Bienvenus dans le club des états …
Bienvenus dans le club des états …

Bienvenus dans le club des états …

Une fois de plus, le président de la République a joué au Trueman Show sur la scène théâtrale américaine, et cela devant des centaines d’étudiants de Columbia University. A quelques heures de sa rencontre avec le président Obama, la présidentielle française n’a pu s’empêcher de d’ériger en défenseur des pauvre st des démunis, en donneur de leçons à l’échelle mondiale.

 Commençant par un hilarant « les plus pauvres d’entre vous »—oui, car il y a certainement à Columbia un grand pourcentage de démunis, c’est certain—le président s’embarque dans un discours moralisateur et aveugle :

« Quand on voit ce débat sur la santé, on a parfois du mal à y croire, en Europe cela fait cinquante ans que nous avons résolu le problème ».

Ou pas.

Si, ô grand malheur, certains de ces sages étudiants étaient au fait de la politique européenne, ou voire, Dieu nous préserve, de la politique social française, ils en auraient certainement avalé leur cravates, blaser et autres chaussettes.

Et le président de renchérir :

« Bienvenue dans le club des États qui ne laissent pas tomber les gens malades ! »

Oui. Techniquement. Et cela fait de notre système de santé et de notre système social un exemple mondial. N’est-ce pas ? De plus il faudrait oublier les programmes sociaux américains et ne pas prendre en compte le fonctionnement très divers du social dans les cinquante états américains.

Mais un président français doit bien avoir le droit de simplifier pour espérer montrer sa politique social sous l’aspect le plus glorieux possible. Et certainement, vu des marches de Columbia, le social en France peut prétendre au parfait : difficile de voir le nombre de chômeurs dans les rues par delà l’océan !

Que la France par l’intermédiaire de sa figure officielle, présidentielle puisse se montrer si inconsciemment arrogante doit nous faire réfléchir. Notre système de santé comporte certainement des éléments positifs par rapport au système américain. Mais est-il réaliste d’affirmer que nous avons résolu le problème ? Certainement pas. Et il suffit de se tourner vers ceux qui sur le terrain font face à l’incapacité de notre système de santé à être de la qualité sociale à laquelle il prétend.

Quelques exemples. Le président nous met en avant en disant :

« Si vous venez en France, s’il vous arrive quelque chose sur le trottoir, on ne vous demandera pas votre carte de crédit avant de vous accepter à l’hôpital. »

Le dernier que j’ai embarqué aux urgences sera fermement en désaccord : la première chose demandée fut sa carte vitale ! Alors oui : pour voir s’il est bien assuré, autrement dit, pour vérifier que quelqu’un va bien payer. Subtile différence. Et ensuite : « vous avez une mutuelle ? » Juste histoire de vérifier que quelqu’un va casquer pour prendre en charge le complément.

Autre exemple. Si vous êtes démuni de tout, on ne vous laissera pas dans la rue. Les personnes accueillies en urgence de nuit par les Entraides Protestantes (notamment) verraient probablement cela d’une autre manière. Combien sont mort de froid lors du dernier hiver ? Combien n’ont pas de logement décent alors que le parc immobilier vacant pour la seule agglomération de Paris est de 8% (Paris intra muros, grande et petite couronne)1. Pour les seuls parcs HLM, la ville de Modane, en Savoie, atteint même le triste record de 18,3% (pour une moyenne nationale d’environ 5%) de logements vacants !

Et encore un exemple tiré de notre grande expérience de santé publique. La proportion d’infirmier ou infirmières formés (IDE) atteint en France, en milieu hospitalier est d’environ 1 pour 20 patients ; alors que dans certains pays Européens, ce taux est de 1 pour 5 ! En maison de retraite, le retard est aussi flagrant : 1 pour 5-8 patients . Dans d’autres pays, le chiffre atteint … 1 membre du personnel soignant pour 1 patient !2

Mais effectivement, les soins sont payés et nous n’avons pas à nous endetter pour payer ces soins … même si les statistiques ne mettent jamais en relation cette gratuité et la qualité des soins reçus … !

Et puis. Serait-ce même le cas. « On ne vous laissera pas tomber ! » … mais malgré notre Sécurité Sociale, les problèmes sociaux ne sont pas inconnus en France. Nous ne laissons pas tomber ceux qui peuvent être traités facilement, mais nous nous tairons lorsque nous apprendrons que nous avons l’un des plus hauts taux de suicide chez les 18-25 ans. Au niveau national nous sommes entre la place 15-20 sur environ une centaine de pays ! Par comparaison, la Grande Bretagne pointe vers la 60e place ! Notre moyenne nationale est à peu près au rang des pays du continent eurasiatique, approximant les 17/100.0003. Pire !, chez les 65 ans+ le taux est de 294 pour 100,000 (presque 0,3%) !5

Il m’est impossible d’applaudir un système qui ne prend en charge que ceux qui « entrent » dans le système et/ou un système social qui ne fait presque aucune considération des besoins de la personne humaine, se contentant de faire en sorte qu’il y a quelqu’un pour payer les soins. Mais les soins eux)mêmes sont-ils au centre du projet social français ? On peut légitimement en douter. Un système social qui prendrait cela en compte est bien sûr impossible, car il demanderait une vraie coopération entre personnes sur une échelle nationale.

Ceci dit, cette coopération peut porter un autre nom : communion. Car lorsqu’un membre souffre, c’est tout le corps qui souffre. Il y a une communauté dans laquelle le taux de vacance immobilière devrait être proche de ‘0’ … une communauté dans laquelle l’isolement ou le désarroi ne pousse jamais au suicide.

Certes, cet aspect communautaire n’est, dans les évaluations sociologiques et scientifiques, pas au cœur de la réponse entrevue : un chercheur de l’université de Zurich, constatant la dimension préventive de la période de l’Avent conclu :

« L’éloignement de la pensée suicidaire vient des obligations sociales et des rendez-vous qui se multiplient avant une fête, un anniversaire ou des vacances. Avoir des repères temporels est un excellent antidote à la pensée suicidaire. Or les agendas ne sont jamais aussi pleins qu’en décembre »4

Si l’agenda devient celui d’une réelle communion, d’une « vie ensemble » qui dépasse le simple cadre d’activités communes, alors certainement nous pourrons voir la naissance d’une communauté dans laquelle cette mort peut en partie être prévenue—en prenant en compte toutes les dimensions et besoins des personnes.

En bref : tout cela semble vaguement connu … un président qui joue un rôle comique devant les caméras du monde entier sans se douter qu’il est en réalité la créature artistique de la scène politique internationale. Bienvenus dans le club des états qui ne laissent pas tomber les gens malades. Bienvenus aussi dans le club des états mégalomanes narcissiques et surendettés. Et pour tous les autres, l’espérance d’une communauté de soutien mutuel, de communion, de compassion et d’amour fraternel : un royaume de « sacrificateurs », au sein duquel un jour il ne règnera plus ni douleur ni larme.

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Notes :

1 Selon les statistiques de l’Observatoire du Logement Social en Ile-de-France.

2 Voir pour information : http://www.infirmiers.com/ressources-infirmieres/documentation/le-point-sur-la-penurie-infirmiere-en-france-et-dans-le-monde.html

3 Voir les statistiques toujours ré-évaluées de l’Inserm.

4 « L’Avent, excellente arme contre le suicide », Swissinfo.ch

5 La carte ci-dessous est révélatrice (source Organisation Mondiale de la Santé, 2009):