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Christopher Hitchens est décédé vendredi 16 décembre d’un cancer de l’oesophage. L’un des quatre cavaliers du nouvel athéisme est passé au delà de la lumière et par delà ces domaines qui nous sont connus.
Mais que personne dans mes cours d’apologétique ne s’en réjouisse.
Pour commencer, la mort est elle-même une condition dramatique, une anormalité dans une vie de poursuite de justice et de libération–telle qu’Hitchens a voulu la vivre. La souffrance est, malgré la logique matérialiste, elle aussi anormale et étrangère à la structure du monde. Traverser la souffrance d’un cancer est foncièrement inacceptable. Ensuite, il est impossible de se réjouir qu’une seule personne puisse vivre en dehors de la communion et de la réconciliation que Christ nous donne. Et enfin, il n’y a jamais une bonne raison de se féliciter de la mort tragique d’une personne humaine qui, malgré toute son acharnement à démontrer l’aberration de la croyance religieuse (aussi bien que sa néfaste propagation), n’en est pas moins porteuse de l’image de Dieu.
Et pourtant je comprend la tentation. L’absence d’argumentation sérieuse contre la foi chrétienne, marque de son immense mépris, est source constante de frustration de la part des chrétiens. De cette frustration découle l’amertume de laquelle vient la haine. Hitchens met au pilori toutes les figures chrétiennes qui nous sont si chères ? Ni haine, ni amertume. Qu’attendre d’autre d’un Hitchens ? Qu’il s’immole sur l’autel du politiquement correct ? Ou qu’il essaie de se dépeindre comme moralement acceptable au détriment de sa longue lutte pour la radicale liberté individualiste ? Ou bien qu’il puisse accepter et justifier l’alliance de la foi et du pouvoir ? Prenez cela et Hitchens ne serait plus lui-même. Prenez cela et même la foi chrétienne, de laquelle il se fit l’incroyable challenger, disparaît. L’alliance de la foi et du pouvoir est souvent impure martèle Hitchens. En réalité, l’alliance de la foi et du pouvoir l’est toujours.
Quant à la religion ? Une usine à poison ! Une ligne que Hitchens tint à vivre depuis ses premiers jours de contestataire jusqu’à sa caustique virulence contre les conversions des derniers moments. Face à la mort : ne pas regretter de s’être battu pour soi-même et pour ses convictions. Si une chose est claire chez Hitchens, c’est bien sûr celle-là !
Toutes les rhétoriques mièvres et sentimentales de « Jesus inside » ne servaient qu’à alimenter son cynisme naturel qui n’avait pas jamais besoin d’être encouragé. L’argument de l’immoralité du monde en l’absence de Dieu ? Une démonstration que les chrétiens ne pouvaient rien faire d’eux-mêmes sans soumettre leur volonté à un transcendant incompétent. L’assurer de nos prières ? Reflet d’un égocentrisme despotique des chrétiens tentant de l’assurer d’une bienveillance dont il n’avait que faire. Publier sur internet la rumeur de sa conversion, dans les larmes et ensuite la joie, quelques minutes, voire micro-secondes avant sa mort : l’insulte ultime pour celui qui s’était inquiété d’une telle possibilité. Rendons lui ce qui lui appartient : ne pas croire à cette conversion des derniers moments, c’est peut-être aussi lui rendre justice. Et pour le reste, ni lui, ni nous ne pouvons y ajouter ou y retrancher …
Après ce décès, il nous faut respecter le combat d’un homme. Car il ne faut pas s’y tromper, Hitchens était en révolte contre la tyrannie, la coercition et la perte de liberté. Et particulièrement contre tous les hommes et femmes de religions : la religion, soulignait Hitchens nous vide de toute vie, car il n’y a rien à vivre lorsqu’on obéit aveuglément à son dieu. Et lorsqu’il critique l’ “amorphisme invertébré” de certains chrétiens qui se complaisent dans la passivité, je ne peux que m’associer à sa conclusion : une foi aveugle conduit à une vie inexistante.
Dans ses critiques, à défaut d’être précis ou même justifié, il était sans merci. Hitchens vidait sa verve acide sur la religion aussi rapidement qu’il vidait son verre. Et il remplissait son verre aussi rapidement que la liste de ses potentiels ennemis. Et ceci aussi est clair : on ne peut critiquer Hitchens de ne pas avoir saisi toutes les occasions d’affirmer ses convictions. Toute question était une opportunité saisie de la retourner contre son interlocuteur et de nous adresser cette question inconfortable : « N’avez vous pas un esprit anormalement naïf ? » (débat avec Doug Wilson, Westminster Theological Seminary). Penser, critiquer, chercher, défendre. Oui, et à n’importe quel prix. Tout débat, toute porte entrouverte était systématiquement enfoncée pour laisser place à la défense de l’athéisme le plus militant. Et cela a fait la gloire d’Hitchens, la renommée d’un combattant pour la vérité qui voulait faire de chacun de nous une meilleure personne.
Mais malgré cela, non. Je ne peux pas considérer avec une de mes connaissances américaines “Hitchens comme un Martin Luther » (voir article). Christopher Hitchens ne m’a pas aidé à mieux penser ma foi, ni même à questionner certaines de ces choses auxquelles je suis fortement attaché. Et non pas parce que c’est impossible, mais parce que Hitchens ne m’a jamais donné de raison de le faire. Son argumentation et son style empêchait trop souvent la possibilité même d’avoir un débat en profondeur, ou même respectueux.
Son plaisir à voir se dérouler sous ses yeux les drames que ses opposants traversent, sa cynique obstination à vouloir salir tout ce qui n’était pas à son image, son dégoût de tout ce qui n’est pas athée : voilà ce qui faisait Hitchens–et il ne s’en cachait pas. Cela faisait partie de son art de tout remettre en question, même ces choses que nous considérons comme faisant partie de la nature du monde. Sans vouloir peindre de lui une image qu’il n’était pas, il ne m’est pas non plus possible de le porter aux nues par simple politesse mortuaire. Ce n’était d’ailleurs pas son style !
Tout cela fait partie de ce que je ne peux pas considérer comme utile ou nécessaire. Cela ne fera jamais de moi quelqu’un de meilleur. Si sa formule : “Bien des gens ont besoin d ‘être traités, par moi, d’une manière dont je ne voudrais pas être traité” est vraie, c’est à son exact opposé que je me situe. Je n’admire pas la verve ou la répartie de quelqu’un pour qui le cynisme absolu est le seul critère. Transformer toute conviction en objet de rire ou de satire ne m’inspire pas. Ridiculiser ceux que nous désapprouvons ne m’impressionne pas. Il n’y a aucune gloire, aucun courage, aucun exemple en cela.
Alors que dire ? Sa disparition est tragique. Ses convictions était ce qu’elles étaient : les siennes, librement et totalement. Mais son style n’a rien d’admirable. Sa maladie est anormale. Mais il ne nous rend pas meilleurs.
Vendredi, il n’y avait certes pas de raison de se réjouir. Christopher Hitchens (1949-2011), cavalier de l’apocalypse. Voilà qui devrait lui plaire.