trace dans les sources extra bibliques d’un siège en règle de la cité de Juda. Les données extra biblique ne font pas référence à un siège de Jérusalem. Cela ne prouve rien, et il faut se méfier de tout dogmatisme : cela ne prouve pas qu’il n’y a pas eu siège, cela ne prouve pas qu’il ne s’est rien passé … mais Jérusalem a été mise en danger (J. Baldwin, Le livre de Daniel, Farel, Sator, 1986, p. 73.) Aucune source biblique ou extra biblique ne demande que Joïaqim ait té emmené à Babylone.
14Arrière plan historique en 2R 24.1 et 2 Chr 36.6.
15Ce sont aussi les terres de Shiméar qui, dans la vision de Zach 5.11 (6.10). Cf. aussi Es 11.11.
16 R. le Deaut, Targum du Pentateuque, p. 142.
17 Le Pentateuque accompagne du commentaire de Rachi, Paris 1976, 63.
18« Babylone » : Le terme fait souvent référence à la ville mais ici « Babylone » est associé à la limite sud de la plaine du Tigre-Euphrate … La région est appelée Akkad ou Sumer. Mais association tardive entre Babylone et la région administrative lorsque Hammurabi fit de Baylone la capitale politique. Leader politique et culturel, rival de l’Egypte, jusqu’à la venue de la culture hellénique.
19Cf. notamment James Montgomery Boice, Daniel, Grand Rapids, Baker Books, 1989, p. 16. On pouvait décompter 16 temples, 43 lieux de culte et 900 « chapelles » (Zdravko Stefanovic, Daniel: Wisdom to the Wise: Commentary on the Book of Daniel, Pacific Press, 2007, p. 26)
20W. G. Lambert, « The Babylonians and Chaldeans », in D.J. Wiseman, Peoples of Old Testament Times, Oxford, Clarendon Press, 1973, pp. 179-196, ici p. 184.
21Contra Aph Syr et Theodt, cf. International Critical Commentary, p. 117.
22Norman W. Porteous, Daniel, a Commentary, Londres, SCM Press, 1974, p. 27.
23Cette indication n’est probablement pas à prendre dans le sens physique : les hauts officiers royaux portent aussi le nom d’eunuques comme c’est le cas de Potiphar (mentionné par le Testament de Joseph, 7). Mais est-ce que « eunuque » a un double sens ou est-ce que on assiste à la modification d’un sens (physique) vers un autre … (fonction) et duquel vers lequel ? Pas nécessaire ce croire qu’ils ont été faits eunuques comme Josèphe le maintient. Avec cela nous discernons l’accomplissement prophétique de Daniel, et ainsi la continuité prophétique entre l’histoire antérieure du peuple et son avenir. Théodoret de Cyr indique par ailleurs qu’il convient de voir ici un accomplissement de l’annonce d’Es 39.7, interprétation aussi soutenue par Young (Young, Daniel, London, Banner of Truth Trust, 1949, p. 39). Daniel à la cour du roi de Babylone c’est donc d’abord un accomplissement de l’Ecriture, une promesse accomplie par le Dieu fidèle.
24Il convient de noter que souvent à Babylone les prêtres, et autres, eurent autant si ce n’est plus de pouvoir que le roi lui-même (Zdravko Stefanovic, Daniel: Wisdom to the Wise: Commentary on the Book of Daniel, Pacific Press, 2007, p. 26). Mais dans le livre de Daniel on constate une forte présence royale. Vraisemblablement dans l’histoire de Babylone on est ici dans une période de confrontation des pouvoirs et le roi clairement assoit son autorité même sur le culte.
25Theodoret de Cyr, Theodoret of Cyrus: Commentary on Daniel, trans. R.R.C. Hill, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2006, p. 23.
26Theodoret de Cyr, Theodoret of Cyrus: Commentary on Daniel, trans. R.R.C. Hill, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2006, p. 29.
27Ces Chaldéens étaient à l’origine une tribu Araméenne arrivée du désert syrien et leurs tribus assimilés par Babylone furent connus sous ce nom (chaldéen). W. G. Lambert, « The Babylonians and Chaldeans », in D.J. Wiseman, Peoples of Old Testament Times, Oxford, Clarendon Press, 1973, pp. 179-196, ici p. 181. Chaldéens va faire référence en Daniel essentiellement non à une identité ethnique mais aux habitants de Babylone et plus spécifiquement aux sages de la cour royale, ce qui ne signifie pas qu’ils aient tous été ethniquement chaldéens
Ford indique : « While the text does not specifically say that Daniel was admitted to a priestly order, and rather suggests a political ovesight, the risk of possible misunderstanding would have been too great for a fabricator of fiction. » Desmond Ford, דניאל, Nashville, Southern Publishing Association, 1978, p. 80.
28Goldingay, Daniel, World Biblical Commentary, Dallas, Word Books Publisher, 1989, p. 16.
29Donc certain syncrétisme ici : le roi veut le must du Proche-Orient Ancien. La bibliothèque d’Assourbanipal, par exemple, était constituée principalement de textes divinatoires qui recontaient les signes, présages, etc. D’autres textes en langues diverses (Akkadien principalement) sont des recueils d’incantation, prières, etc. Cf. W. G. Lambert, Babylonian Wisdom Literature, Oxford, 1960, pp. 3-4. Comme l’indique Jeph. : « Le but du roi était double : gratifier son bon plaisir de la présence d’hommes de connaissance, et se vanter d’avoir à sa cour les plus grands hommes au monde. » (cf. International Critical Commentary, p. 121).
30Karl W. Menninger, Number Words and Number Symbols: A Cultural History of Numbers, Cambridge, MIT Press, 1969.
31Francis Joannès, « Esagil », dans Francis Joannès (dir.), Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, Laffont, 2001, p. 169-170.
32Même si nous savons que cette éducation intellectuelle est elle-même soumise à la sagesse divine acquise par les jeunes hommes doués de sagesse, connaissance, intelligence. Le but de la succession des qualificatifs est cumulatif et ne permet pas de réelle distinction entre ces termes. International Critical Commentary, p. 120.
33Jean Steinmann, Daniel, Paris, 1961. Cette idée peut être contenue dans l’expression mais ne s’y résume certainement pas.
34Les « lettres » à proprement parler réfèrent soit à des instructions commerciales (W.G. Lambert, « The Babylonians and Chaldeans », in D.J. Wiseman, Peoples of Old Testament Times, Oxford, Clarendon Press, 1973, pp. 179-196, ici p. 182), ou ici vraisemblablement à des « manuels ». Vision utilitariste même, de la connaissance on pourrait dire. Mais il y avait aussi un certain accent mit sur l’analyse linguistique et la grammaire, vocabulaire de même que la philologie et la traduction. Normal pour un tel centre impérial. Peut-être est-ce cela qui est indiqué ici ?
35Cette description, elle non plus, n’est pas anodine. Elle rappelle bien sûr celle de Joseph en Gn 41.33, associant perfection physique et intellectuelle. Zoeckler indique : « La perfection corporelle et la beauté des formes étaient considérés comme indispensables dans l’Orient ancien pour ceux qui étaient destinés à servir la cour. » (Otto Zoeckler, Daniel, London, C. Scribner’s Sons, 1983), et certainement les jeunes hommes étaient déjà versés dans une solide sagesse pratique telle qu’on la voit transmise en Proverbes par exemple (Goldingay, Daniel, World Biblical Commentary, Dallas, Word Books Publisher, 1989, p. 16). Mais peut-être que la description des qualités de Daniel va au-delà de ce qui apparaît à première lecture. Notez par exemple la mention importante « sans défaut corporel » au v. 4. Si nous nous y attardons un petit instant, nous entendrons le rappel caractéristique de l’offrande sacerdotale. Ce verset introduit en effet une connotation sacerdotale pour Lacocque, renvoyant sans nul doute à la réalité sacerdotale de l’Ancien Testament. Ce qualificatif est notamment employé pour les animaux (Lv 22.17-25 et 18.18-25), mais aussi, et ceci est plus rare, pour les israélites (Lv 21.17-23).
36J. Baldwin, Le livre de Daniel, Farel, Sator, 1986, p. 76.
371.6 : une tradition plus tardive réclame une origine « royale » pour les 4 protagonistes. Mais le texte l’aurait certainement indiqué.
38Parfois même les noms hébreux ne sont pas donnés, comme dans le cas de Mordecaï (enEsther) ou de Zorobabel (en Zacharie).
39O. Eisseldt, « Renaming in the Old Testament », in P.R. Acroyd et B. Lindars, Words and Meaning, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 1968, pp. 73-79.
40En fait Dieu ne change pas leur destinée : quelque soit leur nom, la destinée est entre les mains de Dieu. Lacocque, Le livre de Daniel, CAT 15b, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1976.
41Zdravko Stefanovic, Daniel: Wisdom to the Wise: Commentary on the Book of Daniel, Pacific Press, 2007, p. 62.
42L’hébreu (תגאל) est un verbe faisant partie de la sphère cultuelle (cf. Es 59.3, 63.3 ; Zach 3.1 ; Lam 4.14 ; Mal 1.7 ; Esd 2.62 ; Neh 7.64). Lacocque, Le livre de Daniel, CAT 15b, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1976, p. 36.
43Une tradition grecque indique aussi qu’Esther plaida devant Dieu, soulignant qu’elle n’avait jamais touché la table d’Hamman pas plus qu’elle n’avait bu son vin de libation. Il serait aussi possible de se référer à l’exemple des Rékabites. Théodoret invoque une raison beaucoup plus théologique indiquant que les babyloniens « polluaient » leur boisson avec des libations offertes à leurs dieux. Theodoret de Cyr, Theodoret of Cyrus: Commentary on Daniel, trans. R.R.C. Hill, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2006, p. 25.
44Lié à des paronomase, consistant en un jeu de mots accentuant le « jeu sonore ».
45Bill T. Arnold, « Word Play and Characterization in Daniel 1 », in Scott B. Noegel, ed., Puns and Pundits : Word Play in the Hebrew Bible and Ancient Near East Literature, Bethesda, CDL, 2000, p. 231-248, ici pp. 241-242.
46Anathea E. Portier-Young, « Languages of identity and obligation : Daniel as a bilingual book », Vetus Testamentum, 60/1, 2010, pp. 98-115, ici, p. 109
47Cf. George J. Wenham, the Book of Leviticus, Grand Rapids, Eerdmans, 1979, pp. 18-25. Ne serait-ce que vivre dans un autre pays est signe d’impureté, cf. Os 9.3-4, Am 7.17.
48Goldingay, Daniel, World Biblical Commentary, Dallas, Word Books Publisher, 1989, p. 18.
49C’est la position de Keil et de Young. Young, Daniel, London, Banner of Truth Trust, 1949, p. 44. Une autre option indique que l’abstinence de Daniel pourrait aussi avoir trait au non respect par le palais royal des prescriptions concernant la distinction entre animaux purs et impurs (Lv 11, Dt 12.23-25, Ez 4.9-17, cf. aussi l’attitude de Pierre en Ac 10-11). Mais dans ce cas, pourquoi alors aussi s’abstenir de vin ?
50Goldingay, Daniel, World Biblical Commentary, Dallas, Word Books Publisher, 1989, p. 19.
51D’autre commentateurs y ont vu une pratique d’abstinence issue de groupes esséniens et hassidiques dont certains pensent que l’auteur du livre de Daniel provenait (C.E.B. Cranfield, Romans, ICC, 1975, p. 694. Cf. Hengel, Judentum, vol. 1, p. 213). Mais il ne semble pas y avoir de principe ascétique dans la demande de Daniel (Contra Turretin qui voit cette abstinence de Daniel et ses amis comme une forme de « denial of ourselves ». Francis Turretin, Institutes of Elenctic Theology, Phillipsburg, P&R, 1994, II:20. Contra Jérôme qui voit dans le jeûne de Daniel une réponse divine comme lorsqu’Anne « gagna » un fils par son jeûne. Jérôme, Against Jovinianus, The Nicene and Post-Nicene Fathers, vol. 6, Grand Rapids, Eerdmans, 1954, p. 400).
52En nous plongeant dans les difficultés que comporte le texte de Daniel, nous nous rendons compte que « manger » est un thème important, comme par exemple dans le deutéro-canonique Bel et Draco (Bel et le serpent)—considéré dans les traditions Catholique et Orthodoxe comme étant le chapitre 14 du livre de Daniel. Dans ce texte mettant en conflit Daniel et les dieux babyloniens lors de son service du roi Cyrus,la caractéristique des idoles est qu’elles ne peuvent distinguer entre les mets—c’est notamment le cas pour le dragon dont il est question aux vv. 25-26. Même Daniel, serviteur de Dieu, donc en dessous de Dieu, distingue entre les aliments. Même Daniel a plus de « pouvoir » que les idoles babyloniennes ! De plus, en 3.8 (« Aussitôt après, quelques Babyloniens vinrent accuser les Juifs ») et en 6.25 (« Le roi ordonna ensuite d’arrêter les hommes qui avaient dénoncé Daniel »), l’accusation portée contre Daniel utilise l’idiome קרצין+אבל d’où dévorer, accuser (Michael Segal, « From Joseph to Daniel : The Literary Development of the Narrative in Daniel 2 », Vetus Testamentum, 59/1, 2009, pp. 123-149, ici p. 124. ). Le choix du mode alimentaire de Daniel dès l’ouverture du livre n’est donc pas innocent. Ce choix va structurer l’opposition de Dieu et des idoles babyloniennes et va donc conditionner la réponse que nous donnerons avec Daniel à la question : comment vivre notre foi dans un contexte d’opposition ?
53Takayoshi Oshima, Babylonian Prayers to Marduk, Tübingen, Mohr Siebeck, 2011, p. 159
54Takayoshi Oshima, Babylonian Prayers to Marduk, Tübingen, Mohr Siebeck, 2011, p. 164.
55L’expression « mets de choix » (pat-bag) est toujours suivi de la mention du roi comme pour souligner son active providence. Contre la providence du roi, et de son dieu Marduk, voir cette prière à Marduk : «Votre attention bénévolente est gratifiante, votre pitié telle celle d’un père » prière n. 1, ligne 10. la ligne 21-24 souligne que c’est lui la source de sagesse et de discernement (Takayoshi Oshima, Babylonian Prayers to Marduk, Tübingen, Mohr Siebeck, 2011, p. 159). Sa providence est aussi soulignée aux lignes 160-164 : « On the soil of well-being, in front of you, may he walk ; May he rain down abundant agricultural products on your dais ; Let his provision of foods be performed in your temple ; Mey he drench your bolt bar with oil like water ; May he drip precious oil onto your doorjambs plentifully. » (Takayoshi Oshima, Babylonian Prayers to Marduk, Tübingen, Mohr Siebeck, 2011, p. 164).
56Anathea E. Portier-Young, « Languages of identity and obligation : Daniel as a bilingual book », Vetus Testamentum, 60/1, 2010, pp. 98-115, ici p. 109.
57Au v. 9 Daniel trouve grâce : Bavinck de noter une connotation d’action divine. Herman Bavinck, Reformed Dogmatics, Grand Rapids, Baker, 2004, II:214.
58Le chef eunuque est probablement pas assez proche de ce qui se passe. Il est un gestionnaire.
59Une tradition indique que l’intendant remplaçait simplement les repas de Daniel et ses amis par ses propres repas. Théodoret y fait référence dans son commentaire. Theodoret de Cyr, Theodoret of Cyrus: Commentary on Daniel, trans. R.R.C. Hill, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2006, p. 31. L’intendant gagnait ainsi au change et Daniel prenait un repas « simple ». C’est l’opinion de Jérôme qui y voit là un repas « paysan ». Jérôme, Against Jovinianus, The Nicene and Post-Nicene Fathers, vol. 6, Grand Rapids, Eerdmans, 1954, p. 26. Certains commentateurs proposent que Dieu « ajoute » aux mets quelque chose qui remplace les apports nutritionnels de la viande
60Ce n’est pas encore la prophétie qui est une catégorie bien distincte et qui apparaît par la suite dans le livre de Daniel.
61Parfois les rêves et les visions désignes une catégorie « limite » voire trompeuse, cf. Jer 23 ; Eccl 34.1. Il faut donc « trier », discerner.
62J’ai la meilleure occasion de vous montrer, frères bien-aimés, dans ce miroir, comment Dieu teste la foi de son peuple dans ces jours par de diverses tribulations ; et comment avec sagesse merveilleuse, il a pris soin d’affermir leurs esprits par des exemples anciens, afin qu’ils ne soient jamais affaiblis par la commotion des tempêtes et orages les plus sévères ; ou du moins, s’ils devaient chanceler, qu’ils ne doivent jamais complètement tomber. Jean Calvin, « Dedicatory Epistle », in Daniel, Calvin Commentaries, vol. 12, Grand Rapids, Baker Books, 1998, p. lxiv.
63« And that we may not distress you at all, I would now (only) briefly remind you of these things, because it is not becoming in a man to forget, when more at ease, the pains he experienced in tribulation ; lest, like an unthankful and forgetful person, he should be excluded from divine assembly. For at no time should a man freely praise God, more than when he has passed through afflictions ; nor again, should he at any time give thanks more than when he finds rest from toil and temptations. » Athanase, Letters of Athanasius, The Nicene and Post-Nicene Fathers, vol. 4, Grand Rapids, Eerdmans, 1975, p. 528. Nous sommes aussi encouragés par l’exhortation de Théodoret à l’évêque Himérius de Nicodémie : « Ta sainteté qui, elle, se trouve au milieu même de la flamme et dirige les choeurs des trois jeunes gens dans la fournaise, a eu pour unique mais puissante consolation le souffle de l’Esprit-Saint, qui a dispersé l’assaut des flammes et changé sa chaleur en rosée. » (Théodoret de Cyr, Correspondance, vol. 4, Sources Chrétiennes 429, Paris, Le Cerf, 1998, p. 191). Nous faisons, ferons, ou pourrons tous faire face à des situations dans lesquelles, à cause de notre profession, ou à cause de nos convictions, la démarcation de la foi deviendra nécessaire. C’est ce qui est arrivé à Daniel et ses amis.
64Alvin Plantinga, Where the Conflict Really Lies,
65Goldingay, Daniel, World Biblical Commentary, Dallas, Word Books Publisher, 1989, p. 23.
Bibliographie
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